De la voie rapide à l’avenue urbaine : la possibilité d’une « autre » ville ?
Cet article est un résumé du texte original disponible ici.
La transformation des voies rapides urbaines aménagées durant les Trente Glorieuses sans égard pour les villes traversées s’impose dans les pays développés comme un sujet majeur de l’urbanisme contemporain. Le réseau routier rapide joue un rôle important dans la mobilité des biens et des personnes, mais il génère des nuisances socialement pénalisantes et cloisonne les territoires ; il tend aussi à encourager des modes de vie automobiles qui entretiennent, à leur tour, l’étalement urbain et la congestion. […] Pour recoudre des quartiers séparés, la couverture des voies peut apparaître comme une solution locale intéressante, mais elle est inimaginable à grande échelle.
Leur transformation en «boulevards urbains», ou plutôt en «avenues» s’agissant souvent de voies radiales (1), est-elle une solution réaliste ?
En Amérique du Nord, mais aussi en Corée, des villes brutalement traversées par des voies rapides ont opté pour leur suppression. Quel bilan en font-elles ? Pour tenter d’y répondre, l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Île-de-France (IAU îdF) a étudié douze expériences de mutation de voies rapides en avenues. Chaque cas a été analysé sur place et a fait l’objet d’entretiens avec des acteurs des projets (2). […]
Une renaissance urbaine et économique des villes
Dans tous les cas étudiés, la transformation de voies rapides en avenues a eu un impact urbain, paysager et économique très positif : à Portland, San Francisco, New York, Séoul, Milwaukee et Boston, les projets ont favorisé la renaissance de centres villes et de quartiers sinistrés par les autoroutes. La disparition de la barrière physique et visuelle, la réduction des nuisances, la reconnexion des circulations, la qualité des nouveaux espaces, ont contribué à redynamiser en profondeur les tissus urbains. A San Francisco, par exemple, la suppression de l’Embarcadero Freeway a redonné le front de baie aux habitants, permis la création de commerces, de loisirs et de logements et développé le tourisme.
La déconstruction d’autoroutes et de leurs échangeurs libère des dizaines d’hectares de foncier qui peuvent être reconvertis en quartiers denses et mixtes (Milwaukee, Toronto, Montréal, Vancouver), en logements (San Francisco/Central, New York/ Sheridan) ou en parcs linéaires (Portland, Boston, Séoul). À moyen terme, la mutation économique et urbaine se fait sentir au-delà de la voie elle-même (New York, Séoul).
Évaporation d’une partie du trafic
En dépit des craintes initiales, la suppression des voies rapides n’engendre pas de dégradation des conditions de circulation au-delà des ajustements de départ. On observe des reports de trafic sur le réseau local là où existent des réserves de capacité (Séoul, San Francisco, New York), mais ils restent limités et inférieurs aux prévisions. […] À Séoul, le projet a entrainé une réduction de 9 % du trafic traversant le centre-ville et de 2,3 % vers le centre, conduisant à une diminution des temps de parcours automobiles dans la ville (3). […]
Des changements de comportements non prévus par les modèles
La suppression de l’effet d’aubaine de la voie rapide modifie le comportement des usagers motorisés : ils changent d’itinéraire ou d’horaire, adoptent les transports en commun, font du covoiturage, marchent davantage ou prennent le vélo. Certains réduisent la fréquence et/ou la portée de leurs déplacements : à San Francisco, 20 % des usagers ont déclaré se déplacer moins depuis la fermeture de la Central Freeway. […] Les individus, ménages et entreprises ont d’assez grandes capacités d’adaptation à court et long terme. Cette élasticité des comportements n’est pas intégrée dans les simulations de trafic qui tendent à surestimer les besoins de capacité routière.
Davantage d’accessibilité pour tous
Certaines villes – mais pas toutes – accompagnent les projets par des politiques de déplacements ad hoc. […]Dans tous les cas, l’accessibilité locale est favorisée par la suppression des détours inutiles pour les piétons, les cyclistes, les personnes à mobilité réduite, mais aussi pour les automobilistes, les livreurs et les taxis. La diminution de la mobilité exprimée en véhicules se traduit souvent par une augmentation de l’accessibilité des personnes. À San Francisco, le tramway réalisé à la place de la voie rapide Embarcadero absorbe plus de 25 000 voyageurs/jour et la mobilité piétonne et cyclable a décuplé avec le nouveau boulevard. […] Au final, on passe d’une notion de mobilité rapide pour certains (les automobilistes) à la notion d’accessibilité lente pour tous. Avec une circulation plus apaisée et une meilleure distribution du trafic, les quartiers et les villes fonctionnent mieux.
Environnement et climat : impacts positifs
La réduction simultanée des vitesses, des volumes de trafic motorisé et des kilomètres parcourus réduit les consommations d’énergie fossile, les émissions de CO2 et de particules fines. Elle réduit (un peu) les nuisances sonores et leur perception. Les effets de ces projets sur la santé publique(4) n’ont pas été étudiés, mais on peut penser qu’ils ne sont pas négligeables du fait d’une réduction de l’exposition aux facteurs responsables de maladies respiratoires et cardiovasculaires et de l’encouragement à l’activité physique (5) […] à Séoul, la température de l’air en été sur l’axe de l’ancienne voie rapide est de 5°C plus faible que sur les axes parallèles ; la biodiversité du corridor aurait aussi fortement augmenté entre 2003 et 2008. […]
Processus complexes, soutien public ?
Dans tous les cas, la transformation de voies rapides en avenues résulte de processus longs, complexes, incertains, dans lesquels la participation des citoyens, l’expertise technique contradictoire et le leadership politique jouent un rôle clé. Ces projets exigent des élus déterminés, de l’innovation et de la négociation pour faire converger les visions des uns et des autres ; ils impliquent une prise de risque. Conflictuels au départ, ils sont généralement plébiscités après : le projet de restauration de la Cheonggyecheon, par exemple, a suscité un tel engouement en Corée qu’il a servi de socle électoral à Lee Muyng Bak pour devenir maire de Séoul en 2002, avant qu’il ne devienne président de la République en 2006. […]
Quelles perspectives pour la métropole francilienne ?
Au-delà des différences de contexte et des approfondissements nécessaires, ces résultats sont d’abord un encouragement à poursuivre et à élargir les perspectives ouvertes par les collectivités d’Île-de-France qui ont lancé des projets en ce sens, comme Paris, la Défense (boulevard circulaire), Montreuil (A186), Argenteuil-Bezons (RD311), ou engagé des réflexions, comme autour de l’autoroute A4. […] À court et moyen terme, il y a de forts enjeux de reconquête des avenues et boulevards de l’agglomération : quelques 230 km d’anciennes nationales ou départementales aménagées comme des voies quasi rapides qui pourraient, demain, devenir les espaces publics majeurs de la métropole, supports d’intensification urbaine, de transports et de mixité d’usages. […]
Mais ces expériences étrangères n’offrent-elles pas aussi matière à réflexion plus large sur le rôle des autoroutes dans une métropole qui se veut durable ? Avec environ 340 km de voies rapides à l’intérieur de l’anneau de la Francilienne, l’agglomération parisienne est l’une des plus «routières» d’Europe. Ce réseau séparé de la ville est un héritage d’un contexte et de concepts aujourd’hui dépassés. […] N’est-il pas temps de penser autrement les voiries rapides de la métropole francilienne en réfléchissant à l’urbanisme, à la mobilité, aux modes de vie et de production de richesses qui vont de pair ?
Cet article est un résumé du texte original disponible ici.
Notes :
- Étymologiquement, les boulevards contournent la ville (en se substituant aux anciens remparts), tandis que les avenues «viennent vers» le centre (ou un monument).
- LECROART Paul, Fins d’autoroutes, renaissances urbaines : la transformation de voies rapides en avenues, IAU île-de-France (à paraître).
- HWANG Kee Yeong, entretien 14.04.2011 et Cheonggyecheon Restoration and Downtown Revitalization, Hongik University, 2007.
- Dans l’agglomération parisienne, 3 millions d’habitants sont potentiellement exposés à des niveaux de pollution qui dépassent les règlementations européennes (Airparif 2012) et 2 millions à des niveaux de bruit en façade excessifs (Bruitparif 2010).
- Aux États-Unis, l’usage excessif de la voiture est vu comme un risque sanitaire au regard de l’obésité. Pour l’Île-de-France, cf. travaux de l’Observatoire régional de la santé (ORS) et débats au congrès de l’Amif 2012.
20 Commentaires
RT @Urbanewsfr: De la voie rapide à l’avenue urbaine : la possibilité d’une « autre » ville ? http://t.co/GjrC7wn2 Thx @iauidf & Pau …
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Et un exemple français : l’A7 à Marseille.
http://www.laprovence.com/article/a-la-une/a-marseille-la7-soffre-une-nouvelle-arrivee
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