Deux Degrés : Pour un urbanisme autrement
Les jours de chômage ou d’emmerdes, bref ceux qui durent, il vous passe parfois de drôles d’idées par la tête. Parmi celles-ci, dont on ne citera pas l’intégralité sous peine de se compromettre au jugement de tous, la pensée 233 allait certainement occuper pour quelques minutes mon cerveau amolli. J’avais juste besoin d’une connexion internet et d’un peu de chance, histoire de voir figurer une catégorie « urbanisme » à la désencyclopédie de Wikipédia. Heureusement pour moi, Deux Degrés était passé par là…
L’urbanisme décomplexé
Mélange parfait et impertinent de prospectives utopistes et de réflexions improbables sur la ville de demain, Deux Degrés joue la provoc avec tact et intelligence, approchant à grands renforts d’humour le quotidien de l’urbaniste et de son travail. Une tâche souvent partagée entre analyses urbaines, plaquettes de com’ illustrator, réunions publiques interminables et schémas impossibles, façon pierre de rosette, dont seul Champollion détiendrait la clé de la description .
Des pelouses chauffées des stades à destination des SDF, en passant par les ponts de faune, idéals pour les chasseurs en mal de captures, ou encore des études sociologiques sur l’impact des roots en ville, Deux Degrés aborde l’urbanisme et ses activités sous l’angle de la dérision, associant souvent avec justesse un discours pseudo-professionnel à des thématiques d’études qui virent très rapidement au grand bordel.
L’analyse sociale de la ville et des grands principes, relayés parfois sans préalables intellectuels par les modes de faire des acteurs du territoire, constituent un terreau favorable aux réflexions décalées du collectif. A ce titre, la mixité, les éco quartiers ou encore la densification et les économies d’énergies souvent invoquées dans les projets d’urbanisme à la manière d’un leitmotiv, deviennent vite prétextes à l’ironie.
Ceux que la société rejette, Deux Degrés les intègre
Ce que la ville engendre de marginaux et de misère sociale, Deux Degrés en fait une force. Pas étonnant dans ce cas de retrouver la figure du clodo, du rappeur, de la prostituée ou du punk à chiens dans nombre de leurs études. Si leur présence croissante dans la ville interpelle sur l’état de notre société (et c’est particulièrement vrai pour les rappeurs), elle n’en demeure pas moins pour Deux Degrés une formidable opportunité face aux défis de la ville écologique, créative, ou de la décroissance économique :
« Les clochards, on les tolère, parce qu’ils ne volent pas d’argent public comme ces salauds d’assistés au RSA. Par contre, leur présence nous dérange un peu, ça fait tache dans un bel espace urbain. C’est pourquoi nous militons pour l’intégration paysagère des clochards…quelques milliers d’euros de budget par commune pour l’achat de déguisements et hop, tout le monde retrouve le plaisir de marcher paisiblement dans une rue animée. »
Des démarches peu coûteuses, et qui embellissent la ville, à la sobriété énergétique du clochard, modèle d’individu parfait pour écologistes extrémistes, Deux Degrés réserve également un traitement de choix aux punk à chiens et autres roots dans l’âme qui contribuent largement à dynamiser certains secteurs économiques de la ville :
« Attirés par les nombreux festivals qui ont lieux en Bretagne, certains individus parviennent à se sédentariser et contribuent à créer ce que l’on pourrait définir comme des micros-polarités roots aux abords des boutiques d’encens, de masque africains et de tatouages au henné. Ce phénomène est complémentaire des « hubs roots » qui se forment à proximité des gares et vivent d’une économie de subsistance liée à l’industrie du tabac et des pharmacies de garde. »
Militer pour une ville plus fun, moins ségrégative, et pour plus de filles
Derrière la plaisanterie qui ne manque d’évoquer en latence la condition moderne de l’urbaniste, erreur du darwinisme professionnel, pas utile pour deux sous face aux lobbies ingénieurs et architectes, Deux Degrés entend bien contribuer avec plus de sérieux à rendre la ville plus cool pour tous et à militer pour plus de filles.
Les handicapés ou les obèses, les vieux (catégories croissantes de la population urbaine), ou encore les agoraphobes et les allergiques (catégorie toute aussi explosive que celle du troisième âge), font ainsi l’objet de réflexions approfondies de la part du collectif, qui tente par tous les moyens de répondre à leurs problèmes et à faire de la ville un espace ouvert et praticable pour tout un chacun.
« Nous, on aime les handicapés et on veut les aider mais on ne comprend pas comment on choisit les handicapés que l’on doit aider ? Pourquoi les gens en fauteuil roulant et pas les gens avec les pieds de travers ? Alors, parce qu’on a beaucoup regardé les émissions de Jean-Luc Delarue, on milite pour une escalade de la prise en compte de tous les handicaps en ville. »
Le résultat : des trottoirs qui s’adaptent aux chaussures pour les personnes atteintes de pied bot, des feux de circulation pour agoraphobes qui distribuent et limitent le trop plein de circulation piétonne, et surtout moins d’arbres en ville, histoire d’économiser quelques crises d’éternuements et la perte intempestive de dentiers. Pour Deux Degrés l’inclusion de tous les publics, loin des discours bien pensants sur la mixité sociale, représente bien un préalable à une ville plus fun. Une conception de la vie urbaine qui passe également par certaines réflexions sur la fête :
« […] transformer le tramway en lieu de fête qui circule toute la nuit. Il n’y a plus alors de problème pour rentrer puisque on boit dans le tramway qui fait des allers retours jusqu’au matin. On peut même supposer que les arrêts de tramway se transformeront en arrêt-bar depuis lesquels les fêtards rentreront ou descendront des rames, fumeront, changeront d’ambiance…ce qui veut dire que ces arrêts peuvent déplacer les bars tout le long des axes de transport en commun. »
Mais comme une fête sans filles, ca ne vaut rien, ou que les villes, comme les boîtes de nuit ont tout intérêt à compter sur la présence de filles pour attirer les investissements à elles ou faire du développement durable, Deux Degrés entrevoient également la construction du futur des métropoles par les femmes, envisageant ces dernières comme autant de moyens pour promouvoir la redynamisation des villes moyennes, la piétonisation, la limitation de l’étalement urbain ou encore l’usage des transports en commun :
« La mise en place d’un mannequin dans un bus a pour but de rendre attractif le trajet, fidéliser une clientèle grâce à des horaires précis, voire réduire le besoin en contrôleurs si le mannequin est judicieusement placé à proximité de la borne pour valider son ticket. »
Comme un début de consécration, Deux Degrés était d’ailleurs récemment invité lors d’une conférence organisée par le cycle d’urbanisme de Science Po Paris. Le thème de la rencontre, je vous le donne en mille : Les urbanistes vendent-ils du rêve? Si la réponse à cette question reste encore en suspend, pour Deux Degrés, en revanche, cette dernière semble toute trouvée!
Pour aller faire un tour sur le site de Deux Degrés, c’est par ici!
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Merci pour cette découverte !