Il s’en est passé du temps depuis ce 9 novembre 1989 lorsque le point de passage de la Bornholmer Straße s’ouvrait sous la pression de la foule à la suite d’un extraordinaire malentendu. De ce mur qui a séparé la ville de Berlin en deux il ne reste que peu de traces ; des lignes au sol indiquant son emplacement, un mémorial, ainsi que des sections éparses en plus ou moins bon état. Le plus grand de ces derniers se nomme East Side Gallery, en référence aux nombreuses peintures recouvrant la façade est du mur.
Cette section, classée monument historique, est un des monuments les plus plébiscités de Berlin ; nombreux sont les touristes à faire le déplacement pour parcourir les 1,3 kilomètres de ce mur qui fut si difficile à faire tomber. Depuis vendredi dernier, pourtant, des milliers de personnes se sont mobilisées pour le maintenir debout.
C’est en effet le 1er mars qu’un premier pan de mur a été enlevé afin d’ouvrir un accès à un projet de résidence de luxe. De quelques centaines de personnes au début de la contestation, plus de 6000 se sont déplacées dimanche, forçant le promoteur, Living Bauhaus, a arrêter les travaux. Ce dernier a ainsi déclaré les suspendre jusqu’au 18 mars, date à laquelle une consultation devra être organisée.
La résidence en question, Living Levels, proposera des logements luxueux dans une tour de 15 étages (63 mètres de haut) sur les rives de la Spree, le long du mur de Berlin, dans un secteur connaissant une grande dynamique immobilière. En effet, la ligne du « mur de protection antifasciste » représente une formidable opportunité foncière dans une ville très endettée et dont le slogan « pauvre mais sexy » illustre bien cet état de fait. Ancien no man’s land, les rives de la Spree que longe l’East Side Gallery font depuis quelques années l’objet d’un gigantesque projet immobilier, « MediaSpree« , le futur « quartier des médias, de la mode, de la musique et des services« , faisant l’objet d’un partenariat public privé (PPP).
Accueillant déjà de nombreuses entreprises (MTV, Coca Cola, BASF, Allianz…), les 120 hectares de MediaSpree connaissent une forte pression foncière contre laquelle de nombreux riverains se mobilisent. Détruire des parties du mur de Berlin n’a fait que cristalliser davantage cette opposition.
L’évènement de vendredi dernier n’est en effet pas le premier. La construction d‘O² World, un complexe sportif de 17 000 places, avait déjà occasionné une ouverture dans le mur, ainsi qu’une opposition marqué par des manifestations lors de son inauguration. Cette ouverture, causée par un déplacement d’une section du mur, est nettement visible sur Street View. Dès lors, l’idée d’un mitage, voir d’une disparition progressive de l’East Side Gallery ne peut être complètement exclue.
Dans un avenir proche, à l’horizon 2015, la brèche de 22 mètres ouverte dans le mur pourrait également profiter à un pont dédié aux modes doux (encore que l’idée d’une nouvelle brèche ne soit pas complètement exclue), remplaçant symboliquement le Brommybrücke. Cet ouvrage du début du siècle avait été détruit en 1945 par le régime nazi et son pilier est encore visible dans le lit de la Spree. Ce nouveau pont coûtera environ 4 millions d’euros et débouchera aux environs des fameuses têtes de Thierry Noir (ici, le 22 novembre 1989), faisant parties des œuvres les plus connues de l’East Side Gallery.
L’opposition n’a cependant qu’une marge de manoeuvre limitée. Le projet est en effet réalisé avec la bénédiction de la municipalité sur des terrains cédés depuis les années 90. Si le maire de Berlin, Klaus Wowereit, a déclaré que la démolition de la section du mur concernée n’était « pas indispensable », aucun engagement ferme en faveur de la conservation du mur n’a jusqu’alors été pris.
L’existence du mur étant menacée et les Ampelmännchen n’étant plus désormais réservés à l’ancien Berlin-Est, les traces physiques de la séparation est-ouest tendent désormais à disparaître.