Uniqlo : quand l’isolation thermique du corps surpasse celle du bâtiment
De post-Kyoto à post-Fukushima
L’efficacité énergétique du génie urbain pourrait commencer par celle du corps humain. C’est du moins ce que tente de démontrer le géant du textile japonais Uniqlo en développant le produit Heattech. Conçu à la fois par des ingénieurs et des stylistes, ce vêtement technique présente deux principales innovations :
- la transformation des vapeurs générées par le corps en chaleur par un dispositif ingénieux
- l’optimisation du confort thermique en contenant des poches d’air, puissant isolant, dans les fibres.
Une vidéo explique en détail le fonctionnement technique des produits Heattech d’Uniqlo ici.
Tandis que certains projets urbains prônent les ambitions de la ville post-Kyoto, le Japon est entré depuis mars 2011 dans l’ère post-Fukushima. L’ère de la grande mutation énergétique où le nucléaire est en berne, où les restrictions énergétiques n’ont jamais été aussi contraignantes. C’est pourquoi, afin d’aider les sinistrés à se maintenir au chaud, Uniqlo a fait un don de 300 000 pièces provenant de leur collection Heattech [source Times News Feed]. L’action de porter ces vêtements techniques est même devenu l’une des directives majeure du gouvernement, encore en vigueur aujourd’hui.
Et si Uniqlo était devenu l’accessoire thermique inconditionnel de l’ère post-Fukushima ?
Les bibliothèques sont saturées de rapports, thèses et études décrivant l’importance de l’efficacité énergétique et isolation thermique des bâtiments. En revanche, rien, ou du moins pas grand chose n’a jamais vraiment été dit ou écrit sur le fait de réaliser des économies d’énergie en isolant plus efficacement son corps plutôt que son logement.
Alors voilà, restons objectifs, voire rationnels, et tentons de comprendre un peu mieux le potentiel énergétique du corps et la capacité isolante des vêtements techniques. Le tout, sans sacrifier son sex appeal [clin d’oeil].
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Indépendamment des nombreuses innovations techniques mises en oeuvre dans le but d’améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments, réside un problème inconditionnel empêchant leur universalité : le prix. Oui, un bâtiment peut être labellisé HQE, BBC, BEPOS, THPE, etc. mais à quel prix ? Suscitant quels efforts ? Le bilan carbone global de tels bâtiments est-il vraiment encourageant ?
Concrètement, l’énergie économisée pour un appartement dépend principalement de la température à laquelle il est chauffé. Ainsi, baisser son chauffage ne serait-ce que d’1°C économiserait 9 à 10 % des consommations [Source].
Notez que l’ensemble des innovations techniques des bâtiments réalisées de 1993 à 2005 a permis d’économiser la part des consommations pour le chauffage de 20% seulement. La simple action de baisser son chauffage de 2°C serait suffisante pour atteindre ce même niveau. Plus loin encore, une baisse de 22°C à 18°C économiserait 35% des consommations.
Naturellement, l’isolation du corps est bien plus efficiente en consommation énergétique que celle des bâtiments. Là où une pièce nécessite 20 m² de chauffage, le corps humain ne demande que 1,7 m² de peau. De plus, les nuisances environnementales impactent beaucoup moins les espaces intérieurs qu’extérieurs. En effet, contrairement à un mur isolé par l’extérieur, un vêtement d’intérieur n’a pas besoin d’être waterproof ni windproof.
La température de notre peau oscille entre 33 et 34°C. Ainsi, partant du principe que la température extérieure ne dépasse ces valeurs qu’une dizaine de jours par an (climat tempéré nord), notre corps émet constamment de la chaleur dans l’atmosphère. Les poils étaient autrefois un isolant thermique très performant. De nos jours, tous imberbes que nous sommes, la seule interface isolante existante entre notre peau et l’environnement est le vêtement.
Aujourd’hui, ASHRAE (American Society of Heating, Refrigerating and Air-Conditioning Engineers) estime que le confort thermique d’un homme est atteint lorsque, en hiver, la température d’une pièce est chauffée entre 21 et 23°C. En 1970, elle était plutôt de l’ordre de 13°C. Cela ne fait aucun doute que nos exigences en terme de confort thermique ont fortement augmenté. Finalement, se balader en caleçon chez soi, les tétons à l’air, est une activité relativement récente.
Mesurer l’isolation thermique du corps
La capacité isolante des vêtements est couramment exprimée en « clo ». Dérivée du mot anglais clothes, cette unité correspond à l’isolation thermique requise pour maintenir le corps à une température confortable, dans un environnement à 21°C, équivalent à un costume trois pièces classique : chemise, pantalon, veste et sous-vêtements.
Quelques conversions pour nos amis du génie civil :
- 1 clo = 0,155 m2K/W : unité internationale utilisée pour mesurer le facteur isolant des matériaux
- 1 clo = 0,88 R (ou 1 R = 1,137 clo), où « R » est le facteur de résistance thermique des matériaux du bâtiment.
Selon le Survival Book de l’US Air Force, chaque degré en moins dans l’atmosphère est compensable par 0,18 clo. Par exemple, 2,7 clo est la valeur de l’isolation thermique nécessaire pour atteindre un état confortable pour une température extérieure de 10°C. Pour 0°C, il faudra 4 clo.
On commence donc à se rendre compte à quel point le choix dans notre façon de s’habiller peut impacter sur notre consommation énergétique :
- Une couche de longs sous-vêtements en coton (long collant + long t-shirt moulant) représente l’équivalent de 0,6 clo.
- Deux couches apporteraient jusqu’à 1,5 clo soit plus du double.
- Combiné à des vêtements casual, l’isolation thermique total serait de 2,5 clo, assez pour assurer un confort dans un environnement à 12,7°C.
- Cet ensemble permettrait une réduction des consommations en énergie pour le chauffage jusqu’à 80%.
[Pour connaître la capacité isolante des vêtements que vous portez en ce moment même, allez jeter un œil à la base de donnée alimentée par ASHRAE, ici]
Facteur#1 : l’activité humaine
Le confort thermique est fondamentalement proportionnel à l’activité de notre corps. C’est le facteur métabolique. Par exemple, pour une température extérieure de -40°C, le besoin en isolant thermique pour atteindre un état de confort est de 12 clo pour un homme statique et 4 clo pour une personne en train de marcher et seulement 1,25 pour une personne courant à une vitesse de 16 km/h. Dans ce cas, une simple couche de long sous-vêtement suffirait pour se maintenir au chaud confortablement.
En moyenne, chaque 30 watts de production thermique diminue notre besoin de chauffage de 1,7°C. Inversement, lorsque le corps est en état de sommeil, le besoin en isolation thermique double. Voilà aussi pourquoi les sacs de couchage peuvent parfois indiquer une capacité d’isolation thermique jusqu’à 10 clo.
L’inconfort thermique est surtout ressenti lorsque les extrémités du corps ne sont pas chauffées (tête, mains, pieds, nez…). Notez que si l’intégralité du corps était maintenue à une température assez chaude, mains et pieds ne seraient pas tellement affectés par la faible température intérieure d’une pièce. Ce mécanisme thermorégulateur est appelé vasoconstriction : diminution du diamètre des vaisseaux sanguins, augmentant l’isolation thermique de la peau et réduisant les déperditions. Le phénomène opère sur l’ensemble du corps, mais du fait de leur petite masse et surface, la vasoconstriction a un effet plus important sur les mains, pieds et nez.
Ainsi, peu importe la partie du corps que l’on choisit de chauffer, l’important est d’éviter les déperditions thermiques et le corps s’occupera de se maintenir à une température stable.
Facteur#2 : le poids
Une proportionnalité entre l’isolation thermique (en clo) et le poids des vêtements (en kg) existe dans le but de se rapprocher davantage de la sensation de confort thermique. 1 clo équivaut à 3 kg de vêtement. Pour un environnement à 0° Celsius (4 clo), on devrait porter 12 kg vêtements. L’addition de fringues limite la liberté de nos mouvements et serait l’un des facteurs justifiant le fait de préférer l’augmentation de son chauffage plutôt que de s’habiller plus efficacement.
En 1960, l’armée américaine notait, dans son Handbook of Clothing [chapitre 13], que la limite acceptable pour maintenir les aptitudes motrices des militaires opérationnelles était de 5 clo. Depuis, beaucoup d’innovations issues à la fois du génie militaire, de l’industrie du sport et des stylistes, ont considérablement amélioré le rapport confort thermique/poids, notamment grâce à l’essor des matières synthétiques.
D’après le Handbook of Technical Textiles (version complète ici), le ratio isolation thermique/poids d’un textile synthétique comme le polyester et l’acrylic est 2,5 à 8 fois supérieur à celui du coton ou de la laine.
[Pour les backpackers, allez jeter un œil à la base de donnée (ici) réalisée par des amateurs de randonnée extrême, détaillant le niveau de Clo à atteindre en fonction de la température de l’environnement]
Facteur#3 : la matière
Un produit Heattech Uniqlo est composé de 39% acrylique, 33% polyester, 20% rayon, 8% spandex. La matière synthétique présente plusieurs avantages sur le textile naturel : c’est moins cher et moins allergène. Uniqlo est aussi anti-effet-électricité statique, anti-odorant, élastique et pérenne.
Alors voilà, c’est étrange de défendre soudainement les matières synthétiques. D’ailleurs, un long sous-vêtement fabriqué à partir de coton a une capacité isolante de l’ordre de 0,6 clo, assez pour baisser la température d’un milieu de 2,5°C, économisant jusqu’à 20% des consommations. Ce que nous défendons, ou du moins tentons de comprendre, c’est comment l’isolation thermique du corps peut-elle nous faire économiser de l’énergie plus efficacement que l’isolation thermique d’un bâtiment.
Facteur#4 : le cycle de vie
La géante marque du textile Zara a récemment été accusée à raison (ici) par l’association Green Peace d’utiliser lors de la fabrication de leurs vêtements un composant chimique nommé Ethoxylate de nolyphénol. Contrairement à leur concurrent espagnol, Fast Retailing (maison-mère d’Uniqlo) s’attache à réaliser les études environnementales tout au long du cycle de vie de leurs produits, et favorise la réduction des charges toxiques (ici).
L’analyse cycle de vie est un processus d’études multicritères évaluant l’impact carbone lié aux différentes étapes de « vie » d’un produit : extraction des matières premières, production, distribution, usage et recyclage.
Ci-dessous, le schéma mettant en évidence les résultats de ces calculs pour une période d’un an (2011), uniquement au Japon – ce qui est un peu dommage étant donné que le coût carbone aurait été beaucoup plus important si l’analyse cycle de vie prenait aussi en compte les transports de marchandises internationaux.
Ici : pour avoir plus d’informations (commentaires du schéma ci-dessous) concernant la politique de Fast Retaling, maison mère d’Uniqlo, visant à réduire l’impact écologique de l’ensemble du cycle de vie des produits.
La seule année 2011 de a permis de récolter plus de 11 millions de produits recyclés dans 5 pays (le détail ici). Selon la qualité du retour, ceux-ci sont soit redistribués vers des pays en développement (plus de 4 millions dans 22 pays) ou bien simplement recyclés comme matières premières textiles.
En attendant l’ère post-Fukushima
Bien sûr, cet article n’a pas l’intention de prohiber l’usage du chauffage, mais simplement de démontrer que dans certains climats cela pourrait devenir une solution viable. Non seulement on réduit la consommation énergétique (énergie blanche) mais aussi toute l’énergie nécessaire à la fabrication, distribution et mise en oeuvre des systèmes d’isolation thermique hyper-performants (énergie grise). Les énergies économisées sont tellement importantes qu’il me semble démentiel de ne pas les prendre en considération dans un projet, qu’il soit à l’échelle bâtimentaire ou urbaine.
A Tokyo, l’Institut pour les énergies renouvelables estime que «la part des énergies alternatives pourrait représenter 30% de la production électrique nationale d’ici à 2030.» Pour beaucoup, l’objectif des 100% d’ici à 2050 n’est plus un rêve fou. Reste à savoir si les produits Uniqlo sont considérés comme part des énergies renouvelables du pays.
3 Commentaires
RT @Urbanewsfr: Uniqlo : quand l’isolation thermique du corps surpasse celle du bâtiment http://t.co/JnEEuSTV
« Solution viable » jusqu’à ce que l’on se rende compte que finalement les nanoparticules et leurs performances techniques novatrices et bien souvent assez exceptionnelles (auto-nettoyantes, photocatalytiques, anti-bactériennes,…) ne sont pas sans risques pour la santé… cela rappelle un peu l’emballement autour de l’amiante à ses débuts, avant tous les effets qui ont suivi…
Aujourd’hui, le niveau d’exigence des normes de l’industrie textile, vérifiant la réduction des charges toxiques d’un produit, est très élevé.
Après, on connait bien les limites des certifications en général, bien sûr. Il se peut que dans quelques années on prenne en compte une particule que l’on ne suspectait pas comme nuisance au départ et remettre tout en question, je suis d’accord.