Depuis la seconde moitié des 90’s et la mode à l’eschatologie initiée par Paco Rabanne, styliste prophète, l’Etre humain vit dans la crainte des stations spatiales et des calendriers sud-américains sans même se douter que la fin n’arrivera en fait que par lui. Crise écologique, sociale ou encore nucléaire, chocs des civilisations et révoltes populaires ; à force de trop de masochisme, notre espèce pourrait bien disparaître de la surface d’une planète asphyxiée, non pas en 2012, mais peut être, d’ici à quelques centaines d’années.
C’est en tout cas ce que pense Stephen Hawking. Pour l’astrophysicien, il sera sans doute difficile d’éviter une catastrophe majeure sur la Terre au cours des prochains siècles, et cela d’autant plus, soulignait-il en 2010, que les crises en tous genres semblent se multiplier. Pour Hawking, cela ne fait donc aucun doute. Pour survivre et perpétuer son règne, l’homme doit quitter la Terre, coloniser, essaimer à travers l’espace et se fabriquer un avenir extraplanétaire. La question de la colonisation spatiale sous entendu ici par l’astrophysicien n’est pas neuve et surtout, elle partage plus de liens avec l’urbanisme et l’architecture qu’on voudrait bien le croire…
A force de fouiller dans les archives très poussiéreuses mais pas très secrètes de l’Agence Spatiale Américaine (la NASA pour les intimes), Urbanews a mis la main sur un rapport d’étude (Space Settlements : A Design Study de 1975) qui pourrait bien être le premier exercice du genre, jetant les bases d’un futur « urbanisme extraterrestre ».
Une colonie urbaine, une ville dans l’espace
“The space colony appears as a giant wheel in space. Still you cannot comprehend its size, but you know it must be huge. One of the other passengers who has been on the trip before tells you it is 1800 m in diameter.”
Située à 240 kilomètres de la Terre, sur le même axe orbital que notre satellite naturel, la colonie prend la forme d’un large tube circulaire capable de résister à la force centrifuge de sa propre masse, évaluée à près de 530 000 tonnes. Au dessus d’elle, une ellipse amovible inclinée à 45° fait office de soleil artificiel. Objectif ; pourvoir la colonie en énergie solaire et nourrir le fonctionnement de l’ensemble des systèmes de production et notamment ceux d’oxygène et d’eau. A l’intérieur du « tube », pas de gratte-ciels ni d’autoroutes, encore moins de couloirs et de dédales sans fin.
Les perspectives sont longues et profondes, et les délaissés d’emprises nombreux font presque oublier aux 10 000 habitants de la cité spatiale l’incongruité de leur situation. La colonie, découpée à l’horizontale en 6 grandes unités fonctionnelles, alterne espaces agricoles et résidentiels. Sur ces derniers, 43 hectares au total, les modules d’habitation d’une surface de 50 m² environ s’organisent en terrasses et les ouvertures, nombreuses, offrent des vues sur ce que les auteurs nomment « la plaine ». La diversité des formes, la variation des densités sont facilités par la flexibilité des structures qui composent les unités de vie. Aussi passe-t-on rapidement, selon la croissance que connaît la colonie, du R au R+5. Au milieu de la plaine, là ou les colonnes d’ascenseurs font le lien entre le réseau de transport en commun et les quais de débarquement des hommes et du matériel (tour au centre de l’illustration), se tiennent l’ensemble des principales fonctions urbaines, les commerces et les différents services institutionnels, culturels et de loisir.
Agriculture et autonomie alimentaire
“The agricultural system supplies an average person of 60 kg with 2450 cal (470 g of carbohydrates and fats and 100 g of protein) and almost 21 of water in food and drink each day. Plants and animals are chosen for their nutritional and psychological importance (e.g., fresh fruits, vegetables, and beef).”
Entre les 3 grandes unités résidentielles qui composent l’anneau, des ceintures agricoles (61 hectares au total) doivent fournir les habitants en vivres et en ressources. Grâce à l’artificialisation complète de l’environnement de culture, les producteurs peuvent contrôler, selon les zones, la température, les niveaux de dioxyde de carbone, le degré d’humidité ainsi que celui d’ensoleillement pour favoriser, voir dans certains cas, forcer la croissance des « produits ».
Les productions agricoles qui ne tiennent plus fait des saisons, se déclinent selon différents niveaux. Les rendements sont anticipés et la production, aidée par la technique est maintenue à un seuil élevé. Aux niveaux inférieurs, l’élevage laisse rapidement la place aux systèmes de traitement des déchets liés au secteur agricole mais aussi au retraitement des déchets issus des zones urbaines. L’ensemble des « restes » de la colonie viennent ainsi nourrir des bactéries et toute une biomasse qui participe par ses actions et ses respirations, à renouveler l’atmosphère de la plaine.
A Design Study ou comment le design d’espace doit faire oublier l’espace
Dans l’étude, les auteurs abordent l’importance du design d’espace, qu’ils envisagent comme un moyen de palier au stress psychologique et physiologique des nouveaux arrivants de la colonie. Loin, très loin de l’image des stations orbitales des films de science fiction, tout doit ici rappeler le colon fraichement débarqué à sa Terre d’origine. Le paysage libre, d’abord, espaces agricoles ou bien de « nature » au cœur des zones résidentielles, ouvre les hommes sur de vastes perspectives, sinon sur l’image apaisante d’un arbre. L’architecture, ensuite, par ses formes, sa légèreté et les matériaux (organiques) auxquels elle recoure, place l’humain « libéré » au centre des choses… L’organisation de la « ville » et du rapport entretenu entre ses différentes fonctions revêt également une importance toute particulière. Les commerces, les institutions, les espaces publics et les unités de vie doivent répondre au modèle urbain présent et développé sur Terre tout en tenant compte des limites physiques et symboliques imposées par la mégastructure de la colonie (cela vaut également pour le modèle social urbain développé dans ce cadre).
Vers un archipel métropolitain spatial
Comme toute ville pourtant, la colonie spatiale ne semble pas pouvoir se suffire à elle-même et doit de fait, s’inscrire dans un réseau d’échanges et de communications extérieures. Pour Colin Clark, spécialiste des questions économiques, cité dans l’étude, une unité ou pôle urbain de moins de 150 000 habitants ne pourrait pas fournir une gamme adéquate de services commerciaux et encore moins, créer les conditions favorables au développement d’activités industrielles. De ce fait, la colonie resterait largement dépendante d’une assistance terrestre sinon, d’un archipel d’artéfacts spatiaux qui lui seraient semblables et avec lesquels elle pourrait organiser des échanges commerciaux. Pour les auteurs du rapport, la spécialisation économique de la station spatiale urbaine, dans ce cadre de dépendance, ne fait aucun doute. Sa proximité avec la Lune pourrait lui valoir ainsi de se limiter à la gestion économique des ressources extraites du satellite, notamment pour éviter tous surcouts liés aux échanges Terre/colonie, d’éventuelles charges matérielles…