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Survivalisme : de l’architecture isolationniste à l’autarcie malsaine

La fin du monde n’aura pas lieu. Dans le doute, la rédaction d’Urbanews avait pourtant délaissé le site cette semaine : pas un seul article, même médiocre, une revue de presse léthargique et des stats en berne …Vous l’aviez peut être remarqué, vous vous en étiez sûrement inquiétés. Rassurez-vous, nous sommes de retour, et bien décidés à vivre jusqu’à la prochaine échéance apocalyptique.

Cette semaine donc, toute la rédaction d’Urbanews jouait les survivalistes, terrée dans des grottes, des caves ou toutes autres choses qui pouvaient ressembler de près ou de loin à un abri anti-catastrophe. Une expérience brève mais intense qui obligeait pour ce come-back courageux, un petit tour du côté de l’univers troublant de l’architecture survivaliste…

La figure du survivaliste, assez peu éloignée de celle de l’objecteur de croissance 

Aux Etats-Unis, les preppers comme on les nomme, sont des milliers à y croire. La fin du monde est une question de jours, pire, on ne sait pas quand elle arrivera, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle arrivera bel et bien. Sous quelle forme ? Un feu nucléaire, une catastrophe naturelle, un virus mortel ou une attaque de zombies,… peu importe à vrai dire, le principal sera alors d’être préparé et de rester caché, de se terrer sous la surface ou ailleurs, pour ne plus en sortir que lorsque la tempête aura emporté l’humanité toute entière.

Triomphe du « principe de précaution » sur la société, poussé à son paroxysme, la figure du survivaliste pourrait ressembler à celle d’un homme ou d’une femme, certes très angoissé, mais dont la posture serait de remettre perpétuellement en cause ses acquis matériels, ses rapports au monde et à ses incertitudes. Convaincus que le système tel qu’il existe aujourd’hui ne durera pas et que sa fin sera brutale, les survivalistes mettent tout en œuvre pour s’y préparer.

Parmi les apprentissages techniques que tout bon survivaliste qui se respecte, se doit de suivre, l’architecture en est un des plus cruciaux parce qu’elle conditionnera son degré de survie. En matière de lieu de vie et d’organisation du quotidien, la figure du survivaliste apparaît assez peu éloignée de celle de l’objecteur de croissance : accepter la finitude des choses, revient finalement à maîtriser l’impact que l’on pourrait avoir sur son environnement, mais aussi et surtout à limiter sa dépendance vis-à-vis de lui.

Pour le survivaliste, les questions d’autosuffisance, d’autogestion et plus généralement d’autonomie revêtent alors une dimension centrale du quotidien. Cette approche suppose alors mécaniquement de recourir en matière d’habitat, à des principes de fonctionnements indépendants (en matière d’énergie, d’accès à l’eau, à la nourriture ou à l’air, etc.) de l’environnement dans lequel le survivaliste cherchera à s’implanter.

Un abri “Do It Yourself”

A y regarder de plus près, les survivalistes ont l’air de gens bien. Et même si la fin du monde les obsède, on ne peut pas leur enlever le mérite d’être des représentants exemplaires du DD, qui ne rechignent pas à mettre en œuvre quelques uns de ses principes fondamentaux, à l’économie de tout label ou autres normes trop réductrices.

Aux Etats-Unis, dans les plaines du Midwest, là où la culture survivaliste et libertarienne imprègne par endroit de façon insistante les esprits et les comportements, l’abri souterrain est devenu un objet à part entière de la maison. Dans les états américains soumis aux  risques de tornades, chaque maison où presque possède ainsi son refuge. Pour les survivalistes qui croient en une cause climatique (ou nucléaire) de la fin du monde, ce type d’habitat apparaît idéal.

Confrontés aux éléments, et depuis 2001, à la peur du risque d’une attaque terroriste de grande ampleur, les américains sont ainsi passés maîtres dans l’art de la construction des refuges de jardins et bon nombre de guides en ligne prodiguent des conseils pour leur fabrication.

Dans le film Take Shelter, le personnage principal, en proie à des angoisses de catastrophe naturelle et de fin du monde, décide de monter un de ces abris dans son jardin, non sans une certaine insistance qui tournera alors rapidement à l’obsession.

Comme cet homme, la plupart des preppers américains optent pour la solution du container aménagé. Peu coûteux par rapport à la solution du refuge à monter de toutes pièces, le container ne nécessite qu’un pote, une grue, une paire de pelles, un peu de béton et 6L de bières fraîches.

Une fois monté, le refuge doit être au maximum autonome et recouvrir l’ensemble des fonctions nécessaires à assurer un quotidien décent. Dans ce cas, le survivaliste a tout intérêt alors à suivre quelques rudiments de mécanique, de physique ou encore d’agronomie.

S’il existe un domaine particulier au DIY de l’architecture survivaliste, son exercice suppose d’avoir beaucoup de temps devant soit et finalement, de prendre le risque de ne jamais voir terminée son œuvre : c’est vrai quoi, un zombie qui  arrive par derrière pendant l’installation attentive de la VMC et PAF ! Adieu les rêves d’autonomie et de débrouille post-apocalyptique !

Architecture survivaliste et business de la peur

Qu’à cela ne tienne, d’autres ont trouvé le moyen d’exploiter le filon des angoisses en tous genres et proposent, dans ce qui ressemble à un véritable business de la peur, des lieux de vie, des produits logement spécifiques, genre « lendemain difficile » clef en main, pour toutes celles et ceux qui n’auraient pas assez de temps à  consacrer à la construction de leur propre refuge.

La compagnie Vivos s’est ainsi spécialisée dans l’architecture survivaliste. Selon son fondateur, Robert Vicino, un américain sans doute plus préoccupé par l’état de ses comptes bancaires, que par la survivance de l’espèce humaine, une vingtaine de bunkers, vingt cinq exactement, ont ainsi été construits, dont la majorité, aux Etats-Unis. Chacun de ces bunkers pourrait abriter selon sa taille entre 50 et 1000 individus (6000 sur les total des bunkers en service) et garantir à leurs occupant un minimum de 365 jours d’autonomie.

Un abri tel que proposé par Vivos. Ici une petite unité capable de recevoir 50 personnes

Bref, des arches de Noé sensées résister au déluge de fléaux qui accompagneraient la fin de notre monde. Et comme Robert Vicino n’est pas totalement illuminé et qu’il a bien compris qu’il y avait là de l’argent à se faire, le voilà qui, sur son site, joue avec la corde du plausible et les craintes d’une catastrophe économique globale qui précéderait la montée croissante de l’insécurité, et en l’espèce, contribuerait à asseoir durablement le règne de l’anarchie. Un discours bien rôdé qui aurait déjà permis de vendre toutes les places disponibles pour 50 000 dollars le droit d’entrée.

De l’architecture survivaliste aux BAD, il n’y a qu’un pas

Dans la veine des survivalistes, il y a l’américain moyen de l’Oklahoma, Robert le businessman et d’autres, bien plus anxieux encore, des déclinistes, pour qui se protéger ou survivre dans un abri ne suffit pas. Piero Falotti, un chef d’entreprise suisse d’origine italienne en est de ceux qui pensent que les bunkers ne sont pas l’unique solution à la survie post-apocalyptique et qu’il faut probablement voir plus loin.

Dans son livre (parce que oui, ce monsieur écrit aussi), Survivre à l’effondrement économique, écoulé à plus de 20 000 exemplaires, la fin du monde prend une tournure financière et réaliste. Dans son ouvrage Piero Faloti fait de l’effondrement économique une certitude, arguant qu’il sera brutal et prochain.

A cette certitude, il préconise donc la construction de BAD, comprenez Base Autonomes Durables (qui ont leur page Facebook) « …qui permettront à de petites cellules sociales de survivre en cas d’effondrement du système, via le stockage de nourriture, l’apprentissage de techniques de survie en milieu hostile, l’entraînement armé et l’autarcie agricole. » (Natalia Trouiller et Marie-Lucile Kubacki : Survivalisme, l’idéologie du pire)

L’idée de ces BAD trouve un écho particulièrement favorable du côté des milieux alternatifs d’extrême droite en France. Elle trouve d’ailleurs un écho tel que des projets (village des Grands Moulins dans l’Yonne) comme ceux de de la Desouchières (dans le Morvan) ont déjà vu le jour et regroupés une communauté autarcique formée d’« …Européens animés du même amour […] total, spirituel et charnel de l’Europe, de ses peuples et de ses cultures ».

Univers fourre-tout, hétérogène, partagé entre catastrophisme, déclinisme et décroissance, le monde des survivalistes est rempli d’angoisses qui se lisent finalement dans les différentes approches isolationnistes réservées à l’architecture, non seulement des choses et des infrastructures, mais également des liens sociaux. Pas si éloigné que ça dans leurs bons préceptes, des fondements de la culture « durable » en matière d’habitat ou de mode de vie, le mouvement s’en éloigne dés lors qu’il dépasse l’idée de simple survie, pour entrer dans la défiance autarcique et la peur de l’autre.

 

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