Quand l’occasion s’en présente, UrbaNews.fr partage avec vous l’expérience de jeunes professionnels qui ont décidé de créer leur entreprise. C’est encore le cas aujourd’hui, avec l’interview de Yoann Chaverot et Patrick Guyennon [disclaimer : Patrick est aussi membre de la rédaction d’UrbaNews.fr], qui viennent de créer à Lyon ATYC, un atelier d’architecture et d’urbanisme.
Ce témoignage s’inscrit dans une série, débutée avec la rencontre de Echelle 1:1 et de l’atelier Urba-T, qui vise à faire découvrir des projets professionnels autant que des projets de vie menés par des jeunes acteurs de la fabrique de la ville.
Désireux de se lancer dans l’entrepreneuriat, ils ont tous en commun le goût de l’innovation et de l’effort, dans un contexte difficile qui ne se prête pourtant que peu à l’exercice du risque. Au delà de cette découverte, que nous espérons inspirante, nous poursuivons également l’objectif de comprendre et de faire comprendre les motivations et le quotidien de ces jeunes entrepreneurs. Si vous aussi, vous avez fait le choix de créer votre propre activité, n’hésitez pas à nous contacter pour partager votre expérience.
UrbaNews.fr : Pouvez-vous nous présenter votre parcours respectif ?
Yoann Chaverot : Je suis devenu architecte diplômé d’état à ma sortie de l’ENS d’Architecture de Lyon en 2008. Suite à mes études, j’ai travaillé pendant 5 ans en tant que salarié d’un architecte libéral à Lyon. Durant les 2 premières années, je suis resté le seul salarié, avant que de nouveaux embauchés nous rejoignent. Cependant, la taille de l’agence n’a jamais excédé 3 salariés.
Compte-tenu de ce contexte assez particulier, j’ai été très vite habitué à travailler de manière autonome et à apprendre les implications concrètes du suivi de projet et de chantier, et aussi de la gestion d’entreprise, essentiellement dans le cadre de projets de réhabilitation en site occupé ou en zone ABF.
En juillet 2013, avec 5 ans d’expérience et l’obtention de mon Habilitation à la Maîtrise d’Oeuvre en mon Nom Propre (HMONP) en vue de faire valoir mon titre « d’architecte », cela a commencé à devenir problématique pour moi. En maîtrise d’œuvre, on est très rapidement « catégorisé » en fonction de ce que l’on a déjà réalisé, et je souhaitais m’ouvrir à d’autres types de projet. C’est également à ce moment-là que j’ai souhaité faire évoluer ma situation au sein de l’entreprise, ce qui ne pouvais malheureusement pas se faire, du moins pas aussi rapidement que je l’aurais souhaité.
Patrick Guyennon : J’ai commencé mon cursus universitaire par l’architecture à l’ENS d’Architecture de Lyon dans la même promotion que Yoann, avant de bifurquer vers l’urbanisme en 3ème année, à l’Institut d’Urbanisme de Lyon puis à celui de Grenoble. J’ai néanmoins conservé intact mon intérêt pour l’architecture, par exemple en réalisant mon stage de fin d’étude en urbanisme au sein d’un atelier d’architecture.
Mon parcours professionnel s’est ensuite révélé assez éclectique, et m’a amené à explorer des domaines a priori très éloignés de l’urbain, comme l’immobilier et la communication. Cependant, ces expériences se sont nourries de mes connaissances et m’ont aussi permis d’explorer mon domaine d’expertise sous autant d’angles différents.
C’est finalement assez récemment, lors de mon retour en France après avoir vécu à l’étranger, que j’ai compris que mon profil plutôt atypique au regard des critères de recrutement me dirigeait plus vers la création d’une structure à même d’utiliser et de développer ma transversalité.
UN : Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste l’HMONP ?
YC : Pour faire simple, depuis la réforme Licence-Master-Doctorat LMD, les formations en architecture ont comme débouché le fait de devenir Architecte Diplômé d’Etat (ADE, ou Architecte D.E.), statut qui permet d’exercer dans le domaine de l’architecture, mais pas en son nom propre. Concrètement, nous ne sommes pas architectes et ne pouvons prétendre au titre sans obtenir au préalable la HMONP et être inscrit au Tableau de l’Ordre des Architectes. L’intitulé du diplôme prête donc à confusion, et il faudrait plutôt parler de « Diplômés en Architecture », sans reprendre en référence le mot « architecte », qui est un titre protégé.
Sans HMONP et si l’on souhaite exercer en Maîtrise d’Oeuvre, il n’y a donc pas d’autre choix que de travailler au sein d’une structure disposant d’au moins un architecte inscrit au Tableau de l’Ordre et exerçant la Maîtrise d’Oeuvre en son nom. Dans ce contexte, la plupart des jeunes diplômés « Architecte D.E. » font alors le choix de passer leur HMONP directement à la suite de leurs études, ce qui, à mon sens, est délicat.
En effet, la pratique professionnelle en tant qu’architecte exige une expertise importante et engage la responsabilité de celui qui l’exerce. S’agissant « d’une habilitation à la Maîtrise d’Oeuvre », il me semble préférable selon moi de justifier d’une certaine expérience professionnelle, pour connaitre la réalité de la profession et les implications qui en découlent en terme de mise en oeuvre et de responsabilité.
Pour finir sur la HMNOP, cette dernière ne vaut pas droit à exercer. Il s’agit seulement de l’une des conditions requises afin de demander son l’inscription au Tableau de l’Ordre des Architectes, une institution structurante pour notre profession.
UN : Revenons à ATYC, comment a émergée l’idée de monter sa propre entreprise ?
YC : L’idée a émergée au moment où j’ai senti que je souhaitais exprimer mon savoir-faire et mes idées en mon nom. Sans évolution possible au sein de l’agence où je travaillais dans les délais que je souhaitais en dépit de mes compétences et de mes qualifications, l’idée de créer mon propre atelier a rapidement fait son chemin.
Dans le même temps, ayant passé le cap des 30 ans et disposant de quelques années d’expérience derrière moi, je savais que l’étiquette « jeune architecte » reste très présente dans la profession, et s’applique parfois au-delà de 40 ans. Par conséquent, si je veux pouvoir travailler à mon compte sur des projets importants, il m’a paru nécessaire de passer à l’étape supérieure. Acquérir une expertise et une légitimité sur ce type d’opération d’ampleur ne peut s’envisager que sur un temps relativement long, autour de 10 ans.
J’ai donc commencé à préparer mon projets et mes démarches vers septembre 2013, en prévision de mon départ de l’agence qui m’employait. L’idée de créer une société, avec d’autres associés, était déjà présente à ce moment là, et c’est ainsi que nous avons commencé à nous investir dans le projet avec Patrick.
PG : Je suis rentré d’une expatriation au Mexique au début du mois de novembre, et Yoann avait déjà avancé dans sa réflexion de créer une société. Pour ma part, face à un marché de l’emploi peu exaltant, les discussion sur ce qui était alors le projet de Yoann ont rapidement réveillé mes velléités d’entreprendre.
Dès lors, je me suis rapidement intégré au projet, vers le début du mois de décembre, et nos visions comme nos compétences se sont rapidement révélées complémentaires. ATYC était en train de commencer à exister, et il était temps d’entamer les premières démarches…
UN : Concrètement, comment celles-ci se sont-elles déroulées ?
YC : Dans notre cas, il faut savoir qu’en amont des différentes démarches administratives et bancaires, indispensables à la création proprement dite d’une entreprise, il est nécessaire d’obtenir son inscription au Tableau de l’Ordre des Architectes. Cela entraîne certaines lourdeurs, mais permet aussi d’avoir un accompagnement très intéressant.
PG : Nous nous sommes dirigés vers une structure de Société à Responsabilité Limitée (SARL) dans un souhait de flexibilité et de réduction des risques. Pour une jeune entreprise partant de zéro, cela nous a semblé essentiel. Pour ce faire, nous avons dû remplir de très nombreux dossiers. Heureusement, le site de l’Ordre des Architectes est à ce titre très bien fait et explique l’ensemble des démarches à réaliser, ainsi que leur chronologie. Etant urbaniste, cela m’a aussi permis de mesurer l’étendue des différences d’organisation et de structuration entre nos deux professions…
YC : Nous nous sommes également rapprochés de la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) de Lyon, qui fut pour nous une vraie bonne surprise, tant en termes de réactivité que de pertinence dans les réponses apportées. Ceux sont eux qui nous ont notamment conseillé l’aide aux demandeurs d’emploi créant ou reprenant une entreprise (Accre) permettant une exonération de charges sociales durant un an. Petite subtilité, il faut être bénéficiaire de l’Allocation d’aide au Retour à l’Emploi (ARE) de Pôle Emploi pour prétendre à cette aide.
Globalement, la CCI et l’Ordre sont les deux principaux acteurs avec lesquels nous avons eu à traiter. L’inscription à la CCI étant conditionnée par l’aval de l’Ordre des Architectes, l’inscription auprès de ce dernier a été notre première priorité.
Il faut savoir que les candidatures sont examinées lors de commissions, qui se tiennent sur une base plus ou moins trimestrielle. Par ailleurs, l’Ordre désigne un référent qui intervient avant le passage en commission, pour examiner au préalable notre dossier et juger de sa viabilité. Pour nous, cela a été une rencontre très intéressante, car nous étions dans une logique de conseil et de retour sur expérience donnés par un architecte expérimenté, Nabil Ben Salem de l’agence Arketype Studio. Un « parrain » en quelque sorte qui, encore aujourd’hui, nous conseille en cas de besoin.
Une fois l’inscription au Tableau de l’Ordre effectuée, les démarches plus classiques auprès de la CCI demandent encore à peu près deux mois, à la suite desquels nous avons pu finaliser les formalités bancaires, en particulier un emprunt permettant de financer l’achat de matériels, associé à un Prêt à la Création d’Entreprise (PCE), destiné à la constitution d’un fond de roulement. Pour appuyer nos demandes, nous avons établi différents scénarios prévisionnels sur plusieurs années afin d’anticiper nos revenus et nos dépenses, y compris de manière pessimiste.
UN : Ces démarches vous ont donc pris ?
PG : Un peu plus de 5 mois en tout, de fin décembre à début mai. En fait, même si officiellement la société existe depuis le 14 mars 2014 avec l’inscription au Tableau de l’Ordre des Architectes, les démarches prennent véritablement fin une fois l’aval de l’ensemble des institutions obtenu. Et sans compter les délais de livraisons du matériel informatique, qui reporte encore un plus l’installation effective de l’atelier.
UN : C’était alors le moment de l’installation, comment cela s’est-il passé ?
YC : Notre chance, c’est que nous avons pu profiter d’un espace de travail dans les locaux de l’agence de communication Imag’in grâce à nos connaissances, limitant d’autant nos coûts de démarrage. Cependant, certains coûts ne sont pas négligeables et restent incompressibles, comme l’équipement informatique et les licences des différents logiciels.
Concernant le choix du logiciel de dessin, indispensable, nous utilisons PowerCADD 9 pro, dont la licence est facturé 1 375 € HT. Cela peut sembler important, mais les licences d’autres logiciels (ArchiCAD ou Allplan par exemple) coûtent environ 3 000 €, chacun ayant ses avantages et ses défauts. En dehors des impératifs de coûts, notre choix de travailler sur PowerCADD s’est ainsi basé sur la possibilité de dessiner sur ordinateur comme sur une planche à dessin, il prolonge véritablement notre pensée et est adapté à nos besoins en tant qu’architectes.
UN : Votre entreprise est encore tout jeune, de quoi vivez-vous aujourd’hui ?
YC : Pour l’heure, nous avons réalisé quelques missions pour d’autres architectes, comme des relevés d’état des lieux ou la réalisation d’un Dossier de Consultation des Entreprises pour un EHPAD, et aussi la réalisation de notre première villa pour un particulier. Nous avons par ailleurs quelques prises de contact en cours, donc, pour l’instant, notre prévisionnel est plutôt bon.
Par ailleurs, les aides financières, comme l’Aide à la Reprise ou à la Création d’Entreprise (ARCE) ou le maintien des ARE pendant une durée limitée, sont une aide non négligeable dans cette période de création.
UN : Ces contrats justement, de quelle manière y avez-vous accès ?
YC : Il n’y a que quatre manières d’accéder à des contrats : les appels d’offres (publics et privés), les concours, le réseau et la sous-traitance, chacune de ces possibilités n’étant pas complètement indissociable des autres.
Dans notre cas, c’est surtout par le réseau que nous sommes en train de créer et de développer que nous comptons développer notre activité dans cette phase de lancement. Notre difficulté est que, en l’état, nos réseaux sont limités. Par exemple, nos réseaux professionnels liés à nos anciennes activités en tant que salariés ne peuvent pas être mobilisés, aussi bien par éthique professionnelle que par respect pour nos anciens employeurs.
Il nous a donc fallu pratiquement repartir de zéro, d’abord en mobilisant notre réseau de proches, mais aussi en rejoignant par exemple le réseau d’ambassadeurs OnlyLyon, qui permet de rencontrer des professionnels de tous secteurs à travers des événements de networking mensuels.
A terme, notre objectif est de constituer un portfolio de références sur des opérations privées variées, permettant de participer à des appels d’offres, dont les exigences éliminent d’office les jeunes entreprises comme la notre. Il est par exemple courant de demander 3 références de moins de 3 ans et de même catégorie comme prérequis à la réponse à un appel d’offre, ou d’exiger un chiffre d’affaire minimum, lequel n’existe pas pour une nouvelle entreprise.
UN : Quelles contraintes supplémentaires pèsent sur votre entreprise du fait de sa jeunesse ?
PG : L’une des principales, qui rend très complexe l’accès aux marchés privés ou aux concours, est l’absence de trésorerie. Les plus grosses structures n’hésitent parfois pas à réaliser des projets avec facturation majoritairement décalée à la livraison. Compte tenu de nos charges fixes, il nous est impossible de surenchérir, notre structure ayant impérativement besoin d’entrées d’argent régulières, à chaque étape de l’avancée d’un projet, pour assurer son équilibre économique.
YC : Le fait que notre réseau soit encore peu développé est également un frein qui ne nous permet pas d’accéder à tous les projets sur lesquels nous pourrions avoir vocation à travailler, ou à toutes les informations qui pourraient nous aider à mieux comprendre l’attribution des marchés qui nous apparaît encore comme très opaque et, comme on l’a déjà évoqué, relativement fermé à une nouvelle société.
UN : Quels sont donc vos axes de développement pour répondre à ces contraintes ?
PG : Globalement, la faiblesse de l’utilisation ou de maîtrise des moyens de communication modernes dans la profession nous a frappés, en partie du fait d’une législation historiquement assez contraignante.
Pour nous, se doter d’outils de communication, comme par exemple un site internet ou une présence sur les réseaux sociaux dès la phase de création de notre structure a été une évidence. Mais cela a pu susciter un peu d’incompréhension de la part de confrères plus expérimentés qui, parfois après 10 ou 20 ans d’exercice, n’en éprouvent pas le besoin ou l’envie.
Sans être une garantie de réussite, ces outils sont à replacer dans notre stratégie globale de création d’un réseau, et nous paraissent donc indispensables. Un contact, un client potentiel, doit pouvoir trouver facilement des informations pertinentes et claires sur nos réalisations et sur la plus-value que nous pouvons lui apporter, avant d’aller plus en avant dans sa démarche.
YC : Nous nous sommes également associés autour d’une idée commune de l’architecture, avec pour combat la transversalité des projets auxquels nous souhaitons prendre part. Je parle volontairement de combat, car le poids de la catégorisation dont je parlais précédemment est très important. Il est donc important, par notre discours et notre pratique, d’arriver à faire comprendre que les mêmes compétences peuvent et doivent être mises en application sur des projets très divers.
Enfin, nous avons une approche très intégrée de l’environnement : « l’écologie » ou le « développement durable » ne sont pas envisagés comme une contrainte supplémentaire, ou comme la « cerise sur le gâteau ». Ces dernières années, la notion d’environnement a été mise en avant par effet de mode. Aujourd’hui, le même processus est en cours sur la notion d’usages, alors qu’il ne s’agit tout simplement pas des options. Elles font parties intégrante de notre approche, un projet est une réponse à une vision globale, dans ses dimensions économiques, d’usages, esthétiques et environnementales, sans se focaliser sur une seule au mépris des autres. C’est peut-être quelque chose que l’architecture a perdu durant un temps, et vers lequel il nous semble important de revenir.
UN : Pour finir, avez-vous des conseils à donner à ceux qui souhaiteraient comme vous se lancer ?
YC : Il faut bien garder à l’esprit que la chronologie des démarches, et notamment de la datation des différents documents est quelque chose d’absolument essentiel. Certaines démarches se chevauchent ou se succèdent, mais la plupart sont totalement interdépendantes.
Dans notre cas, se rapprocher d’un comptable s’est vite révélé indispensable afin de ne pas perdre de temps et de faire les bons choix. La CCI de Lyon, qui propose des conférences, par exemple lors de l’opération « Lyon, ville de l’entrepreneuriat », apporte de nombreuses aides et compléments d’information dans le cadre d’un création d’entreprise.
Elle peut aussi exercer son expertise en vérifiant les dossiers de création d’entreprise avant la soumission officielle, permettant de gagner du temps et d’éviter des erreurs. On n’en a pas forcément conscience, mais cocher la mauvaise case peut avoir des répercussions importantes sur l’entreprise.
Si vous souhaitez en savoir plus sur les activités d’ATYC, vous pouvez consulter leur site internet. Et n’hésitez pas à les contacter – architectes@atyc.fr / 06 59 06 74 17 – ou à leur rendre visite dans leur locaux – 5 rue de Bonald à Lyon (69007).