Depuis l’annonce de la sortie du prochain opus de la saga Sim City, beaucoup d’entre vous vivent dans la fébrilité et l’attente, oubliant même de manger. Plus qu’une simple distraction, pour les urbanistes, le city builder a quelque chose qui tient du neuroleptique. Une sorte d’outil, de machine merveilleuse qui les affranchirait des contraintes, de la servitude des codes et des inerties sociales. Autant de merdes qui pèsent sur leurs journées de professionnels et les rendent probablement assez irritables en soirée pour qu’ils finissent par ne plus éprouver le moindre désir pour l’être ou l’objet qui partage leur lit…
Une forme de thérapeutique à son statut
L’urbaniste est une espèce bridée dans ses aspirations, au moins autant qu’un scooter entre les mains d’un collégien responsable. Une erreur du darwinisme professionnel s’il fallait inventer ce concept. Il n’y a probablement pas un jour qui passe sans que ce triste humaniste, pourtant plein de bonnes intentions et de mixité sociale dans la tête, ne se heurte au plafond trop bas de sa condition.
Lorsqu’il rentre chez lui, qu’il se dit que sa journée n’aura été qu’une succession de refus et d’emmerdeurs qui refusent, l’urbaniste trouve dans le city builder une forme de thérapeutique à son statut. Ce même statut qui, avant de lancer sa partie de SimCity, juge-t-il très certainement entre celui du lama albinos de cirque et du petit enfant népalais, lui aussi albinos mais surtout attentif au contrôle qualité du Smartphone qu’il vient de fabriquer.
Dans un city builder, il n’y a pas de concours d’ingénieur inaccessible, encore moins de décideurs au dessus de vous. Il n’y a que des possibles, sans entraves, sans habitants doués de contradictions et surtout sans lobbyings. Dans un city builder, l’urbaniste joue à ce à quoi il voudrait ressembler. Si ce n’est à cet agent secret génial, l’image de cet architecte brésilien à qui l’on confierait ni plus ni moins que la réalisation d’un monde.
Réaliser son projet sans encombre et sans amphibiens
Dans un city builder, personne ne vous emmerde. Quelques expropriations plus tard, une centaine tout au plus, vous tracez sur un quartier pavillonnaire de classes moyennes tout juste terminé, le faisceau de ce qui sera bientôt une voie express aussi dégueulasse et bruyante que le périph parisien, un vendredi sorties de bureaux.
Vous n’avez pas eu le choix des expropriations. Il fallait que vous répondiez à la croissance de votre ville et à tous ces problèmes de congestions automobiles que votre conseiller en déplacements, tête de cul et cravate rose, vous rappelait sans cesse à la manière d’une fenêtre pop up d’un site de téléchargements illégaux.
Comme cela ne se passe pas dans la réalité d’un métier cerné par le droit, les normes et les principes républicains, vous avez réalisé votre projet sans encombre, sans essuyer le moindre plâtre, sans études préalables trop coûteuses et inutiles, et surtout, sans espèces d’amphibiens neurasthéniques et menacées d’extinction.
Mieux. Vous avez même gagné en popularité et on vous remercie. Peut être pas d’avoir expulsé des centaines de familles, mais déjà, et vous en êtes très fier, d’avoir rendu les migrations pendulaires, moins factrices d’accidents cardiaques et d’œdèmes cérébraux.
Pas de concertation, de réunions interminables
La ville de city builder tourne plutôt bien. Il faut dire que l’urbaniste a le temps de se consacrer aux choses vraiment importantes, aux problèmes fonctionnels de sa cité et qu’il n’a pas à s’encombrer de l’inconstance ou des troubles psycho métropolitains de ses habitants.
Si le citoyen tient justement une place centrale dans ses projets et dans son quotidien de professionnel, (après tout, c’est bien pour lui qu’il accepte ses penchants masochistes) l’urbaniste trouve dans le city builder cette forme de reconnaissance habitante que, rarement, il a pu approcher au travers de ses réunions de concertation, autrement qu’à l’épreuve d’une claque dans sa gueule.
Avec le city builder, il n’y a pas de concertation, de réunions interminables, d’antennes relais ou de débats bardés de peurs. Il y a juste cette intelligence artificielle – parfois plus artificielle qu’intelligente d’ailleurs, mais toujours reconnaissante de ce qu’on fera pour elle. Une intelligence qui, à une cause X, répondra un effet Y et n’emmerdera personne pour un monument aux morts qu’on déplacerai pour y installer à son endroit, un bar de pôle dance ou un café théâtre.
Autant de pouvoirs qu’un autocrate ou qu’un despote tyrannique
Comme l’élu PS a tendance à cumuler les mandats sans que cela ne dérange, l’urbaniste de city builder dispose d’un nombre impressionnant de casquettes et de possibilités d’actions. C’est comme si, non content d’être urbaniste, il était aussi maire bien sur, mais également président d’agglo, directeur des services, responsable des équipements ou chanteur de country.
Dans sa vie professionnelle, l’urbaniste est tous les jours confronté à l’inertie de la ville partagée entre les manques de subventions, les conflits d’intérêts inter services ou inter politiques et les allers-retours qui n’en finissent plus. Sans compter sur les pauses café des fonctionnaires qui, loin d’être une légende, ont probablement déjà dû coûter plusieurs millions d’euros aux contribuables sur des projets urbains livrés en retard.
Dans ce cas il n’y a pas à dire, être tout et tout le monde à la fois, facilite grandement les choses et tend à écrémer le millefeuille. Et comme personne dans les villes de city builder n’a l’air de tenir rigueur au joueur devant son écran, de posséder autant de pouvoirs qu’un autocrate ou qu’un despote tyrannique, alors pourquoi se priverait-il d’abolir les statuts et la démocratie de la pluralité ?
Expérimenter sans s’inquiéter de ce qu’on pourra lui reprocher
On reproche beaucoup aux urbanistes leurs erreurs passées et leurs égarements. Il n’y a qu’à discuter quelques minutes des Grands ensembles avec un type qui ignore votre boulot, pour assister le plus souvent à un déballage de violence et de haine à l’encontre de ceux qui ont pensé ces trucs improbables.
L’urbaniste (et ceux qui travaillent avec lui) est voué à l’erreur. Et lorsqu’il pense un morceau de ville, ou un espace public, le plus délicat reste toujours d’anticiper sur la réussite de son projet, et du futur de ses usages. Combien sont-il, ces pauvres urbanistes déçus, à avoir pensé le lieu des rencontres, de l’intergénérationalité en plein centre-ville, qui se retrouve du jour au lendemain, plaque tournante d’un trafic d’organes humains ?
Dans les city builder, d’abord il n’y a pas de trafic d’organes humains, mais surtout, il n’y a potentiellement peu, ou pas de conséquences qui pourraient pousser l’urbaniste au suicide ou, fin d’un exercice salarié moins violent, à la réorientation professionnelle. Libre à lui alors, de tester, d’expérimenter, sans jamais s’inquiéter de ce qu’au final on pourra lui reprocher. A lui mais aussi au reste de son espèce professionnelle.
Une dédramatisation de la profession en somme, qui, à l’instar de toutes ces autres choses, fait du city builder, l’échappatoire rêvé de l’urbaniste en exercice.