Lisibilité urbaine et signalétique du transport parisien [Entretien avec Jérôme Denis]
Il y a près d’un an, la division Gares & Connexions de la SNCF mettait progressivement en place une nouvelle signalétique dans les gares. Parmi les évolutions les plus notables de cette nouvelle signalétique, les rares articles qui en ont parlé ont souligné la mise en place d’un code couleur : le bleu clair sert à informer sur les trains, le jaune sur les services et le vert clair sur l’intermodalité (offre de transport dans et autour de la gare).
Au delà de l’aspect cosmétique, la signalétique façonne l’espace de la gare autant qu’elle le décompose. Pour le voyageur, c’est bien souvent un élément anodin du paysage d’une gare, des panneaux qu’on regarde d’un clin d’oeil pour sortir de la gare ou continuer son trajet.
Chers lecteurs, nous vous invitons à explorer le monde de l’ « infra-ordinaire » que décrit Georges Perec : ce qui semble tellement aller de soi que nous en avons oublié l’origine . Pour cela, nous avons demandé à Jérôme Denis, sociologue à Télécom ParisTech et co-auteur de l’ouvrage « Petite sociologie de la signalétique. Les coulisses des panneaux du métro » avec David Pontille aux Presses de l’Ecole des Mines, de remettre en perspective la nouvelle signalétique de la SNCF dans les mutations des transports et des gares. Interview.
Quel est le rôle de la signalétique dans les transports ?
C’est quelque chose qui a un peu évolué au fur et à mesure des années entre un objet qui servait essentiellement pour des raisons de sécurité à faire sortir les gens vite et efficacement, notamment dans le métro car c’est un endroit dangereux, souterrain avec des risques d’incendie. Petit à petit, de manière hétérogène et non coordonnée, avec la complexification des réseaux de transport, c’est devenu l’occasion de présenter des correspondances et la sortie vers la ville. C’est aussi un outil d’articulation et de tricotage des réseaux de transport avec la ville : on indique dans les réseaux de transport ce qu’on peut trouver de la ville et dans la ville ce qu’on peut trouver des réseaux de transport.
C’est l’objet qui fait le lien dans des lieux dont l’architecture ne porte pas forcément la signification facilement, des espaces qui ne sont pas faciles à « lire » et où la signalétique a joué le rôle de mode d’emploi des lieux. Il faudrait faire une histoire d’un objet particulier comme la flèche qui signifie que si on va par là, on trouvera ça. Les signes de la signalétique sont très particuliers car ce sont des « mots d’ordre » comme l’expliquent Deleuze et Gattari, c’est-à-dire des signes qui ne représentent pas quelque chose, mais qui indiquent « allez par là ». C’est un outil de discipline, qui oriente dans les deux sens du terme, même si on n’est pas obligé de la suivre. Elle fait partie des dispositifs d’organisation de l’espace, autant que l’architecture, même si elle est moins contraignante mais en même temps très puissante dans des lieux où l’architecture n’est pas suffisante pour donner sens, contrairement à la ville où on peut retrouver des quartiers et où on peut voir plus loin pour se repérer.
Comment la signalétique a évolué dans les transports ?
Bien que je connaisse plus le cas de la RATP, il y a une tendance à la standardisation dans la signalétique qui repose sur un présupposé, des théories, selon lequelles les gens se retrouvent plus facilement s’ils retrouvent la même forme tout le temps. Ce choix autant graphique que politique fait du signaléticien un opérateur de stabilité et d’ordonnancement du monde. Pour la plupart des signaléticiens, il est impératif de fabriquer de la permanence : faire que le chiffre 3 soit identique sur l’ensemble du réseau autoroutier, dans une série de gares ou dans le métro et que c’est comme ça que les usagers vont se repérer. La signalétique se standardise et les aéroports sont les lieux où c’est le plus visible, avec même des association internationales professionnelles autour de la signalétique aéroportuaire. Les grands noms de la signalétique ont instauré des codes : des genres de typos comme le Sans Serif, des emplacements à privilégier…
La deuxième grande évolution, c’est la prolifération de la signalétique : il y a de plus en plus de panneaux dans les lieux de transport et dans les lieux publics en général. Il est très difficile de dire si c’est guidé par un besoin ou par l’offre, même si l’offre présuppose un besoin. La signalétique est vue comme une nouvelle interface avec le monde qui doit être permanente, avec des enjeux complexes, parfois sécuritaires, parfois commerciaux, parfois politiques.
Comment la signalétique diffère entre les pays ?
Elle ne diffère pas forcément mais deux genres se distinguent entre les signalétiques qui se basent sur du texte et celles qui se basent sur des icônes.
La signalétique du métro newyorkais écrit la plupart des informations (cc flickr bhermans)
New-York est le cas typique d’une signalétique qui écrit tout (« le train B ne passe que les weekend et les jours fériés », « la sortie est à l’autre bout du quai ») alors que d’autres signalétiques condensent le message en un ou deux objets graphiques. A Paris, l’un des gros travaux a été de simplifier le plus possible les signes dans des icônes.
L’autre spécificité de Paris, c’est de disposer des panneaux absolument partout, il n’y a pas un endroit dans le métro parisien qui n’a pas de panneaux. Il y a encore plein de métro dans le monde dans lesquelles il n’y a pas de plan de métro et où on n’a pas moyen de savoir quelle direction suivre avant de descendre le quai, c’est flagrant à Montréal où le plan du réseau n’est pas dans le hall des stations par exemple. On se rend compte que c’est une pensée complexe : la signalétique du métro parisien présuppose que le voyageur peut ne rien savoir, elle offre un mode d’emploi complet avec lequel on n’a pas besoin de préparer son voyage à l’avance ni de demander aux autres. Les grandes différences sont liées au fait que l’on accepte où non que les usagers demandent aux autres, ou que l’on suppose qu’il sache se débrouiller et préparer son trajet. La signalétique pose la question du degré d’information qu’on donne au voyageur.
Dans la signalétique de la RATP, un changement radical a été l’abandon des capitales au profit du « cap et bas de casse » (minuscules avec une seule capitale en début de phrase), articulé à un rapetissement des items pour miser sur la possibilité de reconnaître les mots au lieu de les lire. Que l’on puisse distinguer facilement « Château de Vincennes » de « La Défense » par exemple. C’est du confort pour l’usager, mais c’est aussi lié à un enjeu de circulation et de fluidité du réseau : lire prend du temps alors que reconnaître est censé être quasiment immédiat.
L’enjeu est aussi politique : cette reconnaissance des mots est accessible aux illettrés. C’était une des problématiques fortes de la RATP qui souhaitait à l’époque, entre autres choses, faciliter l’accès à son réseau pour une population issue des banlieues qui ne savait pas forcément bien lire le Français. C’est aussi ce que permet la standardisation des couleurs des lignes par exemple.
Comment se déroule dans l’espace d’une gare ou du métro la concurrence sémiotique entre les différentes signalétiques ?
Ce qu’on a montré dans le livre avec David, c’est qu’il y a une véritable écologie graphique dans les villes, une concurrence pour occuper l’espace, dont le graffiti fait partie par exemple. Les collectivités ne s’en rendent pas forcément compte alors que c’est essentiel. Si on dessine une super signalétique sans prendre en compte ce qu’il y a autour, on ne comprend pas vraiment les enjeux. Il y a un enjeu très complexe entre les espaces du métro et mais encore plus dans une gare. Les espaces du métro sont beaucoup plus facilement contrôlables : beaucoup moins hybrides, il y a moins de commerces. Ça n’est pas qu’une question de graffiti : à la RATP, la nouvelle signalétique a été pensée en articulation avec une vraie reconfiguration des espaces, de leur design, etc. La standardisation de la signalétique a été l’occasion de contrôler en partie l’affichage publicitaire en restreignant le nombre de 4×3 selon la longueur des quais, la pub était contenue par la signalétique. Pour certaines personnes à la RATP (mais pas à la régie), la signalétique ce que l’épigraphe Armando Petrucci appelle un opérateur de maîtrise de l’espace graphique : on va effacer les graffitis, avoir des espaces très propres et on ne va pas avoir trop de pub.
Alors que ce qu’on voit à la SNCF, c’est que la signalétique arrive plus tard, de manière autonome et après plein d’autres prérogatives et ne va certainement pas être l’occasion de questionner l’espace de la pub. Cela doit venir du fait que dans l’organisation, les personnes chargées de la signalétique (si elles existent à moins que ce soit une agence externe, ce qui change tout évidemment) ont moins de pouvoir que les personnes de la régie. L’écologie organisationnelle de la SNCF, qui est le contre-pied de l’écologie graphique, est sans doute beaucoup plus complexe qu’à la RATP ce qui influe sur la place de la signalétique par rapport à d’autres signes. Rien ne dit qu’à la RATP la cause de la signalétique ne va pas retomber : dans notre livre, on avait vu que seules une quinzaine de personnes la défendent véritablement, ont des postes qui lui sont explicitement attachés, dans une organisation de 44 000 employés.
Que retenir de la nouvelle signalétique de la SNCF par rapport à l’expérience de la RATP ?
On voit des leçons qui sont exactement les mêmes : standardisation, le jeu sur les couleurs, le cap et bas de casse… Après, on voit des choses différentes comme le plan en très grand qui donne à comprendre l’espace dans son ensemble, la plateforme, et dessine le lieu dans sa dimension de hub.
Evidemment, ce qui saute aux yeux, c’est que ça ne saute pas aux yeux. La signalétique est discrète, ne sature pas trop, mais il faut la chercher car les habitudes prises dans ce lieu ont été faites sans elle. On voit aussi une cohabitation entre l’ancienne signalétique et la nouvelle, ce qu’on avait observé aussi à la RATP et qui se comprend moins bien car le changement sur une gare est moins énorme que sur l’étendue du réseau de la RATP. Après, il y a des questions auxquelles on n’a pas de réponse : soit c’est encore en cours, soit c’est par manque d’argent, soit des guerres de territoire entre des sous-écologies de la SNCF qu’on ignore.
Il y a quand même une distinction forte entre les espaces avec le code couleur dans la nouvelle signalétique de la SNCF…
Oui mais cette distinction reste sur les panneaux, elle n’est pas marquée dans l’espace par de la peinture ou des dispositifs qui feraient vraiment du zonage comme il peut y en avoir dans les aéroports ou les musées. Dans ces lieux, on a au sol ou sur les murs la possibilité d’éprouver le fait d’être dans une zone différente. Là, c’est quelque chose d’assez classique comme à la RATP avec le marron pour la culture ou le gris pour les services.
Et puis c’est un code-message fondé sur des catégories qui présupposent des choses compliquées comme l’idée que les toilettes sont du service. Ce sont des catégories organisationnelles, voire la distinction d’endroits sous concession, alors que les usagers ne pensent pas du tout comme ça. Par exemple, il n’est pas évident que le bus et la location de voitures soient dans le même registre pour les personnes alors que c’est indiqué en vert.
Retrouvez les travaux de Jérôme Denis sur les écrits dans la ville en brèves sur le blog Scriptopolis
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Lisibilité urbaine et signalétique du transport parisien. Excellent article sur un sujet trop rarement abordé. http://t.co/xP3bLKH7
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L’analyse est très pertinente, j’ai appris des choses. J’apprécie les études sur les impacts de la signalétique dans notre environnement quotidien et spécialement dans les gares. Je partage l’article sur les réseaux sociaux.