Après cette première semaine de discutions, la prochaine s’annonce, avec des débats en séance publique prévus les 26, 27 et 28 janvier, puis enfin les 3 et 4 février 2010.
Vous allez donc avoir droit, sur Urbanews, à des résumés chaque weekend qui vous rendrons compte de l’avancée des débats : de litiges en réécritures, nous vous feront vivre (vibrer?) au plus prêt de l’actualité. Réelle réforme ou éléphant qui accouche d’une souris ? Il est encore trop tôt pour le dire. Passons maintenant au résumé de ce premier « round », réalisé grâce au compte-rendu intégral des débats fourni par le Sénat.
Un départ en trombe pour une réforme qui se politise
L’ouverture de la séance du 19 janvier n’est en effet pas passée inaperçue, la Sénat se voyant informé de la signature par l’opposition d’une motion proposant au président de la république de soumettre le projet de loi sur la réforme des collectivités à un référendum. Celle-ci estimant que le débat n’avance pas et est anticonstitutionnel (la décentralisation étant comprise dans la constitution française, cette réforme jugée centralisatrice par l’opposition est donc logiquement un problème).
Ayant été signée par plus de 30 sénateurs, cette motion se voit prévue dans les discutions de la séance publiques suivantes, celle du 20 janvier.
Proposée par M. Jean-Pierre Bel et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, cette motion, notamment signée par Gérard Collomb et M.Robert Hue a, comme on pouvait le supposer, lancé de vives vagues de protestations au sein de la majorité, et initiera le lendemain de houleux échanges. Mais concentrons-nous sur cette première journée de débats.
L’introduction de M. Brice Hortefeux, ponctué des piques de M. Jean-Louis Carrère (sénateur socialiste des Landes), un temps pompeuse, se fait rapidement le résumé des objectifs de la réforme en cours. On retrouve ainsi sans surprise les conseillers territoriaux, l’achèvement de la couverture intercommunale prévu pour fin 2013 (il faut se fixer un calendrier et des objectifs raisonnables pour donner une impulsion), la création des communes nouvelles, la création des métropoles ; mais nous sont également présentées les limites de sa portée.
Ce que la réforme ne sera pas
La réforme s’annonce t-elle comme un véritable virage institutionnel ? Pas du tout si l’on en croit M. Hortefeux :
Le Gouvernement, ne vous y trompez pas, ne propose pas de big bang territorial, mais il refuse tout autant le statu quo.[…]
La voie que nous vous proposons d’emprunter est tout à la fois ambitieuse et pragmatique.[…]
il faut parallèlement refuser les chimères. Nous en sommes, je crois, tous convaincus, notre République n’empruntera jamais la voie du fédéralisme, une région française ne sera jamais un Land allemand ou une « communauté autonome » espagnole.
Il le rappelle d’ailleurs lui-même, l’achèvement de la couverture intercommunale ne concerne finalement que 2500 communes, les cas les plus difficiles, et de nombreux points de la réforme seront discutés plus tard (mode de scrutin pour l’élection des conseillers territoriaux, constitution des « communes nouvelles », seuil de population minimum pour une métropole). De la même manière, l’adoption de la métropole comme EPCI (établissement public de coopération intercommunal) particulier et non comme collectivité à part entière le conforte dans l’idée qu’il a de la réforme, en appelant à « l’intelligence territoriale« .
Une réforme définissant donc clairement les compétences de chacun ? Même pas.
Au-delà d’un socle obligatoire de compétences renforcées, notamment dans l’urbanisme, les transports, le logement ou en matière économique, il faut que les départements, les régions et les métropoles puissent déterminer, par voie conventionnelle, la meilleure répartition possible des compétences, en tenant compte des spécificités de chaque territoire.[…]
Première étape, l’article 35 du projet de loi suggère la définition d’un socle de principes clairs et simples, qui sont inspirés par le bon sens. Il s’agit de s’engager dans la voie de la spécialisation des compétences des départements et des régions, tout en sauvegardant leur capacité d’initiative. La loi viendrait ainsi préciser les compétences propres à chaque catégorie de collectivités. Lorsque les compétences demeureront partagées, le législateur pourrait désigner, ou laisser aux collectivités le choix de désigner par convention, une collectivité « chef de file ».
La répartition des compétences fera à son tour l’objet d’un autre projet de loi ; la réforme pose la question en tant que principe.
Force est tout de même de constater, pour pondérer ce (volontairement) sombre tableau, le bien fondé des orientations données par M. Hortefeux : simplification, pragmatisme, clarification des financements croisés, initiatives locales et volontarisme ; orientation qui furent à peu de choses prêt celles ce M. Jean-Patrick Courtois, le rapporteur.
Les propositions de la commission des lois
L’arrivée du rapporteur entraine immédiatement le rapport des décisions prises par la commission des lois.
Tout d’abord, l’adoption de la mise en place du conseiller territorial, étape nécessaire dans le déroulement de la réforme (le conseiller territorial est pour M. Jean-Patrick Courtois la clef-de-voûte de la réforme) n’est pas une véritable surprise. La suite est cependant plus intéressante.
Dans une mesure plus large, la commission s’est également exprimée sur l’intercommunalité. La négociation sera ainsi retenue pour l’attribution du nombre de sièges au sein des conseils communautaires, la commission retenant l’argument de la maturité atteinte par le système actuel, arrivé après de longs tâtonnements à des déséquilibres subtils qu’un interventionnisme étatique ne doit en aucun cas briser (cela serait un comble pour une réforme de décentralisation non ?). La portée de ces négociations possède cependant des limites, déjà évoquées précédemment : Un accord à la majorité qualifiée, pas plus de 50% de sièges pour une commune et une répartition fonction de la population. Une fois de plus, cette disposition est temporaire et sera peut être sujette à révision « dans l’attente d’une meilleur dispositif« .
La commission a proposé des dispositions concernant l’intercommunalité selon 4 objectifs (ici accompagnés à chaque fois de dispositions majeures proposées en ce sens) :
- La négociation des sièges, déjà vue ci-dessus
- Encadrement des pouvoir du représentant dans l’état dans l’élaboration ou la modification de la carte communale (Suppression du pouvoir d’appréciation du préfet dans la mise en place des schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI),Accord de l’organe délibérant nécessaire dans le rattachement par le préfet d’une commune à un EPCI)
- Fonder l’intercommunalité sur les compétences communales et la collaboration avec les EPCI (Suppression du seuil de 5000 habitants pour la création de communautés de communes, instauration de la majorité qualifiée dans le transfert des compétences à l’EPCI à la place de la majorité simple, conservation du pouvoir de police au Maire, autonomie fiscale des communes au sein des nouvelles métropoles)
- Précision du régime des métropoles (conservation du pouvoir d’utilisation des sols pour les maires, abaissement du seuil démographique pour la création de communautés urbaines)
Concernant la fusion des communes, la commission « ne nourrit pas d’espoirs excessifs sur ses chances de succès« . Malgré les résolutions prises, nous ne nous attarderons donc pas sur ce point, qui n’a de toutes manières jamais été l’un des fer de lance de la réforme. La fusion des collectivités n’est d’ailleurs pas le fait dominant de celle-ci puisque la possibilité de fusionner une région et ses départements sur concertation de sa population et sur initiative des conseils généraux et régionaux n’a même pas été commentée malgré une portée politique économique et sociale considérable.
Un débat portant sur la démocratie, le centralisme, mais aussi sur l’éclatement de la réforme
Le fait qu’un certain nombre de points capitaux de la réforme soient traités en différé a rendu très hostile l’opposition, mais également rendu sceptique certains soutiens dont le centre. Il faut dire que si la décision quant au mode de scrutin retenu pour l’élection des conseillers territoriaux n’est pas une méthode nouvelle (déjà appliquée lors des premières lois de décentralisation pour les conseillers régionaux), différer la distribution des compétences entres les différentes collectivités prive la réforme d’une part de son intérêt et s’avère assez peu engageant : comment valider sur le principe une loi dont le contenu n’est pas défini ?
Un autre point intéressant est soulevé par M. Hervé Maurey : le cumul des mandats. En effet, sans chercher à aller dans l’excès en donnant raison aux déclarations « d’institutionnalisation du cumul des mandats » de Jean-Pierre Sueur, on ne peut que s’étonner de ce manque dans une telle réforme. A quel régime seront soumis les conseillers territoriaux ? Quant aux autres ? Cette question épineuse aurait mérité d’être abordée dans le débat.
Hervé Maurey le fait remarquer avec justesse, l’éclatement de la réforme en 4 lois distinctes, lui succédant encore d’autres lois et ajustements divers, ne permet pas de légiférer avec pertinence sur celle-ci.
Retour sur l’existant : le préfet et les financements croisés
Très portés sur les institutions et les élus à venir, les débats n’ont fait que survoler certains problèmes très actuels : Jean-Michel Baylet, entre autre, a ainsi fait remarquer, en soutient à la comission des lois, l’importance d’encadrer plutôt que de limiter les financements croisés, sans conséquence pour l’instant sur le contenu de la réforme.
Parallèlement, on regrette le manque de réponses sur les arguments de l’opposition concernant le renforcement des pouvoirs du préfet, seul organe décisionnaire selon eux, dans la création des métropoles et dans la fusion des régions et des départements.
La parité quant à elle, d’avantage avancée comme argument populiste, n’a même pas donné lieu à d’importantes discutions : là encore, il va falloir faire confiance à des ajustements ultérieurs.
Le conseiller territorial : un va-tout risqué
Avant de vous présenter de manière synthétique les scrutins qui ont eu lieu lors des deux derniers jours de débat, j’aimerai synthétiser certaines des informations que nous venons de voir et tenter d’en saisir la portée.
Quelle est l’importance réelle du conseiller territorial ? S’il n’est dans le texte proposé que l’un des éléments constitutifs de la réforme, celui-ci est au centre de tous les débats et constitue le principal point d’accrochage des parlementaires. Les questions à sont sujet sont à vrai dire nombreuses : combien seront-ils ? Quelles seront leurs compétences réelles ? Comment seront-ils exactement élus ? Vont-ils représenter une réelle avancée ? Toutes ces interrogations sont légitimes.
J’aimerai à mon tour apporter mon lot de questions : la majorité, en érigeant ce nouvel acteur comme pilier de cette réforme ne met-elle pas cette dernière en péril ? La plupart des dispositions prises ne sont pas intrinsèquement liées à ce dernier et on peut aisément imaginer des métropoles fonctionner sans ce dernier ou des intercommunalités se passer de lui. Hervé Maurey déclare même que le principe de sa création aurait pu être décidée dans une loi ultérieure. Le bras de fer politique en vaut-il la peine ? C’est également l’avis formulé par Alain Lambert (président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation), s’inquiétant des conséquences d’une négociation par le bas du conseiller territorial sur le reste de la réforme.
Je vous laisse à présent avec le résumé des scrutins des 20 et 21 Janvier dernier, en concluant sur la déclaration de ce même Alain Lambert : L’organisation décentralisée de notre république ne manque pas de diagnostic , mais elle manque d’une absence de traitement.
20 et 21 Janvier : résumé des scrutins
20 janvier 2010
- Scrutin n° 122 : Rejet de la motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi de réforme des collectivités territoriales
- Scrutin n° 123 : Rejet de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité au projet de loi de réforme des collectivités territoriales.
- Scrutin n° 124 : Rejet de la motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi de réforme des collectivités territoriales
- Scrutin n° 125 : Rejet de la motion tendant au renvoi en commission du projet de loi de réforme des collectivités territoriales
On le voit, cette première journée le scrutin a été la journée-test de la réforme : renvoi en commission, délégation au référendum : le but est de tout faire pour ne pas la valider.
21 janvier 2010
- Scrutin n° 132 : Rejet de l’amendement créant une division additionnelle au titre premier du projet de loi de réforme des collectivités territoriales
- Scrutin n° 133 : Rejet de l’amendement tendant à insérer un article additionnel avant l’article 1er du projet de loi de réforme des collectivités territoriales
- Scrutin n° 134 : Rejet du sous-amendement tendant à insérer un article additionnel avant l’article 1er du projet de loi de réforme des collectivités territoriales
- Scrutin n° 135 : Adoption de l’amendement tendant à insérer un article additionnel avant l’article 1er du projet de loi de réforme des collectivités territoriales
Comme attendu, c’est à la première loi validée, celle créant le conseiller territorial que revient l’honneur d’être discutée. Il faut dire que régler définitivement cette question fait parti des impératifs pour pouvoir poursuivre la réforme… de son traitement dépend largement la qualité de cette dernière.
A la semaine prochaine pour le prochain résumé des débats !