Epopée de la résilience urbaine #1
L’explosion urbaine est bien souvent à l’origine de dysfonctionnements et de crises. Dans les villes du Nord, où le tissu urbain est inscrit dans le territoire depuis longtemps et où les aménagements sont déjà très structurés, les évolutions touchent, en priorité, aux modes de vie, de consommation et de déplacement. Elles imposent d’adopter des politiques publiques locales de plus en plus contraignantes visant à modifier les comportements à la faveur d’un développement que l’on veut durable.
Mais cette politique de restriction n’est pas très intéressante, souvenez-vous du leitmotiv de ce cher Bjarke Ingels « The more energy you spend, the more you get » dans son comic book Yes Is More – et des nombreux articles faisant références à des alternatives à la politique de restriction, voir ici et là. D’autant plus qu’il n’existe pas aujourd’hui de véritable études quant à l’efficacité de sa mise en oeuvre. Peut-être que le développement durable par le moyen de restriction, aux centaines d’actions non hiérarchisés où la RT-2015 est au même niveau de priorité que « coupez l’eau pendant le brossage des dents » – justifiées par la doctrine « act local think global » – n’est-il qu’un paradigme urbain supplémentaire, du même ordre que l’urbanisme des réseaux d’antan ?
Quoi qu’il en soit, le développement durable est une notion intéressante. D’un côté on a la « durabilité », qui est la capacité de créer, tester et entretenir une capacité d’adaptation. De l’autre, celle de « développement » qui est en fait le processus de créer l’adaptation et de saisir les opportunités pour atteindre cet objectif. Un joli pléonasme que l’on arrive pas bien encore à manipuler, si bien que l’individu lambda heureux de voter pour les « verts » en retient souvent qu’une vague interprétation personnelle, ne sachant pas réellement ce que cela implique ni ce que cela veut dire. Néanmoins, ce concept se démocratise de plus en plus et tend à une définition commune. C’est une machine enrôlée dans le système-ville, dont les mécanismes et connexions permettent de répondre à des problématiques urbaines de façon transversale, c’est-à-dire combiner à la fois différents sens appliqués à différentes disciplines qui font la ville.
De la ville vulnérable à résiliente
L’expansion urbaine s’expose davantage chaque jour à des risques de dysfonctionnement. Ceux-ci sont des éléments perturbateurs de la ville pouvant nuire à différentes échelles et sur des temps plus ou moins longs au fonctionnement de la ville. Plus les enjeux matériels et immatériels d’une ville sont nombreux, plus ceux-ci sont sujets à des risques et augmente ce que l’on appelle la vulnérabilité de la ville. Tout système a rencontré à un moment où à un autre de son existence, à différentes échelles de temps et d’espaces, une perturbation quelconque qui ait provoqué un dysfonctionnement de son système. De ce fait, tout système est considéré comme fragile et vulnérable aux menaces qui le concernent. Est vulnérable tout système exposé aux blessures qui seraient la cause d’un dysfonctionnement. La vulnérabilité représente aussi le caractère d’un individu très susceptible aux attaques morales, aux agressions extérieures. Certains le sont plus que d’autres.
Afin de se forger un caractère plus « résistant », le système étudié, qu’il soit un homme, un matériau, un territoire, une planète ou tout autre entité intéressante à analyser, doit pouvoir et savoir trouver les capacités nécessaires à l’adaptation aux aléas qui le menace. Tout l’enjeu réside dans le processus de capacité d’adaptation. Alors, plusieurs études tentent de découvrir les processus de mise en œuvre afin de déterminer comment s’adapter aux risques plutôt que de s’en défendre par la résistance. L’histoire a démontré que la résistance n’était pas inhibitrice de vulnérabilité, et la notion-même de vulnérabilité est remise en cause. Par exemple, l’ouragan Katrina qui frappa la Nouvelle-Orléans en 2005 dont les digues et autres mesures « dures » de résistance ont failli. Le prochain article « Epopée de la résilience urbaine #2 » sera en partie consacré à cet épisode de la Nouvelle-Orléans, véritable laboratoire de recherche autour des problématiques de vulnérabilité et de capacité d’adaptation à des perturbations.
Les interrogations tournent autour de comment arriver à un état à la fois assez stable pour persister et assez malléable et adaptatif pour encaisser les agressions extérieures, sans arrêt de fonctionnalité. Le processus qui amène à un tel état est appelé « résilience ». Ainsi, un système résilient tangue mais ne sombre pas car il en a les moyens et les qualités d’apprentissage suffisants pour atteindre cet état.
La campagne de Greenpeace, ci-dessus, pourrait très bien se voir non pas comme une dénonciation mais comme une campagne de « nouveaux modes de penser ». Et si vivre en harmonie avec la nature impliquait aussi de vivre en osmose avec ses aléas ? Et oui parce-qu’on prône si bien dans nos projets d’aménagement d’imiter les mécanismes de la Nature mais si nous étions rigoureux, nous devrions aussi imiter ses catastrophes. Cela permettrait peut-être de mieux les appréhender, n’est-ce-pas ? En tout cas, ce sont les principes fondamentaux de la résilience urbaine et de sa volonté d’inculquer une sorte de culture du risque.
Initiation à la culture du risque
L’épopée est passionnante lorsque l’on s’intéresse tout particulièrement à l’aspect « qualité d’apprentissage » de la notion de résilience, c’est-à-dire comment réussir à inculquer une sorte de « culture du risque » aux habitants afin qu’ils puissent non seulement en prendre conscience mais surtout l’accepter et mieux l’appréhender.
Bien que les notions de résilience urbaine et de développement durable soient dans un même continuum, l’un peut être à la fois l’antonyme ou le synonyme de l’autre. La résilience est un nouveau paradigme qui est atteint par des moyens préventifs mais vue sous l’angle de la culture du risque. C’est une véritable urbanité, un fait de vivre la ville autrement. On se fait une toute autre image de la ville. Alors, cela renvoie directement au néologisme de ce très cher Kévin Lynch, l’imagibilité. L’imagibilité, notion issue de l’excellent ouvrage L’Image de la Cité, représente la qualité pour un objet physique de pouvoir véhiculer une image forte à un observateur, si bien qu’il va se forger une représentation mentale, ancrée dans sa mémoire et qui participe à sa culture générale. Ainsi, il est intéressant d’analyser si l’imagibilité peut-être applicable pour cultiver le risque et, ainsi, initier l’observateur à la résilience urbaine.
Ou encore cette campagne « anempathique » canadienne contre le réchauffement climatique (voir ci-dessous-. L’anempathie est un puissant outil de communication, son utilisation implique de ne se soucier ni de l’identité, ni de l’histoire, ni quelconque autre contexte. Le très célèbre réalisateur américain Quentin Tarantino est le maître de la mise en scène cinématographique en utilisant le concept de musique anempathique. Par exemple, une musique douce sur fond de scènes violentes à la Kill Bill est une belle situation anempathique. Nous ne sommes pas dans l’univers violent de Tarantino, mais cette campagne canadienne mérite qu’on y prête attention. Regardez plutôt :
Seulement voilà, comment vérifier cette hypothèse ? Est-ce-que l’imagibilité peut jouer le rôle d’outil fondamental de mitigations face aux risques par le fait-même de permettre une culture du risque ? Autrement dit, l’imagibilité est-elle vecteur de culture du risque qui est lui-même catalyseur de résilience urbaine ?
La suite au prochain article.
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