Au bord de la Baltique, sur l’île de Rügen, une barre d’immeuble peu connue des allemands eux-mêmes, provoque l’embarras des élus locaux. Et pour cause : le site de Prora, à 300 kilomètres au nord de Berlin, constitue avec le stade de Nuremberg, l’un des héritages les plus colossaux de l’architecture nazie. Une cité balnéaire achevée mais jamais ouverte au public, un alignement de béton et de briques de 4,5 kilomètres de long qui interroge l’histoire tout comme l’avenir de ce morceau de plage.
Entre tourisme de masse et contrôle des masses
A l’origine, « la cité balnéaire des 20 000 », référence au nombre de lits qu’elle devait abriter, marque dés 1936 l’ambition du projet « socio-touristique » de l’Allemagne nazie. A cette époque, la politique s’oriente alors vers la création d’un tourisme organisé et homologué par le régime pour les ouvriers du Reich.
Sous le voile apparent des « bonnes intentions », celles d’offrir des infrastructures récréatives aux travailleurs allemands, la démesure et l’organisation du site de Prora questionnent.
Symptomatique d’un pouvoir inflexible et autocratique, « la cité balnéaire des 20 000 » c’est d’abord comme nous le rappelle Sylvain Malfroy, professeur en histoire de l’urbanisme à l’Ecole Polytechnique de Lausanne, « la conviction que seule une organisation de type militaire peut maîtriser les défis de la société industrialisée moderne, avec ses masses ouvrières ».
A ce titre, Prora ne serait alors rien d’autre qu’une espèce de « machine de remise en forme » vouée à accroître la productivité du travail. Une architecture instrumentalisée au service d’une économie et d’une doctrine fonctionnaliste implacable.
Un colosse difficile à reconvertir
Passé au lendemain de la guerre sous la tutelle des communistes, Prora devient alors un vaste complexe de logements pour les troupes de l’Armée Rouge puis bientôt pour celles de la RDA.
Depuis la réunification, une large partie du site demeure à l’abandon, offrant le triste spectacle d’un squelette de béton perclus de traumatismes, aux fenêtres et aux murs éventrés. Pas question néanmoins de le faire sauter : « ce serait faire disparaître un témoignage de l’histoire dont le principal mérite est d’être dérangeant. Ne pas avoir de passé nous priverait de la possibilité d’évoluer » rappelle Sylvain Malfroy. Par ailleurs le « bâtiment » est un site classé depuis 1993.
Que la cité soit « patrimonialisée » est une chose, trouver maintenant quoi en faire en est une autre. Trop grand, trop démesuré pour penser sa reconversion complète, Prora fait malgré tout l’objet d’un certains nombre d’attentes.
Pas facile, au regard de l’état de délabrement du complexe, de créer des dynamiques de réhabilitation, qui se heurtent inévitablement aux objectifs de rentabilité. Le simple ravalement d’un des cinq blocs est estimé à plusieurs dizaines de millions d’euros, sans parler des travaux d’isolation ou de remise en état de l’intérieur…
Une auberge de jeunesse et un nouveau site touristique
Malgré les contraintes, le renouveau du site a récemment débuté. Une auberge de jeunesse de 400 lits, l’une des plus grandes d’Allemagne, a ainsi ouvert l’année dernière sur près de 150 mètres d’une des sections du complexe (AFP). La rénovation des murs, achetés pour l’euro symbolique, a néanmoins mobilisé après deux ans de travaux, 27 millions d’euros, dont une partie financée par des fonds européens.
Mais la transformation du site ne devrait pas en rester là. Dernier investisseur en date, un berlinois a ainsi acheté l’un des cinq blocs que compte la cité, pour une valeur de 2,75 millions d’euros, jouant au passage, le jeu de la spéculation (le précédent acquéreur n’ayant déboursé que 120 000 euros pour le même bloc). Une acquisition qui devrait donner lieu à la création d’un vaste complexe touristique avec appartements, hôtel et spa, « …là ou la mairie aurait souhaité une école de tourisme ou une université de la mer » souligne l’AFP.
Source AFP et Swissinfo