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Habitat en Mouvement : Le savoir-faire des coopératives de logement en Amérique Latine

Deuxième épisode du voyage sud-américain du duo d’urbanistes Habitat en Mouvement (lire ou relire leur premier billet ici), à la découverte cette fois-ci des coopératives de logements et de leur mode d’organisation urbaine et sociale. En totale opposition avec le modèle dominant qui individualise les solutions et les attentes des habitants, les coopératives représenteraient une alternative à la production privée ou étatique de l’habitat et symbolisent la recherche d’une vie en harmonie. Les grands concepts de Liberté, Égalité, Fraternité mais surtout de Solidarité seraient-ils enfin les fondements et la réalité d’une forme d’habiter ensemble ?

Le quartier coopératif Aveiro, au Paraguay vu depuis son château d'eau, 2014. Crédits photo : Habitat en Mouvement

Le quartier coopératif Aveiro, au Paraguay vu depuis son château d’eau, 2014. Crédits photo : Habitat en Mouvement

La « proposition coopérative uruguayenne », un modèle en expansion

Le modèle uruguayen de Coopératives de Logement par Aide Mutuelle né à la fin des années 1960 est celui qui est le plus répandu en Amérique du Sud (Uruguay, Paraguay et Bolivie) et en Amérique Centrale. Et ce grâce à la volonté de la Fédération Uruguayenne de Coopératives de Logement par Aide Mutuelle (FUCVAM) de diffuser son expérience ainsi qu’à l’appui financier et technique de la coopération suédoise « We Effect ». L’alternative uruguayenne se base sur trois piliers fondamentaux :

Un quatrième pilier pourrait être la participation démocratique des associés dans toutes les prises de décisions concernant leur quartier. Finalement ces principes visent la création d’une communauté unie, solidaire et impliquée dans la production et la gestion quotidienne de son Habitat.

Dans les pays parcourus le processus d’accès au logement est long et demande un réel engagement de la part des familles, ce qui permet concrètement la création de cette communauté qui est le but recherché. La création d’une coopérative « à l’uruguayenne » est en effet basée sur la participation obligatoire des futurs associés à des formations tout au long du processus de construction et d’évolution des communautés. Il s’agit par exemple de cours de maçonnerie, de droit, d’organisation sociale, d’administration, de gestion de fonds et, souvent, des cours spécifiques sur l' »empoderamiento » des femmes. Les coopératives par aide mutuelle du système uruguayen sont destinées à des populations de faibles ressources économiques ou de classes moyennes primo-accédantes.

Grâce aux heures obligatoires d’entraide encadrées par une équipe d’assistance technique, les coûts de main-d’œuvre sont réduits et la qualité du logement augmente. Les associés participant à la conception et à la construction de leurs futurs logements, mettent du cœur à l’ouvrage et veillent à disposer de la meilleure qualité possible dans le choix des matériaux et des finitions. Les futurs habitants exercent ainsi un contrôle sur l’utilisation des fonds (d’un prêt public généralement) qui sont intégralement employés dans le logement et les espaces communs, la rémunération de l’équipe d’accompagnement technique et la main d’œuvre qualifiée nécessaire.

Pour les curieux, voir notre article sur les coopératives en Uruguay en cliquant ici

Des habitants de la coopérative Reina de la Cordillera, à Caacupe, Paraguay, 2014. Crédits photo : Habitat en Mouvement

Le rôle fondamental de l’État dans l’autogestion.

L’Uruguay, l’Argentine et le Paraguay sont les uniques pays d’Amérique du Sud parcourus qui disposent de lois et de programmes de financements publics pour ces coopératives de logement autogérées et en propriété collective. Le cadre juridique et les dispositifs publics d’aide sont déterminants pour que les coopératives puissent avoir une pérennité. En Uruguay, après bientôt 50 ans d’existence de la loi ce sont autour de 500 coopératives d’aide mutuelle, représentant 20.000 familles, qui existent désormais dans le pays. D’après le Ministre du Logement Francisco Beltrame que nous avons rencontré l’année dernière à Montevideo, aujourd’hui près de 40% du budget du ministère du logement est orienté vers les coopératives de logement, pour des ménages gagnant moins de 1.700 $US par mois. Preuve que l’autogestion peut représenter une politique publique sociale de grande échelle.

En Bolivie, seulement deux coopératives basées sur le modèle uruguayen ont vu le jour à Cochabamba. Deux autres, en processus de formation, connaissent des difficultés de financement pour l’achat d’un terrain. En effet, les futurs habitants ne peuvent demander des crédits aux banques puisque le statut légal de la propriété collective n’est pas encore reconnu officiellement par l’État. En l’absence de programme du Ministère du Logement, les coopératives de logements en Bolivie ne fonctionnent pour le moment que par le biais d’aides financières internationales.

La coopérative COVISEP à Cochabamba, en Bolivie, de type uruguayen jusqu’aux briques, 2014. Crédits photo : Habitat en Mouvement

Outre le manque de cadre institutionnel et légal, un frein majeur au développement de nouvelles coopératives  est bien souvent la difficulté d’acquérir un terrain bien situé pour construire. Les coopératives uruguayennes, paraguayennes et boliviennes visitées se trouvent donc systématiquement dans les périphéries des grandes villes, ou bien dans des villes de petite taille où la spéculation est moins féroce. Le rôle de l’État pour y remédier est de mettre à disposition de ces projets des réserves foncières à prix social. C’est le cas depuis quelques années à Montevideo, mais les établissements publics fonciers ou « banques de sol » étant rares en Amérique Latine, l’Uruguay fait figure d’exception en la matière.

Voir notre article sur les coopératives de Bolivie en cliquant ici.

Une alternative autogérée est pourtant apparue au cours des années 1990 par la société civile à Buenos Aires: les coopératives de recyclage urbain de vieux édifices industriels ou patrimoniaux à l’abandon. La coopérative achète et réhabilite l’édifice en logements et en équipements communautaires. Cette méthode a depuis été reprise également dans le centre historique de Montevideo, permettant de redonner vie aux bâtiments patrimoniaux de cette zone qui, ayant perdu son usage résidentiel, était devenue « mal fréquentée » et avait été cataloguée comme dangereuse. Les coopératives de recyclage sont donc devenues un réel outil de revalorisation urbaine, résolvant à la fois le problème du logement et celui du déclin du centre-ville, sans produire de gentrification.

La propriété collective, un choc idéologique

Une autre entrave au développement des coopératives autogérées -et qui explique leur absence dans la majorité des pays- est la friction idéologique entre le modèle coopératif, clairement enraciné dans une tradition de gauche, avec le modèle économique dominant. Par ailleurs on peut également mentionner la difficulté pour de nombreuses personnes de comprendre et d’accepter le concept de propriété collective, qui passe pour « bolchevique » dans une logique libérale. Elle présente pourtant de nombreux avantages. Si une personne n’est jamais propriétaire du logement -bien qu’elle puisse y vivre à vie et le transférer à ses héritiers- elle est par contre protégée contre les expulsions en cas de difficultés à rembourser son emprunt à la banque. En effet, la coopérative étant la propriétaire du patrimoine, le logement ne peut être saisi, et généralement un mécanisme solidaire permet de couvrir les impayés de l’associé auprès de la banque. « Les huissiers peuvent venir me prendre tous mes meubles, mais il ne pourront jamais saisir mon appartement » résume un habitant d’une coopérative rencontré à Cali en Colombie. La propriété collective permet ainsi à des ménages locataires qui n’auraient jamais reçu de prêt pour le logement d’une banque, d’y accéder en groupe.

De plus, les coopératives et la propriété collective ne doivent pas être vues seulement comme une solution d’accès au logement exclusive des classes populaires. A Cali par exemple, l’unique quartier de logements en propriété collective colombiens fut créé en 1979 par la Coopérative Médicale del Valle (COOMEVA). Le quartier Fundadores fut ainsi destiné aux associés de cette caisse d’allocation de médecins, enseignants et professions libérales. Nous y avons rencontré récemment le Dr. Uriel Estrada, créateur de COOMEVA et promoteur de ce quartier. Du haut de ses 93 ans, cet éminent psychologue nous a expliqué que le projet a surgi d’une nécessité d’améliorer l’ambiance urbaine et la sécurité du logement pour les associés de sa coopérative, afin de réduire les maladies liées au stress. En effet, la trame urbaine, les cheminements piétons, l’ambiance végétale, les matériaux des édifices et les équipements intérieurs font de ce quartier une enclave de bien-être, par rapport aux quartiers alentours. En parfait état de fonctionnement et d’entretien, ce quartier est très apprécié de ses 240 familles, fières d’être coopérativistes.

De l’idéal à la réalité, la parole aux habitants

Les coopératives apparaissent donc comme une construction sociale de l’espace. Ce ne sont pas seulement des maisons qui y sont construites mais une communauté avec des équipements, des services, des espaces de production et des règles de vivre ensemble. Beaucoup d’habitants de quartiers coopératifs rencontrés ont vu leur situation économique s’améliorer par le simple fait d’avoir pu habiter dans un quartier formel avec la sécurité de ne pas perdre leur logement. Qui plus est, les femmes de ces quartier créent le plus souvent des petits ateliers (couture, cuisine, pâtisserie…) ou des commerces dans leur maison pour assurer à la famille un revenu supplémentaire.

Nous avons passé une semaine au sein du quartier coopératif Aveiro au sud de Asunción au Paraguay, visité des quartiers coopératifs en Bolivie et en Uruguay et à chaque fois nous écoutons le même discours de satisfaction et de fierté venant des habitants: «Ma maison je la dois à ma voisine, et vice versa», «En posant les briques tous ensemble nous avons créé une communauté», «Toutes les décisions concernant le quartier sont prises par l’ensemble des voisins en assemblée», «Tous nos jeunes sont dans des clubs sportifs ou culturels du quartier, grâce à cette occupation il n’y a pas de délinquance ici», «Je n’aimerais pas changer de quartier, je me sens en sécurité ici», «Je ne ferme pas la porte à clé quand je sors faire une course parce que je sais que les voisines sont là pour jeter un œil», «J’enseigne à mes enfants les valeurs du travail, on ne reçoit rien sans rien, tout s’obtient en travaillant.»

Voir nos articles sur le quartier Aveiro ici et sur les coopératives du Paraguay ici.

Les coopératives de logement : une forme organisée de production et de gestion sociale de l’habitat en Amérique Latine

Pour conclure, nous avons constaté que le cadre esthétique de la planification urbaine des coopératives de logements et l’appropriation par les habitants jouent des rôles essentiels dans ce mode d’habitat alternatif où le « savoir habiter » et par conséquent le « savoir être » sont mis en avant. Les coopératives latino-américaines sont donc en tous points meilleures que le « logement d’intérêt social » qui représente surtout un intérêt économique pour le secteur de la construction. Malheureusement -comme l’habitat groupé en France- ce mode alternatif de production durable et solidaire de l’habitat reste marginal, notamment à cause de la puissance économique et médiatique du modèle dominant et du manque de professionnalisation des mouvements alternatifs. Il ne tient qu’à nous, urbanistes, architectes, économistes, sociologues, élus, constructeurs, universitaires, associations, philanthropes, militants, citoyens urbains ou ruraux préoccupés par notre avenir commun, d’inverser cette tendance !

Crédits photo: Charlène Lemarié & Pierre Arnold. 

Reproduction autorisée en citant les auteurs.

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Post-production : Nous voulions en profiter pour remercier les nombreuses personnes qui ont lu et partagé notre article précédent et celles qui nous ont écrit pour nous féliciter. Notre projet Habitat en Mouvement a une vocation de transfert de connaissances et de compétences sur l’autogestion dans la production de l’habitat et les luttes urbaines pour le respect du droit à la ville. Aussi, sa diffusion et les rétro-alimentations de nos lecteurs sont la base pour générer un échange visant la construction commune d’un futur urbain plus juste et solidaire.

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