Sortir de l’impasse : pour un autre regard sur ces voies sans issue
C’est un mot forcément connoté, qui fait bondir les urbanistes et donne de l’eczéma aux tenants de la ville passante. L’impasse est une connerie monumentale vous diront certains. Un morceau d’enrobé ou de terre c’est selon, que l’on ne cesse de décrier en contre-exemple de la ville durable. Pourtant l’impasse, lorsqu’elle n’est pas systématisée à un ensemble urbain qu’elle tend à transformer en enclave, mérite semble-t-il que l’on s’y arrête…
L’impasse ce n’est pas la ville
L’impasse serait un non-sens urbain, une hérésie produite par la ville privatisée. Le royaume de l’entre soi. Pour les partisans du concept de la « ville passante », l’impasse ne mène pas à la « cité », pire, elle en est un obstacle majeur. Cette posture de rejet, sinon d’évitement, a précipité la chose dans l’exclusion et la dénonciation automatique. Comme on a longtemps laissé de côté ces produits de ce que les urbanistes considéraient et considèrent toujours parfois, comme n’étant pas de la ville, on a abandonné ces voies sans issue physiques à leur sort en cul-de-sac.
Héritages d’une sédimentation d’époques où elles desservaient, au hasard des limites foncières, quartiers ouvriers, collectifs ou maisons particulières en cœur d’îlot et projets de « castors », les voies sans issue, entrées depuis l’essor du taux de motorisation, dans une logique unique de déplacement automobile, sont devenues des objets d’opposition acharnée, accusés de favoriser relégations sociales et spatiales, jusqu’à créer des enclaves dans leurs pires extensions.
Rarement étudiées (pour elles-mêmes), mais presque systématiquement remises en causes et rayées à l’heure où l’on exige des villes qu’elles se conforment aux préceptes du développement durable, ces voies disposent pourtant en germe, d’une formidable capacité inexplorée à créer de la ville et du lien social…
De l’impasse à la ville
A force de voir l’impasse comme une figure symptomatique du lotissement en raquette, on aurait tendance à oublier qu’il puisse subsister quelques formes que ce soit d’urbanités en elle. Pourtant, l’impasse est dans de nombreux contextes, un lieu où s’expriment les sociabilisations de voisinage : fêtes de quartier ou d’immeubles, repas improvisés ou activités partagées… l’impasse, parce qu’elle marque le pas sur la ville et sur le « tout public » constitue un espace privilégié de rencontres.
Dans le monde arabo-musulman, notamment au sein des métropoles de l’arc méditerranéen, l’impasse (derb), devient un élément incontournable de la structuration à la fois spatiale, mais aussi sociale de la ville historique, celle de la médina. Longuement étudiée (notamment par E. Wirth (1997)), cette ordonnance atypique de l’espace, a tendance à accentuer le caractère « privé » de la ville islamique et à générer de forts rapprochements de voisinage (famille, parenté, amis, etc.).
Mais ce qui est particulièrement vrai pour la ville arabo-musulmane, l’est aussi pour certaines formes urbaines héritées de l’industrialisation de la ville occidentale. Dans les anciennes régions minières, et les territoires marqués par l’histoire ouvrière, les cités du 19ème et du début du 20ème siècle ont produit des formes particulières de voies. A mi-chemin entre l’impasse et la cour privative, la « courée » est longtemps restée un lieu de la ville hybride entre statut public (pour certaines) et usages privés.
A Lille et sur certaines communes du territoire de la Métropole (Moulins, Fives, etc.) les politiques d’aménagement ont récemment (2006) pris en charge la réhabilitation de ces lieux pour beaucoup délaissés et qui finissaient par ne plus jouer leur rôle d’inclusion sociale, ou simplement, de lieu de vie…
Aborder l’impasse sous un autre jour
En milieu urbain, dans les tissus de centres villes et sur certains quartiers de faubourgs, l’image de l’impasse est en train de changer. Coupe-gorges hier, certaines d’entre elles ont aujourd’hui amorcé un changement sensible de nature sous l’impulsion de collectifs, d’associations ou d’initiatives de voisinage.
A Paris, là où les espaces extérieurs comme extension du logement ou de l’immeuble se font rares, l’impasse est parfois devenue le prétexte à créer des lieux pas tout à fait l’image de l’espace public, pas tout à fait à celle du « jardin ». Comme dans le cas des courées lilloises, sortes de palliatifs extérieurs à l’exiguïté des logements ouvriers, les impasses situées en « milieu dense » revêtent de plus en plus la forme de « cours » semi privatives au sein desquelles s’expérimentent des projets communautaires et se développent de nouvelles formes d’activités extra-résidentielles : jardins partagés ludiques et pédagogiques (ECOBOX impasse de la Chapelle), activités de quartiers ou de voisinage, etc.
Et dans le périurbain ?
Plus que tout autre territoire de la ville, le périurbain reste celui au sein duquel les impasses demeurent les plus décriées parce qu’elles n’obéissent dans ce cadre, qu’à des logiques individuelles et tendent à accroître les coûts de la collectivité (services d’assainissement, réseaux, etc.).
Aujourd’hui, très peu de travaux portent sur ces segments de la ville périurbaine alors que leur nombre ne cesse de croître et qu’ils représentent sur certains quartiers, la typologie routière la plus marquante d’un réseau de voirie. Si le caractère (social, morphologique) des impasses situées en lotissements pavillonnaires marque de très loin l’écart avec ses cousines des faubourgs du 19ème et du début du 20ème siècle, elles n’en restent pas moins des espaces de sociabilisation latente, sur lesquels les réflexions en matière de prospective périurbaine mériteraient de se porter.
Où en seront les impasses de nos sociétés périurbaines dans 20 ou 30 ans ? Aurons-nous d’ici là, tenté de les exclure de nos vies urbaines ? Se seront-elles sinon, exclues d’elles-mêmes ?
Sortir de l’impasse
Et si, plutôt que de voir les impasses périurbaines comme autant d’oppositions physiques à la construction de la ville durable, nous prenions simplement acte de leur existence, pour agir sur leurs « qualités » et modifier leur destin ? Intervenir, plutôt que laisser faire ?
La démarche BIMBY (Build In My BackYard), propose d’agir sur la densification des milieux pavillonnaires, et pose la première pierre d’une forme d’interventionnisme longtemps écartée de ces territoires de la ville, laissés à la discrétion des individualismes.
On imagine très bien, dès lors que l’on réduit la taille des parcelles en conséquence d’une densification, la possibilité de faire des impasses périurbaines, de nouveaux supports partagés de ce qui aura pu être « rogné » à l’échelle de l’individu.
Dans un tel contexte qui verrait le pavillonnaire muter progressivement vers plus de densités, et les collectivités monter en charge sur la question, l’impasse aurait sans doute d’avantage de pertinence à ne plus subsister uniquement en tant que voie de desserte, mais également, à abriter et à mutualiser des fonctions de voisinage, comme le stationnement ou les espaces partagés de jardins ou de détente… Un glissement des usages, de la propriété vers le partage, qui ne va pas évidemment, sans se confronter à quelques limites, et parmi elles, celles que supposent les « tolérances de voisinage » semblent les plus difficiles à dépasser…
13 Commentaires
Sortir de l’impasse : pour un autre regard sur les voies sans issues http://t.co/GAt4NZGSiY
De belles idées ! RT @Le_bug_urbain: Sortir de l’impasse : pour un autre regard sur les voies sans issues http://t.co/MEJNQ5N01W
De belles idées ! RT @Le_bug_urbain: Sortir de l’impasse : pour un autre regard sur les voies sans issues http://t.co/qqpCLD3Ur1
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Aménagement et urbanisme durable : aborder l’impasse urbaine sous un autre jour – http://t.co/yMPDlbrQoh RT @Le_bug_urbain
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Sujet intéressant !
Merci pour cette référence aux courées, qui sont en effet en pleine réhabilitation, même si cette dernière se fait dans le cadre d’une gentrification de certains quartiers, comme c’est souvent le cas avec les requalifications dans notre région (transformation d’usines en lofts, etc.)
J’ai moi-même eu la chance d’habiter dans une impasse dans mon enfance.
Résultat :
Cela est bien plus difficile dans une rue passante :
Je suis retourné dans cette impasse 15 ans plus tard…il y avait des dessins d’enfants dessiné à la craie un peu partout… C’était assez émouvant 🙂
Merci pour votre témoignage en tout cas! Qu’on se le dise, il y a bien une vie dans ces espaces au delà de ce à quoi on les destine ,(et votre regard est là pour en faire écho).
Je vis dans une impasse, ce n’est pas ma première, et je ne peux plus les sentir ! C’est le repli sur soi, un cocon d’où est exclu l’étranger, même de la rue d’à côté.
Des communautés qui peuvent être idyllique, à première vue, mais dès qu’apparaissent des tensions, cela devient l’enfer. Si vous vous êtes disputé avec votre voisin, ce qui n’arrive jamais, et que vous êtes obligé de passer devant chez lui, puisqu’il n’y a pas d’autre sortie ! bonjour l’ambiance.
C’est le signe ultime de l’individualisme actuel, on ne se mélange, plus, on se repli dans des gated communities, à quand les barbelés et les miradors ?
On oublie, on ne veut pas savoir que la ville n’est pas qu’une accumulation d’habitations, nos urbanistes et théoriciens modernes, depuis près de 100 ans, on fait exploser la ville, et quand cela ne fonctionne pas, ils n’acceptent jamais d’en être les responsables.
La ville est un organe économique, un lieu d’échange, de marché, de rencontre depuis sont origine, alors la cloisonner, c’est aller à l’encontre de sa fonction première.
Merci pour montrer un peu la réalité de la vraie vie, pas celle fantasmée par les urbanistes/géographes/etc lambda. Moi-même urbaniste/géographe ayant grandi dans une impasse pavillonnaire, je confirme votre propos.
Je pense qu’il faut arrêter avec l’excès de critique acerbe en urbanisme. Que se soit pour le grand-ensemble, les tours, le pavillonnaire, etc. Trop de critiques tue l’esprit critique. La ville est multiple et a de multiples fonctions. Elle ne peut pas être un centre-ville partout.
Cependant c’est vrai qu’il n’y a pas la même ambiance que dans un squatt d’artiste partagé ou dans une médina arabe où vit toute la famille avec des fortes relations de voisinage (malgré les impasses et le caractère très privatif de la médina, bien pire que dans le « cauchemar pavillonnaire » comme on l’entend parfois. A l’inverse, la banlieue américaine hyper-pavillonnaire a beaucoup d’espaces ouverts, verts). Mais ce n’est pas la même chose. Le pavillonnaire et l’impasse remplissent l’objectif pour lequel ils existent: faire un endroit agréable et isolé, comme une cour intérieure sans trafic.
L’urbanisme français tend a faire un peu un entre deux : espaces verts publics, et densification, petits collectifs… mais ces collectifs ce n’est pas forcément beaucoup mieux pour le coté interactions sociales : Quand on vit dans un immeuble, on se connait pas mieux que les gens d’une impasse.
D’ailleurs, gros travers des réflexions urbanistiques : l’entre-soi c’est ça justement qui permet la socialisation ! Car chaque personne, vous y compris, ne socialise-t-elle pas en permanence avec quiconque qu’elle croise dans la rue en permanence ? Certaines personnes aspirent au calme et à la tranquillité ; certains vieux ont socialisé toute leur vie ; pourquoi leur refuser cet isolement ?
Pourquoi croire que l’entre-soi c’est rejeter les autres, alors qu’au contraire. C’est déjà dur de connaître ses voisins ou collègues que l’on côtoie tous les jours… Comment voulez-vous que l’on socialise avec tous les habitants d’un quartier ou d’une ville ? Il faut sortir un peu de cet excès de spatialisme, c’est surtout ce que vous faites de votre vie qui va déterminer les rapports sociaux plus que la forme urbaine.