La difficile émergence d’un projet urbain à Cabanyal
Cabanyal, quartier situé à Valence en Espagne, a constitué jusqu’en 1897 une municipalité indépendante connue sous le nom d’El Poble Nou de la Mar. Ce quartier fait aujourd’hui, l’objet d’un grand projet de réhabilitation impulsé par la municipalité.
L’objet principal du projet constitue le percement de la grande avenue Blasco Ibanez, qui part des « jardins du Real » face au centre historique de Valence. Cette large avenue rejoint le quartier du Cabanyal en longeant l’université. L’objectif annoncé par la municipalité est de prolonger l’avenue jusqu’à la mer Mediterranée, restructurant ainsi El Cabanyal.
Mais vous l’aurez compris, cette transformation ne plait pas aux habitants qui sont très attachés aux « Barraccas », les maisons typiques aux façades colorées qui rappelle l’histoire de ce secteur. En effet, Cabanyal est une ville de pécheurs depuis le XIIIème siècle et son originalité est marquée par des rues très étroites et un alignement de maisons basses. Aussi un certain nombre de maisons sont très vétustes mais marquent l’identité et le passé très affirmés du quartier.
Les habitants prônent certes, une nécessaire réhabilitation mais pas la destruction de leur patrimoine bâti qui leur est symbolique. Au passage, le quartier de Cabanyal est classé « Bien d’intérêt Culturel »… de quoi faire monter la pression…
Le prolongement de l’avenue Blasco Ibáñez jusqu’à la mer entrainerait alors la démolition de 1651 bâtiments classés BIC depuis 1998 (Bien d’interêt culturel) ainsi que l’éradication des populations marginales qui occupent aujourd’hui le quartier. En effet, le quartier est resté peuplé par une population essentiellement modeste, mêlant les anciennes couches ouvrières, différentes communautés immigrées et des étudiants. Aussi, il s’agit de modifier totalement le paysage, le peuplement et les fonctions de ce quartier pour laisser place à de nouveaux ensembles d’immeubles et des bureaux modernes.
Il faut noter que ce programme n’a rien d’étonnant en soi, car il s’ajoute à une longue liste de grandes opérations d’urbanisme qui ont profondément modifié le tissu urbain et la métropole Valencienne. On peut citer entre autre parmi les opérations les plus emblématiques : le réaménagement du port de Valence avec la construction d’un opéra et d’une cité scientifique et la réalisation de nouveaux quartiers périphériques. Par ailleurs, l’arrivée du train à Grande vitesse en provenance de Madrid mit en place depuis décembre 2010, renforce la volonté de la municipalité de Cabanyal de poursuivre cette opération.
Aujourd’hui la ville est un immense chantier qui sombre dans un cauchemar politique, tant pour la mairie de droite, qui a dû arrêter les premières démolitions, que pour l’opposition de gauche qui prépare les élections municipales de mai prochain. Face au pouvoir, les intellectuels, les habitants, les artistes prennent position en dénonçant les dangers de ce projet :
- Le modernisme et le technicisme de ce projet répond en réalité aux besoins de l’automobile,
- Les populations socialement fragiles sont menacées,
- La destruction d’un ensemble urbain dont la valeur est attaché à un environnement patrimonial .
Les opposants sont cependant soutenus par le Ministère de la Culture qui, le 4 janvier dernier a passé un ordre pour freiner le plan de la mairie considéré comme une « spoliation ». La Generalitat (organisation politique de la Catalogne) a alors contre-attaqué avec un décret-loi pour tenter d’éviter ce mandat.
Finalement, la problématique de ce projet est double. D’une part, cette opération expose la dualité entre rénovation urbaine et patrimoine. D’autre part, ce projet montre comment les pouvoirs publics détournent la portée d’un projet urbain. Aussi, interrogeons nous sur la visée d’un projet d’urbanisme. Celui-ci doit être pensé avec la ville existante dans la totalité des dimensions qui la composent : politiques, culturelles, sociales, économiques et non dans l’une de ses dimensions. Enfin, un projet urbain fait l’objet de démarches concertées avec l’ensemble des acteurs (dont les habitants).
Certes la programmation urbaine est centrale pour la production d’un cadre de vie meilleur mais parfois, ses fondements sont occultés voire négligés au profit de logiques d’acteurs et ainsi, au détriment d’un projet urbanistique et social cohérent pour l’intérêt des populations.
Sans doute, l’ampleur du « cas Cabanyal » donne l’opportunité de « repolitiser » les politiques urbaines et d’aborder plus finement des questions de fonds telles que : la société civile, la préservation d’une identité urbaine ou encore la prise en compte d’un patrimoine urbain vivant, dans le restructuration des villes. Quelque soit la décision qui sera prise, la bataille de Cabanyal est aujourd’hui un symbole de lutte citoyenne, face aux politiques urbaines qui affirment à tort leur légitimité.
Source : projets-architecte-urbanisme.fr
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