Vis ma vie de suburb dégénérescente de série B
A en croire de nombreuses séries outre atlantique, les suburbs virent mal, aussi mal si l’on devait s’entendre sur une comparaison bien à propos que le lifting d’un ex star de la chanson française. Depuis Desperate Houswives et le début des années 2000, la télévision américaine a semble-t-il liquidé l’image idyllique de ses banlieues, tournant en dérision l’esthétique des décors et les ambiances aseptisées de l’archétype urbain de l’american way of life. Des suburbs majestueuses, sacralisées par la télé des années 70 et 80, des soap operas moussant sous des douches de conneries et des familles publicitaires plastifiées de bons sentiments ne demeurent plus que de vagues échos, comme les restes d’une époque aujourd’hui prétextes à renouveler le genre par la déconstruction d’un modèle urbain esseulé, facteur de dégénération humaine.
La banlieue, cet objet ridicule et inquiétant
Des maisons et des seuils à se tromper d’entrer, des pelouses trop vertes pour être écologiques, des roses tellement rouges qu’on les croirait maculées de sang, et des habitants bizarres qui, malgré un sourire d’appoint paraissent se livrer dés qu’on leur tourne le dos à d’improbables rites zoophiles… Les suburbs de séries, loin de ce qu’elles évoquaient jusqu’il y a peu (Sept à la maison, Mariée deux enfants, Madame est servie, …) prennent aujourd’hui sous l’angle des scénaristes, une dimension plus inquiétante, oscillant entre l’illusion d’une vie, d’un environnement parfaitement rangés, et le tragique des histoires qui se nouent derrière leurs murs.
Dans cette critique plus ou moins avouée ou volontaire de la banlieue nord-américaine, Billard et Brennetot nous rappellent que plusieurs séries, à l’image de Desperate Housewives (Weeds, Suburgatory), ont entamé une déconstruction parfois violente et cynique de ces espaces, soulignant au travers de leurs génériques ou de certaines scènes, leur angoissante monotonie et la misère esthétique des éléments qui les composent :
« Plusieurs séries […] réinvestissent alors la critique de l’uniformité des paysages suburbains, censés se composer de résidences identiques et impersonnelles, juxtaposées le long d’avenues, elles aussi sans caractère. »
Déterminisme environnemental oblige, il n’est pas étonnant de croiser dans ces décors tout un tas de gens flippants, reproduisant inconsciemment la rigidité et le conformisme de leur lieu de vie à l’exercice du jardinage par exemple. Si l’évocation d’une série glauque pour enfants (Eerie Indiana) ne vous rappellera peut être rien, on y découvre dans le générique une scène troublante ou chaque habitant d’une même rue se prend à tondre le parterre d’herbe de sa maison, sur le calque parfait de son voisin. Une représentation, à l’image du générique de Weeds (http://www.youtube.com/watch?v=6fwwR9VmqRc) que Billard et Brenetot ne manquent pas de caractériser :
« La représentation des habitants comme des clones à la démarche automatique, tous vêtus à l’identique, accomplissant les mêmes actes aux mêmes moments, renvoie implicitement à la métaphore concentrationnaire […] La standardisation des paysages et des modes de vie se traduisent par une aliénation des individus et une dépersonnalisation de leur existence. »
La banlieue de série, fabrique de dégénérescences sociales
Sous le voile des décors, des choses et des êtres faux semblants, sous la dénonciation latente d’un modèle de ville en situation d’échec « plastique » et social, les séries font désormais des suburbs des fabriques de dégénérescences sociales ou se côtoient entre les murs et les palissades blanches des individus qui, malades de leurs conditions de banlieusards, n’auraient d’autre choix pour se sortir de leur misère sociale, économique ou psychologique, que de s’adonner à des actes que la morale ou la loi réprouveraient.
Sans forcément évoquer les beuveries d’ados décérébrés réquisitionnant le temps d’un weekend le domicile familial pour boire et partouzer, les suburbs seraient devenues le lieu de tous les vices de l’Amérique post-subprimes. Un lieu de débauches et d’avilissements en tous genres, d’épanchements addictifs et de crimes, un lieu ou des femmes tromperaient leurs maris et ou des mecs tueraient par pur plaisir ou, moins drôle, sous le coup d’une inclination naturelle…
Dans les séries, la violence aveugle des suburbs emprunte souvent la figure d’un personnage central, trouble et névrosé, incapable au fond de créer de véritables liens sociaux entre lui et son entourage : Dexter Morgan (Dexter), monstrueux mais attachant serial killer, Tony Soprano, mafieux et meurtrier angoissé (The Sopranos) ou encore Walter White, père de famille cancéreux et dealer de drogue dans l’excellent Breaking Bad, constituent ainsi autant de visages de banlieusards que les suburbs auraient indirectement façonné.
Derrière ces caricatures d’anti héro perdus entre leurs déboires personnelles et leur vie de criminels, nombreuses sont les séries à jouer sur la critique de l’entre soi et l’érosion des liens sociaux qui caractérisent ces territoires de la ville, que se soit dans les rues ou au sein même du domicile :
« Les scénaristes des nouvelles séries ne se lassent pas de présenter la rue comme un lieu d’échanges hypocrites et de surveillances perfides, tandis que les espaces intérieurs servent à l’expression des médisances et des infidélités les plus sombres, recyclant bon nombre de clichés sur la promiscuité étouffante attribuée traditionnellement à la vie pavillonnaire. […] Les suburbs débordent de parents despotiques, d’enfants caractériels […], de beaux-frères sans-gêne, de familles aux bords de la crise de nerfs, de voisins tantôt méfiants, tantôt envahissants. »
Qu’elles fassent l’objet des rires, de la satire sociale ou qu’elles prennent la forme d’une chronique sur le drame de l’existence humaine, les suburbs et la classe moyenne n’en finissent pas d’alimenter les scénarios des réalisateurs et des nouvelles séries américaines. Des médias qui y voient l’occasion d’interpeller la société sur le basculement en cours de certains de ses fondements urbains, d’une Amérique en proie à la crise et d’une civilisation glissant vers des cieux moins utopiques.
3 Commentaires
Vous mettez en avant la critique des banlieues américaines à travers les séries mais Tim Burton l’avait déjà évoqué dans « Edward aux mains d’argent » de manière bien plus subtile que dans les séries !
Vous avez raison d’évoquer Tim Burton. Et dans le monde du cinéma, ils ont été nombreux, avant même les auteurs de séries télé à évoquer l’idée d’une dérive sociale et urbaine des banlieues nord américaines. Il n’y a qu’à voir d’ailleurs les oeuvres de David Lynch pour s’en convaincre.
Grand Torino…