Co-écriture : Michael SCHNELL, Mathieu GROSCHE, Pierre MARGAS, fondateurs du projet collectif *RUSCH*, design de services + innovation sociale + mobilité.
Des bancs et des lampadaires! Certes, mais plus seulement.
A l’instar des urbanistes, architectes et autres concepteurs, le design s’intéresse à la matérialisation des interactions entre l’Homme et son environnement, et notamment aux flux de biens et de personnes dans la ville.
Parmi les nombreux paramètres caractéristiques d’un espace bâti (usages, zonage, architecture), les urbanistes partent de l’étude des flux physiques existant pour les recomposer et ainsi remodeler la ville. Le design de services, quant à lui, a tendance à observer l’immatériel avant de se poser la question de sa matérialisation. Mais, lorsque l’immatériel parvient à influencer les flux d’une ville et les comportements de ceux qui la pratiquent, la frontière entre design de services et urbanisme devient mince.
La collaboration entre l’agence de design anglaise Live|Work et le gouvernement thaïlandais sur une nouvelle ligne de train à grande vitesse illustre bien ce propos. Intervenant auprès du ministre des transports local dans la conception de ce nouveau service, Live|Work s’est attelé à anticiper le devenir du service, afin de ne pas courir le risque d’un parcours incohérent.
Ainsi, plutôt que de définir le projet par la conception de ses moyens physiques, Live|Work s’est attelé à articuler le projet en adoptant une approche et une mentalité centrée sur l’utilisateur très en amont de la phase de conception/projet.
Schématiquement, à la question initiale « À quoi va ressembler le nouveau train ? » s’est substituée la question « Quelle va être l’expérience des futurs passagers ? ».
Les équipes d’ingénieurs et d’architectes ont ainsi pu s’approprier et satisfaire la totalité de l’expérience des utilisateurs et anticiper d’éventuels problèmes de fond qui auraient pu rendre le service dans son ensemble rapidement obsolète.
Comment passons-nous du design d’une chaise à celui d’un service ?
Cette question soulève un point intéressant sur une vision vulgarisée de l’objet du design. Notre histoire récente nous a amené à une perception très esthétique des objets qui composent notre environnement, avant d’en considérer leur valeur ajoutée sur un marché déjà saturé de produits.
Si les lignes d’un objet sont déterminantes à son acceptation par le public, cette vision peut être considérée comme l’héritage d’un système basé sur l’économie de marché.
En mettant en place une économie libérale dès les années 80, Mme Thatcher révolutionne l’économie anglo-saxonne, mettant fin à la domination de la société industrielle au Royaume-Uni, trouvant dans l’« American Way of Life » l’apogée d’une forme de standardisation. Le Royaume-Uni devient en quelque sorte et malgré lui le précurseur du design de services.
Déjà fort d’une culture de conception d’objets à l’échelle industrielle, le marché a récemment évolué pour répondre à de nouveaux paradoxes. La prise de conscience écologique, liée à la raréfaction des matières premières et à la pollution suite à une consommation de masse, nous a amené, nous clients, à nous poser autrement la question des produits que l’on consomme, offrant ainsi une autre manière de considérer l’objet.
Hier standardisé, il répond aujourd’hui à des problématiques économiques, sociales et environnementales autrement plus complexes et toujours orienté sur une valeur fondamentale et constitutive du design – l’utilisateur final – qui désormais se pose la question « Comment le produit que je consomme me définit-il en tant qu’individu au sein de la société ? ».
Ces profonds changements ont amené les pays industrialisés à s’ouvrir très largement, et passer d’un modèle de consommation de produits à un modèle de société orienté vers le service.
Autrefois tributaire de l’Homme pour être dispensé (de manière sédentaire ou mobile d’ailleurs), un service était conçu autour de la compétence spécifique d’un individu qu’il vendait à autrui. L’avènement de l’économie libérale, de la révolution digitale et de l’essor des villes ont été autant d’opportunités à la mise en place de méthodologies pour la conception de nouveaux services.
Car il ne s’agit plus seulement de proposer un service au public pour que cela fonctionne, il faut qu’il soit exécuté avec talent et que l’utilisateur ai trouvé une réponse précise et rapide à son besoin – voire plus – grâce à ce service. C’est ce qu’on peut appeler « l’expérience » vécue par l’utilisateur via le service dans un premier temps, et les différents moyens utilisés par le service pour être dispensé dans un second.
S’il n’y a pas une voie unique pour concevoir un produit, il en va de même pour un service! Les différents services que nous avons pu concevoir jusqu’à présent nous ont amené à étudier ce qui fonctionne et à appliquer une petite recette, toujours renouvelée puisque faisant toujours appel à de nouveaux ingrédients. La voici en quelques mots :
Une recette de design de services pour résoudre un problème!
Quel service allez-vous mijoter ?
Pour le savoir, commencez par cerner un problème ou une situation à améliorer dans votre ville.
Ingrédients
- Observez comment les utilisateurs font face à ce problème.
- Analysez, recherchez ce qui se fait ailleurs ou dans d’autres domaines.
- Explorez le problème avec le regard d’un ethnologue.
- Une fois que vous connaissez les différents acteurs et leurs interactions vous avez, à priori, tous les ingrédients qu’il vous faut. Vous pouvez même vous préparer une recette illustrée en confectionnant par exemple une carte sociale montrant comment les ingrédients interagissent entre eux.
Préparation et cuisson
Mélangez tout cela et laissez mijoter. Laisser les idées se promener librement dans votre tête, la maturation est importante pour que les ingrédients puissent se lier entre eux.
Maintenant proposez des concepts. Et soyez généreux, n’hésitez pas à mettre la main à la pâte et n’ayez pas peur de faire sortir une multitude de concepts de vos fourneaux. Une fois les premières idées fraîchement sorties du four, faites les goûter.
Dégustation
Vous entrez dans une phase très importante !
Testez vos concepts auprès des utilisateurs pour trouver les défauts à améliorer. Et ne vous inquiétez pas, des défauts il en y aura !
N’hésitez pas à utiliser des ateliers de co-création tout au long du processus, cela vous aidera à identifier les imperfections dès le début.
Observez les réactions des utilisateurs-goûteurs. Comment comprennent-ils votre concept ? Comment interagissent-ils avec ? Comment se l’approprient-ils ? Comment le projet s’inclue-t-il dans son environnement ?
Une fois que vous avez repéré les éléments à améliorer, reprenez les étapes de création, de pétrissage, de maturation, de cuisson pour que le concept version 2 sorte à nouveau du four et soit à nouveau dégustable par les utilisateurs.
Répétez ces étapes jusqu’à obtenir le résultat adéquat.
Félicitations ! Vous venez de prototyper un service.
À table !
La prochaine étape sera de passer du prototype à un service fonctionnel. Cela demande d’autres moyens. Il vous faudra trouver les bons spécialistes et les fournisseurs d’ingrédients pour que votre recette devienne accessible au public. Ensuite elle pourra finalement s’ajouter au menu des services qui rendent service.
Digestif
Vous avez besoin d’une petite touche finale pour assimiler ce que vous venez d’ingurgiter ? Ou alors ceci vous a ouvert l’appétit et vous donne envie de mieux comprendre le design de services ? Et bien nous avons ce qu’il vous faut pour vous satisfaire. Nous vous conseillons ce résumé vidéo très réussi de nos amis-collègues écossais de chez Nile. Régalez-vous…
Co-écriture : Michael SCHNELL, Mathieu GROSCHE, Pierre MARGAS, fondateurs du projet collectif *RUSCH*, design de services + innovation sociale + mobilité.