Il est loin, le temps des pompistes indépendants ! Face à la concurrence de la grande distribution, les petits fournisseurs indépendants d’essence sont de plus en plus nombreux à mettre la clé sous la porte. En France, le nombre de stations essence est ainsi passé en 20 ans de 45 000 à 20 000 (chiffre de 2004 qui a sûrement encore diminué depuis). Aux États-Unis, le phénomène frise l’hémorragie avec près de 50 000 stations fermées sur la même période. Mais fermeture ne signifiant pas destruction, les stations service, une fois abandonnées, sont promises à un délabrement durable et à un aspect des plus sinistres.
Et pourtant, ce destin bien sombre semble contredit par un phénomène de reconversion pouvant prendre des formes bien éloignées de la fonction première des lieux. Les exemples pullulent, en particulier aux États-Unis et en Angleterre, où l’ampleur de l’espace délaissé et l’attractivité de leur localisation (souvent situé à des intersections en milieu urbain) suscitent de plus en plus l’intérêt des promoteurs, des habitants, mais aussi des artistes. Petit tour d’horizon des métamorphoses étonnantes de ces lieux à priori inhospitaliers.
Réinvestir l’espace perdu : apporter de nouveaux usages au lieu
La grande variété d’exemples de reconversion de stations service révèlent la potentialité cachée de ces espaces à l’abandon. L’importante emprise foncière de ces installations (nous ne parlons pas seulement de petites stations rurales, mais parfois de grandes stations désaffectées en milieu urbain) permettent d’entamer des reconversions ambitieuses cherchant toujours à modifier la perception que les citadins se faisaient de ce type d’espace.
Les projets de reconversion existants proposent même la création de lieux mixant les activités et les usages, à l’image de cette station service de l’Île des Sœurs à Montréal, transformée en lieu d’animation intergénérationnel, regroupant à la fois un espace d’activités pour les personnes âgées et un autre pour adolescents.
Plus étonnant encore, une station abandonnée dans la Hudson Valley s’est vu transformé en complexe combinant centre de yoga et de fitness avec l’installation de bornes de rechargement pour voitures électriques devant le futur bâtiment, contribuant par la même occasion au changement de perception d’un quartier où l’ancienne station n’aidait guère à égayer le paysage.
Les stations essence désertées peuvent aussi faire l’objet de reconversion plus temporaires mais non moins impressionnantes, comme le projet » Filling Station » réalisé par le cabinet d’architectes Carnody Groarke le long du Regent’s Canal au Nord de Londres.
La station désaffectée a été transformée en restaurant, bar et espace culturel temporaire, faisant ainsi d’un lieu répulsif un endroit branché éphémère, avant que la station ne soit définitivement détruite pour permettre la construction d’un programme de logements. Une fonction temporaire, certes, mais qui a le mérite de radicalement modifier la fonction du lieu et son attractivité.
Mais ces espaces abandonnées sont aussi investis par des artistes, qui utilisent les stations service comme des supports ou des cadres originaux pour leurs œuvres urbaines.
La station service, terrain idéal de street art
Les lieux désaffectés sont souvent des terrains propices pour les collectifs d’artistes et autres architectes fantaisistes laissant aller leur imagination sur ces espaces à reconquérir. La station service ne recouvre pas une fonction d’usage, mais devient œuvre elle-même, lieu d’étonnement voire même de poésie.
Le très bon site Pop Up City, amateur de reconversions urbaines inattendues, a mis au jour un certain nombre de projets de ce type, comme l’installation lumineuse LED Cloud, œuvre du cabinet d’architectes Sophie Valla au nord d’Amsterdam. En plus de devenir une œuvre contemplative, la station service se mue en un espace public accessible à tous, avec des assises permettant d’admirer les variations lumineuses du toit.
Les street artistes – mais pas que – exploitent également ces espaces délabrés pour en faire des lieux de curiosité qui interrogent le statut futur de ces lieux abandonnées : à Limerick, le street artiste Maser relooke entière une station service dans un style ultra colorée faisant d’un lieu autrefois peu attrayant un espace remarquable entre mille dans la ville.
Dans un style tout aussi fun et décalé, une station fermée du quartier de Chelsea, à New York, est devenue un faux lieu de pâturage et un véritable lieu d’exposition. Ce paysage improbable, réalisé par les efforts coordonnés du collectionneur Michael Shvo et de la galerie d’art Paul Kasmin, rassemble en effet les sculptures ovines de François-Xavier Lalanne.
Qui aurait cru qu’un lieu de distribution d’essence deviendrait un jour la vitrine idéale pour exposer des œuvres d’art ? Tout ne semble donc pas perdu pour les stations service qui, malgré une apparence première peu avenante, se révèlent capables de s’adapter à des usages foncièrement différents de leur raison d’être, et de donner à ces nouvelles fonctions des formes particulières et attrayantes. Certains seraient tentés de dire : » Ma station chérie, tou es ma-gni-faïque ! «