« Bruxelles, pas belle ». C’est par ce titre provocant que Jean Quatremer a mis le doigt sur une plaie béante. L’article a fait hurler les décideurs de la capitale belge et autres « bruxellophiles » dans un brouhaha d’offuscations et de plaintes contre ce qu’ils perçoivent comme une nouvelle preuve de l’arrogance française. « Bruxelles, pas belle », cette expression laisse perplexe. Pour être plus exact, on peut essayer d’imaginer que Bruxelles est un capharnaüm. Soit, si l’on en croit le Larousse, un « lieu plein d’objets entassés sans ordre ».
« Plein d’objets entassés » ? Effectivement, et « objets » est à prendre ici dans le sens noble du terme, sans préjuger de sa valeur. Il y a du « très beau ». Ainsi, Bruxelles compte sur des objets qui construisent son image: le Manneken Pis, la Grand’Place, l’Atomium… Il y a d’autres objets architecturaux qui font la singularité de Bruxelles : la Basilique de Koekelberg, les magnifiques hôtels communaux, les maisons Art Nouveau (4 œuvres réalisées par Horta sont classées au patrimoine mondial de l’UNESCO). La capitale belge peut compter aussi sur une grande densité de parcs urbains de bonne qualité : Parc du Cinquantenaire, Parc de Bruxelles (à proximité de la Place Royale), Parc de Laeken… et des espaces publics de bonne facture : Quartier Royal, Place Flagey…
Mais voilà. Il y a aussi du « moche » à Bruxelles.
Les tours du Quartier Européen (autour des institutions européennes), du Quartier de la Gare du Nord et, désormais, des berges du canal, sont venues défigurer le paysage local. Le quartier de la Gare du Midi, principale porte d’entrée de la ville, est repoussant. Le monumental Palais de Justice, qui écrase les quartiers environnants, paraît mal vieillir. La Senne, le cours d’eau naturel de Bruxelles, est quasi entièrement enterré, et son canal bien trop discret pour s’imposer dans le paysage. Les espaces publics ne sont faits que pour les voitures : les autoroutes urbaines étranglent la ville, les carrefours ne sont que des pièges à accidents, les parkings pillent les places publiques. Autant dire qu’il ne fait pas bon être piéton ou cycliste.
Bruxelles est donc un lieu plein d’objets entassés sans ordre. « Sans ordre », oui, puisque tous ces objets, beaux ou moches, sont accolés sans cohérence ni harmonie. Cela peut s’expliquer en partie parce que Bruxelles n’a jamais eu une culture de la planification urbaine. Bien que les choses évoluent dans le bon sens, le constat reste sidérant. D’abord, un empilement de documents de planification et de règlements (Plan Régional de Développement, Plan Régional d’Affectation du Sol, Règlement Régional d’Urbanisme, Plans Communaux de Développement, Règlement Communal d’Urbanisme, etc.) sans cohérence entre eux, et parfois avec des portées juridiques restreintes.
Là où, en France, le tout est compacté dans deux documents bien articulés : le Schéma de Cohérence Territoriale et le Plan Local d’Urbanisme. Ensuite, le retard dans la planification reste conséquent : le Plan Régional de Développement en vigueur est vieux de onze ans, et sa révision peine à sortir. Moins de la moitié des communes de la région disposent d’un Plan Communal de Développement. Là où, en France, la planification a été généralisée, et tend vers une approche plus globale, à l’échelle des territoires intercommunaux.
« Bruxelles est un capharnaüm », ce qui en fait aussi son charme. C’est aussi une ville qui vit, qui festoie, qui brasse les cultures comme les bières ! Une ville qu’il faut malgré tout s’efforcer de découvrir, car comme le chante Arno :
Brussels, sel,
Elle est belle, elle
She’s a lady
A dirty beauty