La semaine dernière, mardi 30 octobre, UrbaNews était invité à la Paris Game Week pour rencontrer George Pigula, producer du jeu SimCity. Nous avons pu lui poser quelques question et tester le jeu, qui est d’ores et déjà disponible en précommande sur Origin, la plateforme de téléchargement d’Electronic Arts. Bien sûr, nous n’avons pas pu résister à la tentation de faire un parallèle entre le jeu et la profession d’urbaniste. Interview et critique.
L’oeil du Producer
Les trois questions posées à George Pigula :
- Avez-vous reçu quelques conseils provenant d’urbanistes, architectes, ingénieurs ou autres acteurs du développement urbain ?
- Avez-vous envisager une fusion SimCity/Google Street View ou Google Earth pour une plus forte impression de réalisme ?
- Comment avez-vous intégrer la problématique de la gestion des risques naturels et technologiques dans SimCity ?
L’interview intégrale réalisée à la Paris Game Week :
L’oeil de l’urbaniste
Aujourd’hui, SimCity semble vouloir intégrer à la perfection les dynamiques techniques de la ville. Si la prise en considération des réseaux urbains (accès à l’eau potable, énergie, gestion des déchets, transports, ressources…) et de la finance (marché boursier, gestion d’un budget…) est un atout, le jeu s’est totalement planté d’époque dans sa façon de réfléchir la ville. On a l’impression d’évoluer dans un monde où la notion d’urbanisme vient de naître, bienvenue au début XXe siècle, dans le désert des suburbs américaines.
Le jeu se contente de proposer des critères quantitatifs pour évaluer la fonctionnalité et la réputation d’une ville, directement proportionnelles aux points gagnés par le joueur.
En effet, la première mission est de raccorder un désert déconnecté de tout à une autoroute. Partant du fait que les ressources sont disponibles et accessibles, se succèdent très rapidement quartiers résidentiels pavillonnaires, services, commerces, équipements ludiques, industriels ou culturel. Je dis ou car une ville selon SimCity ne peut pas être mixte, à priori. Le joueur oriente dès le début, dans sa façon de jouer, la vocation mono-thématique de sa ville.
Le trailer officiel résume assez bien cette philosophie de jeu. Regardez plutôt :
En résumé, SimCity c’est très certainement le logiciel de simulation le plus apprécié des acteurs du développement de la ville de Dubaï, connue pour ces projets à la fois excessivement ambitieux, luxueux et inutiles, à l’image de sa tour Burj Khalifa de 832 mètres. Comme pour Dubaï, SimCity démarre sur un espace désert et oriente le joueur vers une philosophie du toujours plus. Dommage.
On aurait aimé parler de qualité, de mutualisation des usages et des moyens. Quoi de plus durable que de mettre en commun, connecter, équilibrer ? Par exemple, permettre un équilibre énergétique entre un bâtiment ultra performant sous-exploité/récent et un bâtiment très médiocre sur-exploité/vétuste.
Un espoir : le mode multijoueur en ligne.
Possibilité de jouer à plusieurs, mais encore une fois, dans le but de confronter les performances quantitatives de chacun. Intéressant par le côté « tiens, comment tu gères ta ville, voisin ? » , ou encore « t’as choisi quel style de ville, toi ? » … Mais jamais les réseaux de transport ou autres ne seront mis en commun par exemple. Jamais, untel ne pourra développer un réseau de location entre particuliers (entre Sims), fêtes entre voisin, initiatives locales :
Tiens, mes Sims prennent le pouvoir d’un quartier, ils ont décidé de monter leur propre Pop-up Hood !
Bien sûr, en aucun cas le jeu prétend incarner la représentation virtuelle parfaite de la profession d’urbaniste ni de l’urbanisme. Cela étant, pour sa défense personne ne connaît réellement la profession d’urbaniste. Ainsi, SimCity alimente une fausse image collective de l’urbanisme. Et très vite, on fait l’amalgame entre développement urbain durable et Dubaï ou Masdar… Tiens, Masdar…
Le jeu et le fun durable
SimCity n’en reste qu’un jeu. Il se veut accessible et jouable pour le plus grand nombre. Pourtant, il ne parviendra jamais à atteindre les réelles dynamiques urbaines de la ville. C’est pourquoi, il a peut-être plutôt intérêt à s’orienter vers l’intégration, au contraire, du jeu dans la ville. Peut-être pouvons-nous espérer une éventuelle fusion SimCity/Google Street View qui serait un premier pas vers la quête du réalisme et donc du fun à long terme, car c’est bien la quête de tous joueurs. Prendre son pied. Le fun durable au sens source inépuisable de fun.
Et si le fun, pour un tel jeu, se révélait pleinement en transformant la réalité du quotidien urbain par l’esprit créatif aléatoire du joueur ?
SimCity est déjà bien plus élaboré que n’importe quel simulation de réalité augmentée d’une application smartphone. Imaginez un tel outil serait même utilisé par de nombreux acteurs désireux d’expérimenter virtuellement leurs conceptions et ingénieries environnementales, architecturales, paysagères etc.
Et si, dans un but d’anticipation, le jeu SimCity permettait de simuler aussi les plus grands fiascos de l’histoire de l’urbanisme ?
Par exemple, le jeu permettrait d’anticiper la gestion d’une ville fantôme comme Valdeluz. Située 60 km au nord de Madrid, la ville devait accueillir 30 000 habitants, n’en comptent aujourd’hui que 1 200. Qu’en est-il de la première ville fantôme d’Afrique : Nova Cidade de Kilamba (Angola) ? Celle-ci, à une trentaine de kilomètre de Luanda, a été construite par une compagnie d’Etat chinoise, pouvant accueillir 500 000 habitants, n’en comptent aujourd’hui… aucun !
Catastrophe de la résilience
Plus que tout, la dernière réponse de George Pigula nous laisse perplexe. Comment le jeu SimCity peut-il réduire la question de la gestion des risques par la simple implantation d’un poste de police, une caserne de pompier et un hôpital ? Regardez plutôt :
Depuis plusieurs années, la succession de plusieurs catastrophes réveille la prise de conscience qu’il faille développer davantage de moyens de mitigation face aux risques naturels et technologiques. Par exemple, on l’a vu récemment avec Sandy, peut-être qu’un réseau de transport souterrain à Manhattan n’a pas de sens quand on voit sa vulnérabilité, ou plutôt sa forte capacité à se dérégler en cas de fortes intempéries.
Ainsi, un moyen de mitigation simple serait d’orienter les politiques publiques vers une adaptation au risque d’inondation et d’adopter un moyen de déplacement aérien, avec accessibilité aux building dès le premier étage. On connait cette méthode pour les piétons (comme c’est le cas à Hambourg par exemple), on peut facilement imaginer ces mêmes coursives comme autoroutes à vélo à la danoise, ou autres… Souvenez-vous, l’année dernière, nous parlions de résilience urbaine : revoir ces 3 épisodes : épopée de la résilience urbaine #1, la résilience à la Nouvelle Orléans #2, et la résilience hip hop #3.
Bref, on attend trop souvent la catastrophe pour se montrer bons. Certainement qu’avec un outil aussi puissant que SimCity, il est rendu possible de former chaque joueur à une sorte de culture du risque. A chacun de se forger son propre historique, emmagasinant un certain nombre d’expériences, augmentant ses chances d’atteindre le retour à un état fonctionnel.
En image
Un débat entre PGM
Selon vous, SimCity est-il une pure référence ou un pur contre-exemple ? Autrement dit, êtes-vous pro-gamer ou pro-urbaniste, les deux, ni l’un ni l’autre ? Réagissez.