On pourrait juger l’objet ringard, banal ou simplement « pratique » tout au plus. Pourtant (et ça, Jean Nouvel l’a bien compris), la boîte aux lettres représente aujourd’hui un enjeu de taille face au développement du e-commerce mais aussi et surtout, face à l’essor d’une société urbaine ou le partage et l’entraide se construisent comme de nouvelles alternatives aux classiques de la consommation et de l’individualisme.
Si au quatorzième siècle, les premiers modèles non officiels de boîtes aux lettres servaient d’abord de « bouches de dénonciation » à destination de l’Etat italien et n’étaient présents que sur de rares bâtisses publiques ou religieuses pour contenter quelques « collabos », l’objet est devenu à partir du dix-neuvième et avec la généralisation des services postaux, un élément incontournable de nos rues et de l’habitat quelconque, de la ferme, de l’immeuble, puis du pavillon. En fait, la boîte aux lettres est devenue tellement « incontournable » dans nos quotidiens, qu’elle interroge. Une interrogation qui se lit dans ses rapports avec les changements qui agitent nos sociétés et qui font que demain, cet objet aura probablement évolué vers d’autres formes, également vers d’autres usages.
Boîtes aux lettres et territoires : entre redéploiement et mutualisation
Les boîtes aux lettres publiques sont-elles vouées à disparaître ? Dans les territoires ruraux, c’est une inquiétude légitime qui émane de nombreux habitants qui doivent parfois parcourir plusieurs dizaines de kilomètres en voiture (lorsqu’ils le peuvent) avant d’entrevoir une de ces box jaunes. Petit à petit, le démantèlement s’opère, souvent même, sans concerter la commune directement touchée. Alors du côté des services de la Poste, on explique. Il ne s’agit pas d’une « suppression » mais plutôt d’un « redéploiement », en précisant que les boîtes aux lettres sont installées là où les gens en ont besoin, en fait, là ou il y a des gens (question de rentabilité de service).
En somme (et n’en déplaise à la loi qui précise pourtant l’obligation d’implanter une boîte aux lettres à moins de dix kilomètres de toute habitation), la présence ou non de boîtes aux lettres, serait un bon indicateur de la santé démographique d’un territoire et un témoin clef de son évolution.
Du côté des boîtes aux lettres particulières aussi et de la distribution, la tendance est au redéploiement. Dans les villages et les hameaux (mais aussi de plus en plus sur des projets de lotissements en milieu urbain), ce qui était autrefois indissociable de la maison se retrouve aujourd’hui sous la forme de boîtes mutualisées. A terme, le porte à porte semble donc compromis. Mais cela est-il nécessairement une mauvaise chose?
Admettons que les solidarités de voisinages existent partout, ce processus ne serait pas si discriminant, notamment pour les personnes à mobilité réduite. Au contraire, il pourrait devenir une opportunité de construire, sinon de reconstruire d’anciennes « centralités » de village tombées dans l’oubli et de reconsidérer à ces endroits, ou depuis ces endroits, l’aménagement de l’espace public pour y faire naître quelque chose. A l’image du bistrot disparu, la Place aux « boîtes aux lettres » ne serait-elle pas l’occasion pour des territoires ruraux de susciter l’échange et les liens de sociabilité ?
Des boîtes aux lettres connectées…
Si les changements liés à la privatisation du service public amènent sans doute à réinterroger la place des boîtes aux lettres, leur « distribution » dans l’espace rural (et urbain) et ce que cette redistribution pourrait coûter, sinon également, bénéficier à la collectivité, l’évolution des modes d’achats et la dématérialisation du courrier conduit inexorablement leurs usages à évoluer.
C’est en substance ce que tend à faire l’explosion du e-commerce. Car si le nombre de courriers distribué ne cesse de diminuer, celui de la livraison de colis, lui, a littéralement explosé avec la démocratisation de la vente en ligne. Devant ce nouvel enjeu qui pose aussi bien question face aux problèmes de stockage que cela peut générer du côté des distributeurs comme de celui des récipiendaires, la boîte aux lettres devrait prendre à l’avenir des allures de coffre de banque connecté et plus flexible.
En test depuis le début de l’année dans un immeuble du 19eme arrondissement parisien, ce type de boîtes redimensionnées à l’échelle de leur nouvel usage permet ainsi au facteur de disposer d’une ouverture électronique en l’absence du « client ». Une fois la boîte fermée, un SMS de confirmation informe ensuite ce dernier qui peut choisir, via une plateforme en ligne d’autoriser ou non, un voisin à récupérer le colis, munis de son propre badge (voir le projet Renz).
… au « hacking box »
Là où l’objet devient vraiment intéressant cependant, passée la possibilité de le faire évoluer, c’est lorsqu’il devient un support détourné de son emploi initial. Dans la même idée de ce qui découle du hacking urbain pour certains mobiliers devenus désuets avec le temps et les ruptures technologiques (comme la cabine téléphonique) , alors la boîte aux lettres peut se révéler en tant que telle, non plus à l’image d’une simple « boîte », mais bientôt, à celle d’une plateforme d’échange, d’expression et de partage.
C’est en substance ce que vise indirectement à faire de cet objet, le projet PUMPIPUMPE (à l’origine du collectif allemand METEOR) en proposant aux gens, à des habitants d’un même immeuble ou, dans le cas par exemple, de boîtes mutualisées, d’un même hameau ou d’un lotissement, « d’utiliser de manière consciente les biens de consommation (…) en encourageant l’interaction sociale entre voisins par le prêt et l’emprunt d’objets que l’on emploie peu souvent. »
Dans ce cadre, et comme on afficherait son hostilité envers la distribution de prospectus publicitaires, les gens sont invités à garnir la surface de leurs boîtes aux lettres d’autocollants renseignant les voisins sur ce que chacun est prêt à mettre à disposition de la collectivité.
Demain, la boîte aux lettres pourrait devenir cela : bien plus qu’un réceptacle à courrier. Et les enjeux autour de sa présence sur nos territoires et dans nos quartiers, bien plus grands (peut être) qu’ils ne le sont aujourd’hui. Alors, à quand les « boîtes à livres » ou qui sait, un jour, dans une version revisitée, les « boîtes à légumes » dans nos halls d’immeubles ou autour des nouvelles « centralités postales » de villages ?