De Johan Surget pour UrbaNews.fr
San Francisco représente pour moi bien plus qu’une simple ville américaine. Elle a tout d’abord été le lieu de nombreuses rencontres éparpillées en 2007 et 2010, au cours de quelques mois intenses vécus là-bas. Je ne m’y suis jamais autant senti que comme étant l’exemple-même de l’homme mondialisé, sorti de ses frontières habituelles pour échanger et vivre des expériences, tout en apportant sa propre vision des choses et en tentant de la confronter à d’autres…
San Francisco est aussi pour moi un lieu formidable où l’on peut apprendre beaucoup des autres, de ce qui nous entoure et de ce qui fait que notre monde est monde… Vous n’êtes pas sans savoir que la ville a toujours représenté l’avenir : San Francisco représente une conquête, notamment la conquête de l’Ouest Américain riche en or, ouvert sur le Pacifique et où tout serait possible. La formidable envolée démographique de la ville au 19ème siècle (+310% entre 1860 et 1880), à l’instar de toute la zone californienne, montre bien l’esprit des colons de ce temps : « San Francisco est notre avenir ».
Avenir qui a été brillant dois-je dire : l’étincelle de l’extraction minière aurifère de la région s’est progressivement transformée en véritable flambée dynamique où artistes, commerçants, intellectuels, industriels, politiciens, dockers, grands voyageurs et hédonistes ont co-construit la ville. Cité ouverte sur le monde, San Francisco a ainsi accueilli le monde : carrefour de civilisations transformées en communities, la ville est devenue un véritable bouillon de cultures aussi diverses qu’uniformes, lui donnant aujourd’hui un visage si particulier, presque unique.
San Francisco est aussi le berceau des évolutions sociétales nées dès le début des années 1960 aux États-Unis. Là encore, la ville s’accapare l’avenir : le quartier de Haight-Ashbury est alors en effervescence. Les différents mouvements que l’on pourrait qualifier de « hippies » (génération littéraire Beatnik avec pour chef de file Jack Kerouac ou encore le mouvement Flower Power) viennent tous du Haight ou de la région de San Francisco : la société veut changer et va changer. Ces mouvements proviennent tous d’une même volonté, celle de la liberté. L’avenir est donc représenté ici par la liberté d’agir, de penser, et tout simplement de vivre : les quartiers de Castro et de Mission en sont un bon exemple. La révolution sexuelle, incarnée notamment par Harvey Milk dans les années 1970, le premier candidat politique ouvertement gay aux États-Unis, anime San Francisco puis le monde tout entier. La ville est alors une nouvelle fois l’icône de l’avenir, d’un avenir commun partagé où la liberté des uns est renforcée par la liberté des autres. Voilà, de manière synthétique, comment s’est construite la ville de San Francisco.
Mais que devient-il de San Francisco aujourd’hui ? Une question que je me suis moi-même posée assez longtemps car j’hésitais sur la réponse à apporter… Cette fois-ci, je vous propose d’y répondre par un passage d’un des livres de F. BEIGBEDER, L’Egoïste Romantique. L’auteur décrit, par l’intermédiaire de son personnage mythique Oscar Dufresne, un San Francisco actuel tout à fait différent de ce qu’a représenté la ville pendant plus d’un siècle (souvenez-vous… elle a représenté l’avenir par la liberté) : j’hésite encore à définir ces écrits, avec une touche de vrai sans doute, mais aussi de faux… je vous laisse apprécier le passage :
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« Samedi, San Francisco, c’est New York en pente. J’emmène Françoise visiter le quartier de Haight-Ashbury. Nous achetons des fringues hippies pour Sophie, la fille de Ludo. Je lui offre des vinyls de Jefferson Airplane. Elle m’offre une veste en jean « pour me déguiser en jeune ». La bagnole de location, mal garée, se fait verbaliser. J’ai encore la contravention chez moi, dans un tiroir. Parfois il m’arrive de la regarder pendant un certain temps, en apnée. Je vais la faire encadrer ».
« Lundi, Backflip, San Francisco, 3 heures du matin (il est midi à Paris). Je ne suis pas contre le principe du deejay en tongs mais au début, ça fait tout de même une drôle d’impression. Disons que son look va-nu-pieds l’oblige à assurer trois fois mieux ses enchaînements. Les filles ressemblent toutes à Cameron Diaz. Les mecs sont tellement en dessous, mal fringués, beaufs, dansant mal… C’est qu’à San Francisco, les beaux mecs sont tous homos et que le Backflip est un des rares clubs hétéros. D’ailleurs, même ici, les filles dansent entre elles. Ambiance Lesbian Chic chez les blondes cheerleaders. On sent qu’elles allument surtout pour éviter de baiser. L’homme semble ici, plus que partout, une créature dispensable ».[/box]
“San Francisco, c’est New York en pente.” : je ne pourrai pas vous le dire, puisque je ne connais pas New York ! Mais je sais en revanche que San Francisco est la deuxième ville la plus dense des Etats-Unis, après New York justement… Construite sur une péninsule entre l’Océan Pacifique et la Baie dite de San Francisco, le terrain de San Francisco y est fortement accidenté.
« Visiter le quartier de Haight-Ashbury ». Les mouvements sociaux des années 1960 à 1970 étant révolus, certains quartiers ne gardent que leur histoire, histoire elle-même reprise et transformée par les besoins actuels d’une ville mondiale. On « visite le quartier du Haight », on « visite le quartier de Castro », on « visite le quartier de Mission Dolorès » (très connu pour ses murals). Mais quelle est la vie de ces quartiers aujourd’hui ? Telle est la question que l’on pourrait se poser… San Francisco est aujourd’hui l’un des principaux centres touristiques des États-Unis, c’est aussi la ville la plus appréciée des Américains. La question n’est pas pourquoi (on le sait, San Francisco représente historiquement beaucoup dans l’évolution de la société américaine), mais comment cette appréciation, cette dynamique touristique mais aussi de peuplement transforme les mentalités des san franciscains ?
Le « Backflip ». Boîte de nuit certainement inventée par l’auteur, mais le problème n’est pas là. San Francisco a su garder quelques particularités issues des années 1970 : une ville assez particulière, totalement décalée et impressionnante. L’exemple du « deejay en tongs » ne m’est pas du tout étonnant. Mais la encore, on n’invente pas une nouvelle liberté, on reprend les acquis des années 1970 et on les transforme pour devenir hype et jouer dans la concurrence territoriale devenue mondiale.
Evitons l’amalgame : J’ai pu lire il y a quelques années que la composition familiale San-franciscaine était majoritairement des célibataires, couples sans enfant ou des petites familles (et en grande partie des catégories socioprofessionnelles supérieures : 60% de la population à SF est sortie diplômée d’une université). Les grandes familles (plus de 3 enfants) se trouvent principalement de l’autre côté de la Baie, notamment à Oakland où le prix du foncier est nettement moins élevé que sur la péninsule (San Francisco est l’une des villes les plus chères des Etats-Unis). Cet amalgame est certainement dû à sa qualité de « capitale gay mondiale ». Je ne dirai pas le contraire : San Francisco est LA capitale gay mondiale. Mais entendons-nous bien : le terme de capitale ne veut pas forcément dire que c’est dans cette ville qu’il y a le plus de personnes homosexuelles, la ville toute entière n’est pas gay ; en revanche, la ville tout entière est respectueuse du choix des uns et des autres. De plus, les mouvements sociétaux des années 1970 sont restés physiquement bien présents dans la composition urbaine : le quartier de Castro reste le quartier gay où toute l’histoire de la liberté sexuelle américaine a commencé. Mais aujourd’hui, San Francisco n’est rien de plus qu’une ville mondiale comme une autre : San Francisco possède un quartier gay, à l’instar de Montréal, Stockholm, Paris, Barcelone… Ce qui la diffère de ces autres villes concurrentes, c’est bien son histoire très particulière.
« Les filles ressemblent toutes à Cameron Diaz ». Êtes-vous déjà allé(e) dans une ville où toutes les filles n’étaient que beauté et légèreté ? Personnellement, non ! Mais là encore il y a amalgame. San Francisco est ici, je le pense très sincèrement, comparée à la Californie toute entière, elle-même très connue par les images de Los Angeles, les plages paradisiaques des séries américaines, des physiques masculins body-buildés et des filles courant sur les boardwalks à moitié nues et super attrayantes… désolé de vous décevoir chers lecteurs, la Californie n’est pas du tout ça ! La Californie, mises à part les villes de San Francisco et Los Angeles, est un État hyper conservateur (il suffit d’aller voir à l’intérieur des terres, vous verrez on se croirait dans Desperate Housewives avec Brie Van de Kamp à chaque coin de rue!). Après, comparer Los Angeles à San Francisco n’est pas à l’ordre du jour ! Ted Stanger, dans son livre assez comique « Sacrés Américains ! » écris sur une certaine rivalité entre les deux villes. Et pour avoir vu ces villes, je dirais qu’il n’y a aucune ressemblance entre San Francisco et Los Angeles ! Là encore, on peut voir le pouvoir des images territoriales qui s’opèrent sur un espace californien extrêmement grand : Los Angeles s’accapare l’image californienne, et à vrai dire, il n’existe pas d’entière et unique Californian way of life !
Revenons à nos moutons : quelle place pour San Francisco aujourd’hui ? Je dirai que San Francisco possède de nombreuses facettes liées à son histoire (hippies, droits homosexuels, épanouissement artistique…). Mais quelle est l’actualité de ses facettes ? En réalité, elles sont reprises par le phénomène de mondialisation qui agit assez sévèrement sur la ville : dans une volonté d’accueillir un maximum d’habitants (retombées fiscales), de préférence des classes supérieures (cf. quartier du Tenderloin) et un maximum de touristes, San Francisco vend ses bijoux de famille, elle vend du rêve, un mythe. Chacun est libre par la suite de visiter San Francisco selon son envie, ses humeurs : mais je constate très clairement que la liberté chérie des San Franciscains, acquise par de nombreuses révoltes pacifiques, est en train de se vendre à l’échelle planétaire. San Francisco perdrait-elle sa liberté au profit d’objectifs découlant de la mondialisation ? La mondialisation rend-elle prisonnière San Francisco et ses valeurs au point de la transformer en mythe ? This is the other side of the coin…