Quel avenir pour les zones d’activités commerciales ?
Conçues sur le modèle du zonage des années 1960, dans une période d’utilisation massive de la voiture, les zones d’activités commerciales sont la cible de nombreuses critiques. Les ronds points qui s’accumulent, les parkings bitumés, la prolifération des mâts publicitaires, de panneaux d’indications, les «boîtes commerciales » sont accusés de « détruire les entrées de ville » et d’enlaidir la France. (J.-P. Sueur, « Changer la ville », 1998 ; X. De Jarcy, V. Remy, in Télérama n°3135 « comment la France est devenue moche », 2010).
Mais au-delà du caractère esthétique, ces zones sont-elles encore adaptées aux nouvelles pratiques commerciales ? Leurs rôles au sein de la ville doit-il rester purement économique ? Sous quelles formes peut-on envisager leurs mutations ?
Cet article propose tout d’abord de revenir sur les différentes transformations qui nous distinguent de la période fonctionnaliste passée pour ensuite se concentrer sur un cas innovant de mutation, issu d’un concours étudiant.
Le nouvel environnement urbain
Alors qu’elles étaient le lieu de la consommation de masse périurbaine, facile d’accès et sur des terrains bon marché, les zones d’activités commerciales sont aujourd’hui confrontées à une autre réalité.
Elles sont rattrapées par le tissu d’habitations pavillonnaires des villes périurbaines de première voire de deuxième couronne. Sur les franges de certaines zones se confrontent alors directement les hauts bâtiments commerciaux entourés de parkings avec des villas. Les transports en commun des centre-villes s’étendent maintenant parfois jusqu’à elles, desservant à la fois les commerces et les habitations. Le flux automobile qui fait la rentabilité des commerces est impacté par les aménagements des voiries et la transformation en boulevards urbains. La pression foncière s’est installée, dû à la proximité des emplois et à la raréfaction des terrains constructibles dans les villes-centres. Les nouveaux documents d’aménagement commercial (DAC) s’imposent maintenant au SCOT avec l’approche environnementale du développement durable. L’économie d’énergie, la notion de proximité, de mixité des fonctions et de prise en compte des mobilités douces sont, en autres, de nouveaux éléments recherchés dans l’aménagement commercial.
Les changements de pratique commerciale : le commerce « intensif » et le e-commerce
Le modèle fordiste qui a donné naissance à la distribution de masse et aux grandes surfaces de périphérie est dépassé. C’est ce qu’expliquait Philippe Moati, économiste, professeur à l’université Paris Diderot, ancien directeur au CREDOC, co-président et fondateur de l’ObSoCo (Observatoire Société et Consommation), dans son livre « La nouvelle révolution commerciale » (2011). Son travail d’enquêtes auprès des acteurs économiques et des consommateurs révèle le glissement d’une stratégie commerciale de production générique quantitative vers une personnalisation et des produits qualitatifs. Ainsi, les nouvelles stratégies des distributeurs ne consistent plus à vendre le même produit au plus grand nombre de consommateurs mais à répondre au maximum de besoins d’un type de consommateur particulier. Les nouvelles technologies, à travers les cartes de fidélité ou internet, accompagnent ce mouvement en permettant aux enseignes de connaître de plus en plus précisément les besoins de chaque client, afin d’y répondre et de les fidéliser. Certains industriels, distributeurs ou banquiers passent alors de la vente d’un simple produit aux « bouquets » permettant de combiner un ensemble de produits et de services. Philippe Moati évoque notamment le concept encore expérimental d’Autolib’ à titre d’exemple, où on ne vend plus la voiture, mais ce qu’il qualifie d’ « effets utiles ». Dans ce cas, le « bouquet » comporte la mobilité, l’assurance de la voiture, l’entretien, les systèmes de recharge électrique, le système d’informations pour localiser les voitures, etc. Cette logique est basée sur le regroupement de différentes compétences pour proposer un ensemble de solutions répondant à un besoin.
A ce changement de stratégie de vente, s’ajoute l’augmentation significative du commerce électronique. Les chiffres d’affaires ont été multipliés par 6 entre 2005 et 2012, atteignant 11 milliards d’euros d’après la fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD). Le e-commerce provoque la distinction entre l’acte d’achat et la prise de possession du produit. Ce changement de pratique est un élément fort dans l’organisation commerciale qui peut accentuer la dissociation dans certains commerces entre espaces d’expositions « showroom » et espaces de stockage du produit. Le besoin d’un nouveau cadre d’achat et de forme commerciale participe à cette « révolution commerciale ».
Ces changements socio-économiques témoignent d’une rupture avec le modèle des années 1960. L’environnement urbain se modifie, encouragé avec le développement durable. Mais comment les principes qu’il met en place comme la proximité et la mixité des fonctions peuvent transformer les zones d’activités commerciales ?
Utiliser les centres commerciaux comme polarité secondaire : un exemple de proposition d’aménagement innovante sur la mobilité
Comme évoqué précédemment, le changement de pratiques commerciales tend à réduire les surfaces de la plupart des commerces spécialisés. De plus, la baisse de consommation dans les grands formats comme l’hypermarché ou même la baisse de consommation alimentaire (-3,1%) et des biens fabriqués (-1,6%) amène à une réflexion identique (évolution de la consommation sur la période 2012/2013, INSEE). La nécessité de mutation de la zone d’activités et les critiques esthétiques sur les grandes surfaces pourraient donner envie de faire tabula rasa du bâti de façon radicale et systématique en le remplaçant par un éco-quartier tout neuf, labellisé et intégrant commerces, bureaux et logements. Mais cette opération coûteuse ne banalise t-elle pas le lieu en se privant par la même occasion des avantages offerts par son caractère périurbain ?
D’autres projets mettent justement en évidence les possibilités de profiter de la localisation privilégiée des grandes surfaces commerciales à la périphérie de la ville dense. Le concours étudiant lancé en 2011 par le Groupement des Autorités Responsables de Transport (GART) « Quelles mobilités pour 2020 ? » a donné lieu à des propositions sur des façons innovantes de repenser les déplacements urbains. Celle d’ Etienne Habera et Clément Jacquemaire, anciens étudiants à l’université Pantheon Sorbonne Paris 1, et premier prix du concours a été de « faire du centre commercial une interface efficace entre le périurbain et sa ville-centre ». Baptisé « concept Y », le projet propose de reconvertir les centres commerciaux de périphérie en nouveaux pôles de mobilités. La réduction de l’utilisation de la voiture pour les migrations pendulaires permettrait de décongestionner les centres villes. La plateforme multimodale proposerait en complément des services de transports en commun, covoiturage et de télétravail qui permettraient aussi de réduire les coûts de déplacement. Cette concentration d’activités au niveau du centre commercial permettrait par ailleurs de développer le potentiel d’attractivité des commerces sur place tout en maîtrisant les flux de transports. « En augmentant le nombre des motifs pour s’y rendre, il y a bon espoir d’augmenter le nombre de personnes qui le fréquentent sur les mêmes créneaux horaires et donc de mettre en place une politique de mutualisation des transports entre le ou les pôles de son espace urbain. » Le projet propose donc d’utiliser les zones d’activités de périphérie au service de la ville-centre et des habitants du périurbain.
Ces deux étudiants ont depuis créé l‘agence Odonata, à qui le Forum Vies Mobiles (institut de recherche SNCF) a confié une étude de faisabilité pour développer ce projet. Ils ont réalisé un questionnaire, auquel je vous invite vivement à participer, qui permettra de dégager des tendances concernant les habitudes de déplacement. La phase d’étude se termine le 10 mai 2013 et les réponses seront publiées sur leur site internet et seront libres d’utilisations (licence Creative Commons CC-BY ). Des résultats à suivre…
D’autres exemples sur le réaménagement des zones d’activités face au développement durable sont également présentés dans la publication du CAUE de Loire-Atlantique, parue en novembre 2011.
La complexité qui combine les nouvelles pratiques, les enjeux du développement durable et l’organisation commerciale fait que chaque cas de mutation est à analyser de façon contextuelle. Il faut prendre en compte les moyens financiers mobilisables, les besoins et les ambitions de la commune concernée, l’intérêt dans l’intercommunalité en terme de mobilité, d’écologie ou d’emplois mais surtout les capacités de négociations avec les différents acteurs économiques, propriétaires d’un foncier qui prend de la valeur.
Si les zones d’activités commerciales ont été la cible de beaucoup de procès esthétiques, les possibilités de reconversion précédemment illustrées montrent le potentiel d’innovation et d’évolution de l’organisation commerciale. Le nombre d’acteurs limité et les moyens dont dispose la grande distribution encouragent une mutation relativement rapide vers de nouvelles formes urbaines, plus performantes et en relation avec les enjeux contemporains.
Pourra-t-on en dire autant du tissu d’habitations périurbaines en ce qui concerne ses capacités de transformation pour bâtir la « ville durable » ?
16 Commentaires
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Merci @Urbanewsfr pour le coup de pouce : +100 répondants à notre questionnaire avec article http://t.co/VfSNxggV9c
Un sujet digne d’intérêt qui manque de couverture médiatique et institutionnelle.
Trop souvent dénoncé sans forme de proposition. Les zones commerciales ont évidemment un rôle à jouer dans l’organisation des nouvelles mobilités. Mais elles incarnent aussi la possibilité de voir le problème de la soutenabilité différemment. Plutôt que de condamner le péri-urbain, de nier ses qualités, son fonctionnement et finalement son existence, on peut accepter son existence, comprendre son fonctionnement, et intensifier ses qualités. C’est ce que j’ai fait dans mon diplôme d’architecture que je vous invite a venir voir :
http://www.ludoviclegrand.com/project/hyperparking-le-parking-comme-espace-public/