La ville, avenir de l’agriculture?
Les enjeux de l’alimentation de proximité n’ont jamais été aussi prégnants que ces dernières années. Face à l’explosion des coûts, qu’ils soient économiques et à mettre en rapport avec nos modes de vies, ou écologiques, lorsque ces mêmes modes de vie alimentent les excès et les rejets polluants, se nourrir près de chez soi et de manière responsable est devenu une véritable problématique urbaine. Alors que les idées et les démarches foisonnent autour de la question et que des réseaux promouvant les circuits courts alimentaires se mettent en place, force est de constater que la ville se perméabilise de plus en plus à l’agriculture, transformant jusque dans ses fondements cette activité dix fois millénaire…
Quand la ville redessine et transforme les espaces de l’agriculture
Bien sur, la ville s’étale, bien sur la ville grignote et digère chaque année des centaines d’hectares de terres arables. Pourtant ce que ses détracteurs oublient souvent de voir, c’est que cette dernière réinvente aussi, au sein même de son tissu, les pratiques et les activités d’une agriculture abandonnée au lendemain des années 40, aux mains des marchés agroalimentaires. Ca et là, certains pans d’urbanité tendent ainsi à se confondre en une espèce de ruralité hybride, pas tout à fait à l’image d’Epinal de la campagne, pas tout à fait à celle de la « cité moderne ».
Sur le stade de foot, de drôles de joueurs, en fait, des moutons en pâture, interpellent le citadin. Le principe d’estive urbaine expérimenté par certaines collectivités, notamment par la municipalité de Lyon à Gerland, tient de ces nouvelles formes que la ville a pu donner à la pratique agricole (et inversement d’ailleurs). Sur des espaces urbains enherbés, l’estive réinterroge certains principes de gestion, de qualité et d’usages partagés des biens publics comme elle contribue à offrir de nouveaux lieux d’activité et de production pour les éleveurs.
Dans un autre genre qui relève moins de l’importation directe de pratiques agricoles que de leur émergence, nombreuses sont les métropoles à s’engager sur la voie de projets urbains intégrant à leur fonctionnement, l’idée d’une production alimentaire locale. Directement inspirées des nouvelles formes de partage agricole en ville et des jardins collectifs de particuliers, des expériences publiques fleurissent dans le cadre foncier complexe et tendu de certaines villes.
Dans le quartier de Beacon à Seattle, un vaste projet engagé par une association et récemment repris par la ville, prévoit ainsi de développer une forêt comestible de trois hectares dans le but de produire non seulement du bois de chauffage, mais aussi et surtout de la nourriture en libre service à destination des habitants.
Forêts comestibles, parcs ou lotissements agricoles, pâturages urbains,… derrière les associations sémantiques parfois paradoxales se dessinent de nouvelles formes d’espaces, lieux d’urbanité à la fois vecteur de partage, d’échanges et de production alimentaire. Au centre de ces hybridités urbaines, un autre paradoxe redessine l’activité agricole, et s’il en modifie les fondements industriels, contribue également à la rapprocher de ses origines, d’un temps ou, tenue dans la proximité, elle participait à la construction des liens sociaux et de la vie en collectivité.
L’homme de la ville, dernier agriculteur d’une révolution alimentaire ?
L’avènement des sociétés urbaines et industrialisés a fait de l’agriculteur une espèce en voie de disparition. Alors que dans le monde, leur effectif reste encore important, en France, seule 3% de la population active détient aujourd’hui le rôle de producteur alimentaire. Un constat qui, souligné par le virage progressif de l’agriculture urbaine, nous laisse entrevoir la naissance de nouveaux paradigmes professionnels. Alors que Mendras décrivait à la fin des années 60, la fin de la figure du paysan, l’agriculteur qui lui a succéder pourrait bien passer le pas à son homologue des villes.
Alors que certaines métropoles, dont Détroit constitue le visage emblématique, amorcent une espèce de révolution agricole conjoncturelle, de nouveaux types d’agriculteurs urbains, néologisme oblige, d’urbagriculteurs, apparaissent sans pour autant avoir entretenus de liens culturels ou générationnels avec l’activité traditionnelle ou industrialisée de la terre.
Anciens salariés du secteur privé au chômage, artistes, retraités des villes ou encore étudiants constituent aujourd’hui avec d’autres actifs, une nouvelle cohorte d’agriculteurs et de travailleurs agricoles. Des profils hétérogènes qui accompagnent peu à peu le glissement d’une activité professionnelle et « rurale » vers une pratique culturelle et urbaine nouvelle, retraçant en substance les rapports et les contours de l’homme à l’alimentaire et à la gestion des ressources nécessaires à son alimentation.
Si la pratique agricole urbaine est aujourd’hui davantage le fait d’une poignée d’acteurs et d’initiatives personnelles, elle pourrait bien se structurer et amener la naissance de nouvelles professions, à l’image des réflexions déjà engagées par le collectif des Ekovores et dont nous vous parlions ici il y a quelques temps…
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