L’idée m’est récemment venue de m’initier à la pratique du skate en milieu urbain… après tout il n’est jamais trop tard ! Et puis qu’on se le dise un petit ride pour aller faire ses courses au Monop’ ou pour se rendre au boulot c’est quand même carrément plus fun que le métro en heure de pointe. L’occasion pour moi de poser un regard nouveau sur un des éléments caractéristiques de notre environnement urbain, le trottoir.
Possédant assurément un certain équilibre – élément essentiel à la réussite de cette expérience – mon choix de terrain s’est néanmoins tourné vers le trottoir. Loin de moi l’idée de débuter cet apprentissage palpitant en m’aventurant sur la chaussée, à la merci des hordes de voitures…
Me voilà donc parachuté sur ce trottoir que j’avais auparavant parcouru à pied à de nombreuses reprises, et ce en possession de ma nouvelle arme : un Cruiser Travel Well. Je vous passe le détails technique de la bête, Nose, Tail, Truck, Gripp & Co, ces choses-là possèdent un vocabulaire bien particulier… mais là n’est pas vraiment l’objet du billet.
Des trottoirs nous en empruntons tous les jours et, en règle générale, ils nous paraissent tous identiques. Il faut dire que nous leurs prêtons peu d’attention, sauf peut-être pour éviter de temps à autre une déjection canine… Et j’avoue que je ne dérogeais pas à la règle avant cette expérience, m’obligeant désormais à les appréhender différemment. En effet, rouler en ville, sur une planche de skate, au grès du vent et de l’humeur, implique d’apporter une attention toute particulière à la portion de l’espace qui vous devance, sous peine d’infliger des sévices corporels à vos genoux et/ou à vos mains…
Bref c’est là que l’aventure devient intéressante et plutôt originale : exercer son regard sur la ville par une vision attentive et précise des multiples trottoirs ou, plus généralement, du socle d’espaces publics qui composent cette dernière.
La promenade, la déambulation ou encore la flânerie sont autant de façon d’observer l’environnement urbain. Généralement, cela implique un choix bien défini du parcours, de la rue et – parfois – une connaissance des multiples éléments qui composent cette dernière. Une expérience visuelle intense, induite par le flux incessant des éléments qui attire le regard, ce dernier étant essentiellement porté à hauteur d’homme, ou vers le haut de l’espace parcouru. Finalement, très rarement il s’abaisse au niveau du sol.
Lorsque justement, l’on abaisse son regard, ce qui fut mon cas lors de cette expérience, on se rend très vite compte de la diversité des « sols » qui composent la ville. Rare sont ceux qui offrent, au final, une véritable continuité, une véritable homogénéité. Quid du revêtement de ces derniers souvent rafistolés à la va-vite après intervention sur les réseaux ? La plupart sont de plus en plus encombrés par de nombreux éléments : les abribus, les bancs, les bornes incendie, les bouches d’égout, les arbres et les arbustes, les râteliers pour vélos, les éléments de signalisations, les parcmètres, les poubelles et les fameux potelets.
Un véritable amas plus ou moins encombrant ayant insidieusement pris possession de cet élément constitutif de l’espace public, pourtant censé être adapté et dévoué à la mobilité de tous.
Le potelet invasif
Indéniable figure de cet encombrement croissant, le potelet censé apporter une réponse physique au stationnement sauvage, prolifère dans nos villes françaises. Dans un récent article paru sur Slate.fr, Thibaut Schepman pointait du doigt cette croissance irrationnelle. Ainsi, celui-ci décomptait quelques 2 000 € de potelets éparpillés sur les 300 mètres qui séparent son logement de sa station de métro parisienne favorite…
Aujourd’hui, la vitesse de pose a ralenti, mais on en est à environ 2 000 à 3 000 plots par an, soit un budget total d’environ 20 000 euros par mois indiquait ce dernier.
Faites le test par vous-mêmes, sachant qu’un potelet coûte entre 30 et 300 € l’unité pour les plus sophistiqués (« à mémoire de forme » ou au design spécialement adapté à une commune). Vous verrez que cette invasion massive de nos trottoirs entraîne une dépense publique démesurée…
La colonisation semble désormais systématique… Le trottoir est ainsi amputé sur toute sa longueur, de l’espace nécessaire à la pose de ces « petits monstres » offrant un aspect visuel assez médiocre… D’autant que ceux-ci, sensés offrir un peu plus de sécurité aux piétons, dessinent en réalité de véritables couloirs propices à la vitesse pour les automobilistes. J’ai récemment été surpris à Lyon, lorsque cette invasion s’est étendue jusqu’au Pont Bonaparte. (permettant de franchir la Saône entre le Vieux-Lyon et la Presqu’île). Cela me paraissait tout simplement hallucinant d’équiper (en potelets) cet espace d’à peine une centaine de mètres de long, possédant deux feux aux extrémités alors que personne n’avait jamais osé s’aventurer sur les trottoirs du pont pour se garer… Bref, la pose du potelet poussée à l’extrême…. Complètement absurde.
Vers une mutualisation des usages pour le mobiliers urbain ?
Si l’utilité des potelets peut être remise en cause (leur pose systématique ne faisant pas disparaître le problème, mais l’éloignant tout simplement), de nombreux équipements et mobiliers urbains sont placés sur l’espace public pour assumer les fonctions auxquelles le piéton souhaite accéder. Et semblent donc, eux, a priori indispensables. Pour autant, la multiplication de ces équipements peut parfois devenir la cause d’un encombrement excessif, altérant ainsi la qualité de service et le niveau de confort. Pour privilégier la simplicité et la flexibilité – le rôle de l’espace public étant bien de faciliter les usages et les flux – pourquoi ne pas envisager une mutualisation des supports d’usage grâce au mobilier urbain de demain ?
Encore faudrait-il que les différents gestionnaires ou concessionnaires puissent s’accorder sur un principe commun… En effet, de manière générale, le gestionnaire de la voirie n’est pas propriétaire des équipements qui peuplent l’espace public : les luminaires, les armoires appartenant aux divers régisseurs de réseaux tels EDF, GDF ou France Télécom, des abris bus implantés et gérés par les autorités organisatrices de transports, etc.
A Paris, 40 projets de mobiliers urbains expérimentaux ont été retenus pour être testés durant 6 à 12 mois sur l’espace public parisien. Certains projets proposent une ébauche de cette mutualisation, bien qu’on puisse envisager d’aller encore plus loin dans la démarche. De même, la RATP présentait récemment une « concept-station » en face de la gare de Lyon à Paris, conjuguant écrans tactiles d’information, signalétique pour le quartier, espace de restauration, espace d’attente…
A la Part-Dieu on vous facilite le « sol »
Héritant d’un urbanisme de dalle, aujourd’hui très contraignant, le quartier d’affaire lyonnais combine différents niveaux avec des lieux en hauteur (souvent calmes) et des lieux aux sols très animés. Le projet de requalification en cours abonde dans le sens d’une simplification de l’espace public, en proposant une mutation de ce dernier en un « sol facile » reliant les différents niveaux et les pièces de quartiers déconnectées.
En libérant l’espace public de ses nombreux obstacles, en améliorant la lisibilité des différents parcours, l’interaction et l’animation est ainsi favorisée. Un véritable challenge en soi, compte tenu des flux de visiteurs, de voyageurs et d’actifs, qui irriguent ce vaste quartier d’affaire.
Si l’on peut s’amuser de la dénomination donnée au concept, celle-ci reste tout de même extrêmement concrète 😉 ! L’aisance à se déplacer sur un espace donné détermine le sentiment d’appropriation de ses usagers, celui-ci offrant de multiples indicateurs sur la façon de s’orienter et de se déplacer. Ainsi, la lisibilité de l’endroit où l’on se trouve est déterminante, or l’encombrement – décrit précédemment – de l’espace trop souvent systématique, transforme finalement l’espace public en un « sol difficile » …
Les ressources offertes par l’espace urbain doivent rester visibles et intelligibles pour l’usager et il importe donc d’en faciliter l’accès. C’est dans cet horizon que s’inscrit le concept de « sol facile » autour duquel s’articule le projet Part-Dieu… Un concept à exporter, à généraliser ?
Un peu de « Fun et de Pep’s » pour se consoler ?
Outre la mutualisation des usages sur les supports de mobilier, qui pourrait fortement contribuer à diminuer la charge d’élément sur les trottoirs ou plus généralement sur l’espace public, la délivrance pourrait peut-être venir du concept de « ville ludique » développé par certains experts. En effet, à défaut de supprimer tous ces éléments, pourquoi ne pas les transformer en des éléments ludiques, offrant ainsi une approche par le jeu susceptible de limiter la perception d’un espace restreint ou contraint ?
Pour conclure, je dirais que l’occupation de l’espace public par le mobilier urbain trouve sa pertinence dans un juste équilibre entre le niveau de service et de confort offert à l’usager, la fluidité, la liberté et la sécurité du cheminement de chacun. Or aujourd’hui, le constat fait désespérément état d’un dérèglement croissant de ce fragile équilibre… Un seul mot d’ordre donc à retenir : amis et collègues aménageurs, urbanistes, paysagiste et autre architectes, LIBÉRONS L’ESPACE PUBLIC !
NDLA : je conçois que cet encombrement peut bien évidemment faire le bonheur des skateurs expérimentés, mais il me fallait bien une intro…