« L’île de France est la plus pourrie de toutes nos régions, et personne ne s’est demandé s’il était vraiment pertinent de faire encore grossir une métropole de 12 millions d’habitants, surtout quand on voit les problèmes que cela pose déjà », écrivait récemment sans sourciller, le collectif d’urbanistes Deuxdegrés en introduction de son bouquin « Le Petit Paris ».
Paris doit-il encore grossir, alors qu’il ne parvient plus réellement à offrir à ceux qui y vivent, des conditions de vie supportables ? Paris doit-il encore grossir au risque de s’asphyxier, de voir la qualité et le coût d’accès aux services, à la « nature » ou au logement se dégrader davantage ?
Jamais abordée par les équipes d’urbanistes et d’architectes engagées dans les réflexions sur le Grand Paris, la question qui revient à envisager une cure d’amaigrissement pour la capitale et sa banlieue, semble pourtant se poser comme une alternative, face à d’autres visions mollasses et peureuses de son devenir, de celui de ses habitants mais aussi, et par extension, des territoires provinciaux.
PADOG et Cie : Paris ne doit pas, ou ne doit plus grossir
Réduire la taille de Paris et de sa banlieue, ou en limiter l’expansion,… L’idée a de quoi faire sourire. A vrai dire, elle paraît tellement irréalisable qu’on se dit qu’elle aurait très bien pu sortir de l’esprit d’un gamin de quatre ans imaginant le quotidien des années 30 sans couleurs. C’était évidemment oublier les politiques d’après-guerre et les acharnements répétés de l’Etat à entreprendre de décentraliser le pays …
C’est que, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les premières esquisses vichystes et le livre polémique du géographe Jean-François Gravier, Paris et le Désert français (publié en 1947), l’idée de restreindre le développement de la capitale au profit de la province, a largement imprégné les politiques d’état en matière d’aménagement du territoire.
En 1950, d’abord, puis en 1960 avec la publication du Plan d’Aménagement et d’Organisation Générale (le PADOG), les pouvoirs publics cherchent pour la première fois à limiter la force de gravité de la capitale, laissant bientôt entendre que Paris ne doit pas, ou ne doit plus grossir.
On table alors sur un objectif de 9 millions d’habitants à ne surtout pas dépasser. Sur une carte, un trait dessine la frontière physique de l’agglomération. Au-delà, on ne construit plus rien. La densification à l’intérieur du périmètre, en particulier sur la proche banlieue que l’on cherchera à restructurer, doit normalement satisfaire les besoins en matière de logements et de terrain à bâtir…
Des documents d’urbanisme, pulvérisés devant la « privatisation » des sols
Dans les années 60, les plans se succèdent. En 1962, l’Agence Foncière et Technique de la Région Parisienne est mise en place et les premières ZAD (Zone d’Aménagement Différé) permettent à l’Etat de dégager entre 1962 et 1968, 15 000 hectares de réserves foncières « à préempter » sur une période légale de 14 ans. Dans le même temps, en 1965, le Nouveau Schéma d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Parisienne (le SDAURP), est lancé. Il aboutira à la création de cinq villes nouvelles, sur les huit initialement prévues, sensées décongestionner Paris et casser l’organisation monocentrique du territoire.
On le sait maintenant, ces villes seront un échec somme toute relatif face aux erreurs de prospectives des experts de l’époque. Un échec, au moins aussi grand par ailleurs, que l’inutilité des différents documents d’urbanisme, pulvérisés devant la « privatisation » des sols et les attentes individuelles.
Car à côté des efforts de l’Etat, la ville poursuit sa construction et sa croissance en roue libre, alimentée par la promotion privée, la collusion du secteur bancaire, des groupe de promotion et un idéal de vie qui, loin de l’habitat collectif, se concrétise depuis longtemps, dans la maison individuelle. Paris devait rétrécir, mais Paris continue de grossir, Paris continue de se goinfrer.
Désormais, et à partir des années 70, l’Etat lâche progressivement prise, jusqu’à bientôt, condamner ce que lui-même aura cherché à atteindre durant près de 30 ans. C’est le début d’un urbanisme de dérogations et le renforcement croissant du poids de la capitale dans l’économie du pays.
Paris ne doit pas rétrécir
La frontière, aussi ténue qu’elle fut entre l’utopie d’un « Petit Paris », et la réalité de la politique de décentralisation menée au cours des décennies 50 et 60, s’est depuis largement durcit. L’idée de croissance économique à toutes les échelles, qui n’a pourtant jamais été aussi loin de nous, est devenue dans un contexte de guerre entre les métropoles, un leitmotiv de développement urbain. Comme si, le fait pour une ville de croître perpétuellement était finalement le gage d’améliorations continues pour ceux qui y vivent…
Pour souligner à quel point cette idée de croissance semble faire consensus, le collectif Deux degrés relevait par ailleurs le paradoxe entre les diagnostics produits par certaines équipes ayant travaillé sur la consultation du « Grand Paris » et les conclusions, déjà biaisées par l’intitulé de la commande, qu’elles avaient pu en tirer :
« Dire que Paris est invivable parce que trop grand puis suggérer comme seule solution à cela de continuer à l’agrandir semble être une stratégie erronée. »
Paris ne doit pas rétrécir. C’est un fait acquis aux élus et aux décideurs. Pourtant de quoi la taille de Paris est-elle aujourd’hui la garante, face à d’autres capitales européennes plus petites ? La taille est-elle une condition de réussite ou de qualité de vie ? Faire « un Encore Plus Grand Paris » sera-t-il le gage d’améliorations pour la ville, sa région et ses habitants ?
La population parisienne a gagné 85 000 habitants entre 1999 et 2008
Paris grossit. En fait, chaque année la région gagne des habitants. On parle de 50 000 personnes supplémentaires par an, par voie de solde naturel et d’immigration depuis l’étranger. Pourtant, Paris et sa région connaissent dans le même temps une forte émigration, avec 190 000 départs par an en moyenne.
Car si la ville croît, elle s’est aussi considérablement éclatée. Les habitudes des citadins ont changé, et il n’est plus rare de voir des gens habiter aujourd’hui à plusieurs centaines de kilomètres de Paris, alors qu’ils y travaillent. Cette tendance, à l’éloignement relatif des centres, dont on ne refera pas ici les causes, et qui a touché Paris intra-muros durant plusieurs décennies, est en train de s’inverser. Décroissante depuis le milieu des années 70 jusque dans les années 90, la population parisienne a gagné 85 000 habitants entre 1999 et 2008. Une croissance qui va de pair avec celle de la petite couronne comme le rappelle, dans Le Monde du 8 mai 2013, Claire Juillard, auteur d’une étude pour la chaire « Ville et immobilier » de l’université de Paris Dauphine :
« Auparavant, plus on s’éloignait du centre, plus le rythme de croissance de la population augmentait. Ce n’est plus le cas, puisque la ville intra-muros croît de nouveau et la petite couronne bat des records. »
Le risque, c’est qu’évidemment, la collectivité et les territoires ne puissent plus rattraper leur propre croissance et que l’explosion démographique que connaissent certaines communes de la petite couronne (+20% entre 1999 et 2008 et 8% en moyenne), ne devienne vite intenable, face à la densité et à l’encombrement… Et si plutôt que de passer son temps à essayer de suivre, l’urbanisme « laissait tomber » pour mieux s’exercer ensuite ?
Un Paris plus petit ?
Les parisiens vous le diront, ils adorent leur ville. Enfin ils s’en persuadent. Seulement, dès qu’ils ont l’occasion de s’en tirer, ils le font. Et lorsqu’on demande aux parisiens s’ils quitteront un jour leur ville, plus d’un sur deux répond oui. Un chiffre qui grimpe même à 86% chez les cadres (Cadremploi ; avril 2013)…
C’est en fait tout le paradoxe de Paris et de sa région. On y vient parce qu’il y a du travail, mais avec une seule idée en tête, en repartir un jour. Parce que, à moins d’être un touriste chinois en vacances, ou faire partie des 10% des urbains les plus riches, la vie à Paris finit, passée les études et les sorties entre potes, par être merdique. Cadre de vie, coût du logement, transports,… deviennent autant de motifs d’insatisfactions qui font que les parisiens plébiscitent d’autres cadres urbains, plus humains, plus petits aussi… Ainsi, lorsque Provemploi interrogeait les franciliens à la fin 2012, 50% des 25 à 35 ans exprimaient leur envie de s’installer dans une ville de moins de 100 000 habitants.
Un Paris plus petit ? A taille plus humaine ? Pour Deuxdegrés, Paris mérite effectivement de rétrécir, parce que Paris est trop grand. Paris ne joue plus son rôle. Paris attire l’économie, de fait, il attire les travailleurs, mais au détriment d’autres choses. Au détriment des équilibres sociaux, des services, des espaces de « nature », etc. Alors, Deux Degrés fait une proposition :
« Chez Deuxdegrés, […] nous avons décidé́ d’aider la capitale française en la réduisant, en aménageant un Petit Paris, une Ile-de-France amputée de 2 ou 3 millions d’habitants. »
Un Petit Paris, de 9 millions d’habitants ? Cela ne vous rappelle rien ? C’est bien l’objectif démographique à ne pas dépasser que fixait le PADOG en 1960…
Paris plus petit, se justifie pour tout un tas de raisons
La figure d’un Paris rétréci semble insaisissable, pourtant, elle a le mérite d’ouvrir le débat et de poser des questions : un nouveau PADOG, c’est-à-dire, un document prônant la décroissance de la région parisienne pourrait-il encore voir le jour ? L’évolution des modes de vie, l’essor des NTIC et l’imprégnation/diffusion de la ville dans l’espace pourraient-ils favoriser sa mise en œuvre ?
Au-delà des questions du retour à des plans d’aménagement et de « décroissance » ambitieux qui pourraient se poser encore aujourd’hui, face à une situation d’empire de la capitale largement inchangée depuis les années 60, Paris plus petit se justifie pour tout un tas de raisons. Des enjeux pour la plupart évoqués lors de la consultation des équipes d’architectes du Grand Paris.
Aux grandes infrastructures de transports durables, dont on sait qu’elles seront rapidement saturées, aux projets de recréer des espaces de respiration et de nature au sein du tissu urbain dense, en passant par les aspirations de mixité sociale dont personne ne veut,… Deuxdegrés répond finalement qu’il serait plus pertinent de penser ces projets dans la déconstruction plutôt que dans la croissance…
Une affaire d’union nationale
Aussi bien pour les franciliens que pour les provinciaux, Paris aurait également tout intérêt à décroître, nous rappelle Deuxdegrés :
« Les raisons de déconstruire des morceaux entiers de la capitales sont nombreuses. Elles concernent les parisiens eux-mêmes pour des raisons que nous avons qualifiées d’endogènes, mais aussi, tous les français pour des raisons […] exogènes. »
Tandis que les franciliens souffrent de leurs conditions de vie, et qu’ils ne disposent pas forcément davantage d’aménités que d’autres capitales européennes ou que d’autres villes françaises de taille plus modeste, les provinciaux quant à eux, souffrent des franciliens. Des franciliens en vacances, des franciliens qui consomment trop d’électricité et font courir un risque nucléaire sur le reste de la France, des franciliens qui captent à eux les filles les plus canons, etc…
Réduire Paris deviendrait finalement un moyen de mieux vivre, pour tout le monde. En somme, le Petit Paris serait ni plus, ni moins, qu’une affaire d’union nationale, l’expression consacrée, de ce que l’on nomme tel un lieu commun, le mieux vivre ensemble…
Pour découvrir le livre sur Le Petit Paris, c’est par ici