Déjà le mois de juin, et la chaleur est bien réelle, prémisse de canicule pour l’Européenne que je suis. Mais plus encore que les températures élevées, et que le ciel nuageux renforçant cette impression étouffante, ce sont les habitudes estivales japonaises qui m’interpellent.
Depuis la catastrophe du 11 mars 2011 [1] et ses conséquences dramatiques sur la centrale nucléaire de Fukushima, le parc nucléaire japonais se détache petit à petit de ces centrales. Le 5 mai dernier, des 54 réacteurs nucléaires que compte le Japon, la dernière unité en fonction sur l’île d’Hokkaido, au nord de l’archipel a été arrêté. Officiellement, elles sont en maintenance ou en test de résistance face aux menaces (séisme et tsunami en tête). Officieusement, la pression de la population riveraine et le traumatisme du 11 mars ont fait plier les dirigeants les plus résistants… mais pour combien de temps encore [2].
Même si le parc nucléaire japonais est / était le troisième plus important dans le monde après celui des États Unis et de la France, il correspondait à un peu moins de 30% d’électricité produite nationalement [3], soit 11% de la consommation totale d’énergie [4].
Le gouvernement a fait au plus vite après le 11 mars, et au fur et à mesure des arrêts de centrale, les importations de pétrole et de gaz ont augmenté de manière considérable. Couplée à cette décision de solliciter d’avantage les centrales thermiques, une politique de baisse de la consommation d’énergie a été mise en place.
Le premier juin marque le début de la période des grosses chaleurs japonaises, mais aussi le commencement de « Cool Biz style« . Depuis 2005, cette campagne lancée par la ministre de l’environnement de l’époque Yuriko KOIKE promeut un style vestimentaire plus adapté en été afin de réduire l’utilisation de l’air conditionnée (ne pas descendre en dessous de 28°).
Il faut savoir qu’au Japon l’apparence, le paraître, est tout aussi important, parfois même plus, que l’être. Ainsi Salarymen et Office ladies, été comme hiver, abordent les mêmes tenues costumes-cravate et tailleur, car il serait incongru de la part d’une entreprise d’accueillir un client en ne portant qu’une chemisette.
« Cool Biz » fait partie d’une campagne plus importante appelée « Team minus 6% « qui avait pour objectif de réduire la production japonaise de gaz à effet de serre de 6% en faisant participer les entreprises et les particuliers. Diverses actions et campagnes sont mises en place sous l’effigie de « Team minus 6% », notamment « I declare CO2 reduction of 1kg 1day 1person « donnant une liste de 39 actions quotidiennes possibles afin de réduire la consommation d’énergie et donc la production de gaz à effet de serre.
Les suggestions n’ont rien d’étonnant et sont similaires à nos « il n’y a pas de petits gestes lorsque l’on est 60 millions à les faire » : s’habiller en fonction de la saison, débrancher les appareils inutiles, dire non au suremballage / apporter son propre sac de courses, etc. Sauf que…
Arrivée au Japon en octobre 2011, je me suis rapidement aperçu que notre admiration pour le pays du soleil levant en matière d’écologie était plus basée sur le fantasme que sur la réalité, et que les habitudes nippones, synonymes ici de traditions, étaient ancrées dans leur quotidien.
A ma grande surprise, l’éclairage public est minimaliste quand il n’est pas tout simplement absent. Le Japon est connu et reconnu pour la grande sécurité qui règne dans ces rues. Et l’on s’habitue rapidement à marcher le soir dans la pénombre d’une ruelle sans avoir la peur au ventre.
Par contre le passant nocturne autant que diurne est constamment sollicité par des enseignes lumineuses plus ou moins animées, par des écrans de télévision (des petites télés présentant l’établissement aux écrans géants sur les façades d’immeuble) et par les distributeurs de boissons, chaudes et froides, qui sont présents partout dans la ville.
Les lieux de consommation, espaces s’étalant sur de larges superficies et sur plusieurs étages, sont construits de telle façons que la lumière naturelle n’y est pas toujours admise (peut-être dans un souci d’isolation afin de conserver la fraîcheur ou la chaleur) et est remplacée par des ampoules non-économes en énergie. Les salles de jeux, arcades et autres pachinko, consomment d’autant que leurs machines sont allumées plus d’une quinzaine d’heures par jours.
Pourtant, en cette fin de printemps, ce qui surprend immédiatement est l’utilisation de l’air conditionnée (AC). Les bouches extérieures symbolisant l’AC parsèment déjà les bâtiments privés ou publics, quelle que soit la taille de la ville, quelque soit son environnement. Mais il est frappant lorsque l’on se promène dans la douce chaleur de l’après-midi supportable grâce à une petite brise fraîche, de voir les voitures vitres fermées, le bouton de la clim enfoncé quelque soit la distance à parcourir. Plus inquiétant, l’air conditionnée n’est pas dosée et en entrant dans un bâtiment la différence thermique est notable et souvent désagréable. Ce qui en soit peut faire du bien sur le moment, mais qui rend le retour en extérieur difficilement supportable.
Un exemple alarmant du manque de responsabilité des Japonais vis à vis de l’utilisation excessive de l’air climatisée a été, l’été dernier, la climatisation du hondori d’Hiroshima. Un hondori est un quartier commerçant, souvent situé en centre ville, composé d’une ou plusieurs rues couvertes. Dans le cas d’Hiroshima, la rue a été rafraîchi pour que les magasins eux-mêmes climatisés puissent laisser leur porte d’entrée ouverte afin d’accueillir les clients comme il se doit.
Ces exemples qui peuvent faire crisser des dents, sont une goutte d’eau face à l’ampleur de la tâche que le Japon doit accomplir pour atteindre l’équilibre du développement durable. L’économie du consommable instantanément et du jetable est toujours aussi présente et appréciée au Japon : baguettes en bois, serviettes de bienvenue (appelées ‘oshibori’), les verres en carton, les stickers déodorant (le déodorant en stick est rare et cher) / rafraîchissant ou chauffant à utilisation unique, les ‘100¥ stores‘, … Les mesures d’urgence pour économiser l’énergie semblent ne plus avoir cours, les ascenseurs et autres escalators tournent à plein régime malgré les timides politiques de certaines villes.
Alors que le Japon investi dans le nucléaire depuis 1973 afin d’être autonome énergétiquement et, depuis le protocole de Kyoto en 1997, afin de réduire ses émissions de gaz à effet de serre, l’aversion de l’opinion publique pour ce moyen de production énergétique à cause de la catastrophe de Fukushima oblige le gouvernement à revoir sa copie.
Un livret blanc est paru en octobre 2011, cherchant à réduire la dépendance du Japon vis à vis du nucléaire au profit des énergies renouvelables mais aussi essentiellement du gaz. Pour autant l’abandon du nucléaire n’est pas à l’ordre du jour.
Notes
[1] Explication résumant la situation une dizaine de jours après la catastrophe (Article de L’Express.fr du 26 mars 2011)
[2] Redémarrage des centrales prévu pour l’été (Article de Rue89 du 21 juin)
[3] Production japonaise nationale en 2008 : charbon 28%, nucléaire 27%, gaz 26%, … (http://www.statistiques-mondiales.com/japon.htm)
[4] Consommation japonaise nationale en 2008 : pétrole 46%, charbon 21%, gaz naturel 17%, nucléaire 11%, énergies renouvelables 4% (http://www.eia.gov/countries/cab.cfm?fips=JA )
Bibliographie par ordre chronologique
25 mars 2011 (Màj le 4 avril 2011) – L’Express.fr. Séisme, tsunami, catastrophe nucléaire. Comprendre la catastrophe au Japon
Vue le 28 mai 2012
18 janvier 2012 – DUHAMEL Guillaume (thegreenweb) – Depuis l’accident de Fukushima, les Japonais font des économies d’énergie une priorité.
Vue le 28 mai 2012
21 mars 2012 – Janick MAGNE (EELV, Sortir du nucléaire n°52) « Setsuden », les mesures d’économie d’électricité au Japon
Vue le 28 mai 2012
16 avril 2012 – ConnaissancesDesEnergies.org. Les tribulations du nucléaire au Japon.
Vue le 28 mai 2012
5 mai 2012 – Le Monde (avec AFP) Le Japon a cessé, provisoirement, de produire de l’énergie nucléaire.
Vue le 28 mai 2012
21 juin 2012 – RIBAULT Thierry (Rue 89). Japon, un désastre nucléaire et ça repart.
Vue le 25 juin 2012