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Et si demain les routes n’existaient plus?

C’est un sujet qui fait écho à un article que nous publiions récemment sur l’urbex et ces lieux abandonnés de la ville. Comme ces édifices décomposés, qui  passent à côté d’une époque à laquelle ils n’appartiennent plus vraiment, nos routes sont parfois le théâtre du même sort.

Laissés à la discrétion du temps qui passe, abandonnés par leur trafic  à la faveur d’autres infrastructures, plus performantes et qui permettent d’optimiser les temps et les vitesses, certains tronçons de routes (lorsqu’il ne s’agit pas carrément de routes entières) autrefois encombrés de véhicules,  ressemblent aujourd’hui et à s’y méprendre, à de simples chemins communaux. Autant d’abandons qui questionnent  l’avenir de ces objets, au delà,  celui de nos infrastructures…

Un fantôme d’enrobé

C’est une voie mythique, à l’image de la Route 66 qui traverse les Etats-Unis d’Est en Ouest. La Nationale 7, celle des vacances chantée par Charles Trenet, qui file du cœur de Paris jusqu’à Menton sur près de mille kilomètres (996 km exactement) puis rejoint l’Italie, symbolise à n’en pas douter, ces routes que le temps et ses bouleversements contribuent parfois de façon plus ou moins brutale à déclasser.

En 1970, alors que l’on achève les derniers kilomètres de l’autoroute qui reliera Paris à la Côte d’Azur, la Nationale 7 tire une partie de sa révérence, bientôt dépecée puis rétrogradée par tronçons en départementale, ne plus exister que dans la mémoire collective.

Aujourd’hui, la route qui voyait passer des millions de vacanciers serrés dans leurs Juvaquatre ou leur Panhard, pressés de rejoindre la mer, est devenue un fantôme d’enrobé. Dans le sillage de son abandon, c’est toute une économie tournée autour de son existence qui a déserté.

Témoin particulier d’un passé fabuleux, duquel il ne reste plus que de vieilles publicités murales sur d’antiques garages laissés aux vents, le jeune photographe Jérémy Saint-Peyre, a parcouru durant deux ans cette route, que n’empruntent plus aujourd’hui dans sa totalité, que quelques amateurs de road-trip ou nostalgiques des premières virées cannoises.

Des garages et des hôtels abandonnés

Sur son chemin, le photographe originaire d’Annecy, fait écho de l’activité qui régnait autrefois sur les bords de la Nationale. Une activité qui en de nombreux endroits s’est évaporée, pour ne plus laisser derrière elle que des coquilles vides, pleines du temps où elle existait. Des garages, des restaurants routiers, des commerces en tous genres et des hôtels, …

Ici, on travaillait, on n’arrêtait pas. Aujourd’hui pourtant, il n’y a plus rien. A vrai dire, on ne sait pas exactement ce que le déclassement progressif de la Nationale et son abandon au profit du réseau autoroutier aura coûté à l’économie des territoires qu’elle traversait, ni combien précisément, il aura entraîné de pertes d’emploi…

Ce processus de relégation économique, souvent très localisé dans son impact lorsqu’il a notamment pour cause, la modification d’un statut ou d’un tracé routier, n’est pas si rare que ça. En fait, si le cas de la Nationale 7 apparaît atypique par son ampleur, il existe des centaines d’autres exemples hérités des conséquences que peuvent notamment avoir les contournements routiers sur de petites communes dans lesquelles des rues autrefois commerçantes, se retrouvent peu à peu désertées de leur trafic et de certaines de leurs activités liées aux « achats de passages ».

Aujourd’hui la route, hier le rail

Et si demain, les routes telles que nous les connaissons aujourd’hui pour certaines, n’existaient plus ? Qu’adviendrait-il alors de ces artefacts du monde moderne devenus anachroniques, sous l’essor et la « systématisation » de nouveaux modes de transports collectifs, l’évolution des modes de vie et des consciences, l’hyper-métropolisation des territoires, ou encore, la diminution des capacités à faire et à entretenir  de nos collectivités sur de trop grands espaces à l’urbanisation diffuse ?

A l’instar de certaines routes abandonnées, le train et ses infrastructures ont par endroits laissé leurs empreintes et fossilisés leur passage, comme autant de témoignages des ruptures ou des recompositions sociales et technologiques qui émaillent le temps.

Dans les années 60, alors que la voiture tend à s’imposer massivement comme moyen de déplacement un peu partout au sein des pays industrialisés, certaines voies ferrées intra-urbaines cèdent du terrain sur leur trafic. A New-York ou à Paris, on assiste à cette époque à un déclin progressif du rail, puis bientôt, à l’abandon de quelques lignes sur lesquelles ne passent plus jusque dans les années 80, que de rares convois de fret.

Laissés à l’abandon pendant plus de vingt ans, certains tronçons font aujourd’hui et depuis le début des années 2000, l’objet de requalifications et de projets plus ou moins aboutis. Sur Manhattan, on inaugurait ainsi en 2009 la High Line (dont on vous parlait ici et ), un vaste jardin suspendu sur une portion de 2,3 km des anciennes voies ferrées aériennes du Lower West Side.

Plus près de chez nous, c’est le projet de Petite Ceinture parisienne, qui pourrait bientôt redonner vie, sous une autre forme, et d’autres usages (au même titre que les promenades plantées parisiennes aménagées à la fin des années 80), aux restes abandonnés des 32 kilomètres de rails qui entouraient la capitale et fonctionnaient encore jusqu’en 1990…

 Et si demain les routes n’existaient plus ?

Si les sociétés perdurent, leurs infrastructures changent, se décomposent puis se recomposent, ajustant leurs formes et leurs usages aux attentes et aux besoins des environnements qu’elles alimentent. Comme le rail a décliné, notamment en milieu urbain à partir des années 60, les routes pourraient-elles à leur tour, connaître le même destin ?

Qu’adviendra-t-il du périphérique parisien ou d’autres axes emblématiques de l’époque du « tout voiture », dans 30 ou 50 ans ?

Avant 1934, date à laquelle le dernier train de voyageurs circula sur les rails de la Petite Ceinture parisienne, ils devaient être peu nombreux les parisiens à imaginer un jour son abandon. Aujourd’hui, imaginer le périphérique sans voitures, reviendrait finalement à opérer ce même exercice de projection…

Pourtant certaines actions telles que celle menée par l’Association « Périféerique » qui milite pour ouvrir, le temps d’une journée, le périphérique parisien aux piétons et aux modes doux, semblent déjà précéder un scénario qui verrait petit à petit, des portions de voies réservées actuellement au seul usage de la voiture, muter en de nouveaux objets, pas tout à fait à l’image de la route, pas tout à fait à celle d’une coulée verte…

La Petite Ceinture serait-elle un avant goût de ce que deviendra le périph parisien? (Crédits Ilhan Gendron)

Et pourquoi pas, des projets de « muséification » pour d’autres routes provinciales que les autoroutes devenues gratuites (rêvons un peu) entre les métropoles, ou que le « téléphérique à grande vitesse » (rêvons beaucoup) auraient relégué au statut d’anachronisme au même titre que le fut la N7 à partir des années 70?

C’est en tout cas, ce type de projet qu’avançait récemment (2011) Alain Suguenot, député-maire et président de la communauté d’agglomération de Beaune, souhaitant faire de la Nationale 6, sœur jumelle de la N7, un musée à ciel ouvert, jouant sur la fibre nostalgique des automobilistes et des amateurs de mythes routiers…

Sans forcément présager de la disparition des routes (qui pour certaines traversent plus de 2 000 ans d’histoire) le futur nous amène inévitablement à penser leurs évolutions. Tandis qu’il en meure un peu, d’autres naissent. Et tandis que d’autres naissent, d’autres encore renaissent sous des jours différents, par la force des attentes, des ruptures sociales, du progrès ou des  besoins collectifs…

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