Le principe fondamental des smart grids est de permettre de consommer les ressources énergétiques au moment où elles sont le plus disponibles. Au delà des limites réglementaires, on peut d’ores-et-déjà noter quelques failles… On ne peut par exemple s’empêcher de se représenter ces systèmes interconnectés comme autant d’éléments « déréglables » et inappropriables, susceptibles d’augmenter la vulnérabilité du réseau global.
Les smart grids pour les nuls
La dimension pour évaluer nos consommations d’énergie est le kWh, unité de comptabilisation et de facturation. En réalité, au quotidien nous n’avons pas besoin de kWh mais plutôt de kW à un instant précis. Ainsi, la condition sine qua non des smart grids est de pouvoir stocker des kW afin de les utiliser au moment où ils sont le plus utiles. Or, l’énergie électrique est réputée pour ne pouvoir être stockée que de façon très réduite, et pour un coût très élevé.
Aujourd’hui, les méthodes de stockage sont peu nombreuses mais tendent à se diversifier et se multiplier. Parmi les plus utilisées : la STEP ou station de transfert d’énergie par pompage (140 GW produits dans le monde entier) et le stockage par air comprimé (430 MW). Plus communément, on connaît les batteries plomb (45 MW), lithium (45 MW), nickel-cadium NiCd (40 MW), volants d’inertie (40 MW) et Redox (3 MW).
Plus fun, Dennis Siegel, designer et photographe allemand, aurait trouvé un moyen de transformer la pollution électromagnétique en énergie (à lire ici). Il invente un petit appareil qui permet de recharger des batteries grâce aux champs environnants. Evidemment, cette innovation reste anecdotique à l’échelle urbaine mais on pourrait s’amuser à imaginer qu’un jour les lignes à haute tension deviennent un nouveau moyen de stockage de l’énergie. Remplaçant les batteries traditionnelles lithium ou plomb, l’énergie stockée serait alors redistribuée à temps décalé dans un smart grid. Une petite piste pour « positiver les contraintes et pollutions électromagnétiques » d’un site ? A voir…
Les premiers retours d’expériences du réseau IssyGrid
IssyGrid® est la première expérience française à échelle 1:1 capable d’ajuster la production et la consommation d’énergie à l’échelle d’un quartier. Les premiers équipements d’IssyGrid concernent plusieurs immeubles de bureaux, près d’une centaine de logements ainsi qu’une partie de l’éclairage public du quartier Seine Ouest à Issy-les-Moulineaux :
- 94 logements sont équipés de 14 systèmes interconnectés permettant de réaliser un monitoring en temps réel. Les compteurs communicants, appelés Linky par ERDF, permettent d’informer la disponibilité des ressources dans le but de mieux gérer les pics de consommation : l’idée principale étant de décaler la consommation par rapport aux usages (à l’instar d’un chauffe-eau finalement…).
- Sur le système de climatisation de la tour Sequana, une première expérience a été réalisée le 29 juillet dernier. En pleine vague de chaleur, les bureaux ont été rafraîchis par du froid produit au cours de la nuit précédente. Cela a permis de décaler la consommation d’électricité en dehors du pic de consommation de la journée. Imperceptible pour les usagers, cette première expérience a permis d’effacer pendant 1h30 environ 500 kWh.
- A l’échelle de l’espace public, un système de détection de trafic est installé sur les lampadaires du quartier, permettant de maintenir l’éclairage en fonction du passage, de l’heure et des saisons (rues Camille Desmoulins, Henri-Farman et Bara).
Dans les années à venir, le consortium devrait pouvoir intégrer le réseau de chaleur urbain de Paris, CPCU, développant ainsi de façon considérable le réseau d’IssyGrid®.
Si l’interaction entre différentes entités urbaines n’est pas encore réelle, elle devrait l’être dans les années à venir. Pour le moment, ce concept reste encore au stade de la théorie, notamment car il n’existe pas de socle réglementaire qui puisse permettre l’autoconsommation, le stockage dans les bâtiments et sur le réseau de distribution. Pas de modèle réglementaire non plus sur les échanges à l’échelle du quartier. L’idée ultime de ce réseau serait d’utiliser le surplus d’énergie stockée par un bâtiment tertiaire en journée (principalement du « chaud ») pour la fournir aux logements en soirée.
Des dérives déjà perceptibles
Le sociologue Stéphane Hugon, fondateur d’Eranos et chercheur à l’Université Paris Descartes, dénonce la technicité des smart grids et propose une lecture plus sociale :
Actuellement, les smart grids se retrouvent au centre de deux mondes, qui ne se comprennent pas ou peu : les habitants et les ingénieurs. L’impératif est aujourd’hui de trouver des interfaces de langage commun aux deux univers
Que se passe-t-il quand un compteur communicant du smart grid tombe en panne ? Autrement dit, quelle est la résilience d’un tel système face une crise quelconque, catastrophes naturelle, technologique ou même financière. La réponse évidente de l’ingénieur : « moins l’homme interviendra dans le système, moins ce système sera soumis à l’erreur humaine ». Réponse évidente d’un sociologue : « plus l’homme aura la main sur un système et plus celui-ci sera à son image, compris, malléable et adaptable ».
C’est par le collectif que la pratique consommatoire peut évoluer. Après avoir prôné l’individualisme, source d’ennui, d’isolement, voire de désenchantement, les Français ressentent le besoin de recréer du lien social, de s’enraciner à nouveau dans leur environnement, de se retrouver autour de projets communs
L’intérêt nouveau serait, par exemple, d’identifier des externalités positives potentielles que ce smart grid peut générer à l’échelle globale d’un quartier, d’un territoire, et trouver les leviers de conception et mécanismes de péréquation afin de les mettre en oeuvre. On rejoint ici l’ambition de changer de paradigme notamment exposée par l’agence Franck Boutté Consultants (voir l’idée de conception intégrée ici). Celle de parler d’un développement durable qui soit avant tout vecteur de partage, d’endogénéité, de résilience, d’évolutivité et de réversibilité…
Il faut donc déplacer le curseur de l’argument économique vers celui de la création de richesse pour son environnement immédiat. L’idée que, avec les économies d’électricité réalisées dans un quartier, nous serons capables d’alimenter une crèche, un immeuble ou un commerce de proximité redonne du sens aux projets de réseaux énergétiques intelligents, bien plus fédératrice que l’argument économique individuel.
Puis, en allant chercher chez le petit vicieux qui sommeille en vous, imaginez, vouloir par vengeance, prendre possession du thermostat NEST intelligent de votre voisin, et détourner ses propriétés. Plus de chauffage en hiver et volets ouverts à longueur de journée en été. Vicieux mais néanmoins totalement possible avec l’expansion de l’internet des objets (pour l’infographie voir ici, plus d’informations avec l’article passionnant d’Internet Actu ici), ou la tendance de vouloir à tout prix rendre chaque objet du quotidien communicant et communicable.
Ce qui me fait penser au moteur de recherche Shodan, spécialisé dans les objets connecté. Lisez plutôt :
Après avoir trouvé une vulnérabilité dans un logiciel, Billy Rios, chercheur en sécurité chez Cylance, a utilisé Shodan pour trouver des entreprises, des banques, des immeubles dont on pouvait prendre le contrôle des systèmes de chauffage, de climatisation ou d’éclairage. Il en a trouvé plus de 2000. Le département de la sécurité intérieur américain a révélé que des pirates avaient déjà utilisé ces capacités pour augmenter le chauffage d’une usine du New Jersey.
Dans la famille des révélateurs de dérives potentielles de systèmes interconnectés, on pioche l’excellent jeu vidéo Watch Dogs (honte à nous de ne pas vous en avoir parlé plus tôt !). Dans ce jeu, l’hyper-connectivité permet au héros d’identifier et de contrôler n’importe quel système informatique. Regardez plutôt :
Le pitch du jeu est simple : aujourd’hui un système d’information complexe permet de contrôler les consommations en électricité d’une ville entière (métro, caméra de surveillance, feux de signalisation, approvisionnement en eau potable, systèmes de sécurité, etc… Mais si un ordinateur contrôle effectivement une grande partie de la ville, qui contrôle l’ordinateur ? Watch Dogs est en quelque sorte la gamification et l’exagération des dérives des Smart Cities.
Et pour la promotion du jeu, les développeurs ont eu la génialissime idée de cartographier l’open data des villes de Berlin, Londres et… Paris ! Ainsi, on peut d’un simple clique naviguer dans un univers en 3D et découvrir un très grand nombre de données publiques de ces villes (réseaux matériels et immatériels, équipements urbains, salaire moyen, taux de criminalité, consommation électrique…), le tout en temps réel.
Pour les curieux hackeurs de l’urbain en puissance, c’est par ici que ça se passe !