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Habitat en Mouvement : Autogestion et habitat écologique, utopie ou réalité ?

En Amérique Latine comme en Europe les expériences recherchant un « habitat plus écologique » sont de plus eu plus nombreuses. Si la mode des éco-quartiers ou la nécessité de faire du marketing vert pour vendre des projets immobiliers ou urbains ne sont pas encore aussi vives que chez nous, ici, c’est plutôt à l’échelle de petites initiatives locales que l’on trouve le nouvel habitat écologique. Nous en avons rencontré différents au cours de notre voyage, en cherchant à faire le lien entre cette quête de l’autosuffisance écologique et une autogestion durable pour un habitat du futur.

Eco-constructions à Valparaiso, Chili.

Eco-constructions à Valparaiso, Chili.

Le phénomène des « Eco-Aldeas »: Entre éco-communautés et revalorisation de savoirs vernaculaires

Alors que nous habitions à Buenos Aires, nous avons rapidement été informés de l’existence dans tout le continent des Eco-Aldeas. S’il n’existe pas de réelle définition de ces espaces, nous pouvons cependant dire que ces éco-villages sont des espaces, le plus souvent ruraux, créés à l’initiative d’une famille ou d’un groupe de personne vivant essentiellement suivant les principes de la permaculture. S’il est évidemment impossible de généraliser, il semble que les Eco Aldeas latinos soient liées à un mouvement de rejet du mode de vie urbain consumériste et la quête d’un habitat et d’une organisation sociale plus respectueuse de la nature comme de l’être humain.

Les Eco-Aldeas ont ainsi en commun d’intégrer les 3 principes de la permaculture définis par David Holmgren qui sont de prendre soin de la terre (sol, forêt, eau), de l’humain (soi-même, ses proches et la communauté) et de partager équitablement (limiter la consommation et la reproduction , redistribuer le surplus). La construction en matériaux naturels locaux ou en matériaux recyclés, captation et filtration naturelle d’eau de pluie, toilettes sèches, chauffage à la biomasse, four en terre, énergies renouvelables, potager, élevage de lombrics californiens pour le compostage, ou encore pisciculture, font partie des éléments récurrents dans ces Eco Aldeas. Qu’elle soit inspirée de la cosmologie maya, indigène, hindoue, des Annales Akashiques ou d’un mélange de celles-ci, la composante spirituelle y est souvent également très présente.

Permaculture et éco-constuction en Argentine

Velatropa est une des Eco Aldeas que nous avons visité. Construit sur les anciennes fondations de ce qui devait être un des bâtiments de la faculté d’architecture de l’Université de Buenos Aires, ce centre expérimental interdisciplinaire s’est donné comme mission la protection de la réserve naturelle de l’Université. Ses habitants définissent ce lieu comme « un centre de développement de formes alternatives pour endosser notre rôle comme habitants de la planète Terre ».

Véritable oasis au sein de cette ville bruyante, Velatropa accueille une vingtaine de personnes; familles, étudiants, routards étrangers et jeunes sans domicile fixe qui logent tous dans des tentes et cabanes dans les arbres. Des toilettes sèches au potager immense et à la banque de graines, en passant par la cuisine et l’espace pour les enfants, Veltropa est totalement construite sur les bases du recyclage urbain et de la construction naturelle.

Cette Eco-Aldea est totalement ouverte sur l’extérieur et organise plusieurs événements gratuits chaque année, comme des festivals ou débats sur la communication non violente, la construction en terre etc. Il est également possible de participer de manière plus quotidienne à cet espace à travers les différents ateliers proposés dans la semaine comme celui du potager, de la construction ou de la rénovation écologique des bâtiments communautaires.

La transmission de savoir et le fonctionnement en réseau sont les clés fondamentales de ces initiatives communautaires écologiques. Il existe de nombreux réseaux nationaux et latino-américains des Eco-Aldeas qui organisent des rencontres ou des échanges de connaissances et de graines. C’est à travers un des réseaux que nous avons découvert au Paraguay « Takuara Rendá », qui fonctionne comme un centre d’étude sur le bambou. Ouvert à tous, ce centre propose des formations sur les techniques de construction en Bambou, mais chacun est également libre de venir y passer un temps pour développer un projet personnel.

Le centre expérimental sur le bambu Takuara Rendá au Paraguay

L’éco-construction est basée par essence sur la solidarité et le partage. Aujourd’hui, les personnes souhaitant s’engager dans cette voie tout en faisant des économies peuvent faire appel aux différentes formes de réseaux solidaires. A Concón, près de Valparaiso, au Chili, nous avons ainsi aidé un couple à la construction de leur maison écologique. En échange de notre aide et dans une bonne ambiance, on nous a fait connaître le processus de construction écologique, et avons été invités à déjeuner chez eux chaque journée de travail. Le prix des bières et de la nourritures font partie d’ailleurs des dépenses prévues dans le budget de la construction de leur maison !

La Earthship de Concón sur laquelle nous avons travaillé bénévolement au Chili

A Cali en Colombie, nous avons demandé à Jennifer, la coordinatrice nationale des Eco-Aldeas si ce mode de vie n’était pas pour le moment réservé à une élite économique et intellectuelle. Pour elle, « les plus pauvres recopient généralement les modes de vies des classes moyennes. Quand ce mode de vie sera plus répandu, les secteurs populaires chercheront également à imiter et à s’approprier la construction écologique. »

Jennifer nous rappelle également que les Eco-Aldeas font partie d’un courant mondial avec des spécificités locales. En Colombie, la recherche du bonheur fait partie des objectifs de ces nombreux éco-villages. Il en existe même une féministe, regroupant des femmes victimes de violences. D’autres expérimentent une nouvelle forme de gouvernance, « la sociocratie ». basée sur le consensus et le rôle des leaders. Elle nous explique qu’en Thaïlande, les éco-villages seraient un moyen pour lutter de manière collective contre les fortes pluies et les tsunamis. Au Sénégal, l’Agence Nationale des Éco-villages (ANEV) du Ministère de l’Environnement et du Développement Durable créée en 2013 a pour objectif de consolider d’ici 2020 environ 14.000 éco-villages afin de lutter contre l’exode rural, la désertification et de garantir la souveraineté alimentaire.

Ces expériences d’éco-villages et les militants de l’éco-construction contribuent ainsi à la construction d’un futur plus durable en suscitant des petits changements au niveau local et en apportant une autre vision du développement. Pour l’agriculteur philosophe Pierre Rabhi, « L’incarnation des utopies, parce qu’elles ne sont pas des chimères, est au contraire ce qui fait avancer le monde ».

L’habitat du futur serait-il celui du passé ?

Les techniques et systèmes constructifs utilisés par les éco-constructeurs dépendent évidemment du lieu, du climat, des matières premières disponibles, mais également de la culture. En effet, un principe souvent utilisé dans ce mode d’habiter alternatif est de récupérer, ou de s’approprier, les techniques traditionnelles. En ce sens, la recherche sur l’habitat alternatif écologique et les applications concrètes dans les Eco-Aldeas permettent de préserver et de remettre à la mode des savoir-faire vernaculaires.

Habitat traditionnel andin en terre crue; Bolivie, Pérou, Equateur.

Dans tous les pays traversés, et que ce soit en milieu rural ou urbain, nous avons rencontré des constructions en terre crue avec une structure en bois. L' »adobe », le « bahreque » ou la « quincha » sont des méthodes traditionnelles récurrentes. Que ce soit en Amérique du Sud, en Europe ou en Afrique, ce mode de construction a été prédominant dans beaucoup de régions jusqu’à l’avènement des matériaux transformés (ciment, béton, brique creuse, plâtre…) devenus aujourd’hui presque universels… mais qui sont bien moins écologiques.

Largement dépassée par ces nouveaux matériaux, la construction traditionnelle ne permet certes pas de construire le même nombre d’étages, mais les matériaux naturels sont moins néfastes pour la santé et régulent mieux chaleur et humidité dans les logements. Dans de nombreux cas l’éco-construction consiste donc à récupérer les techniques locales ancestrales, patrimoine immatériel qu’il est important de continuer de diffuser.

Habitat traditionnel andin Bolivie et Colombie

A Valparaiso, nous avons suivi un cours de « logement autosuffisant » avec l’organisation Bio-reconstruyendo Valparaiso. Dans les parties pratiques et théoriques, l’argile était bien-évidemment au rendez-vous. Pour beaucoup de jeunes professionnels et d’étudiants sélectionnés pour participer au cours, il s’agissait avant-tout d’établir un premier contact avec les matériaux naturels et leurs applications possibles dans la construction. Ce fut intéressant de voir l’adaptation des techniques traditionnelles (adobe, quincha, paille) à une éco-construction à la pointe de la connaissance scientifique sur l’écologie, la bioclimatique, l’énergie etc.

Adaptée à son temps, la construction sur laquelle nous avons travaillé dans les hauteurs de Valparaiso, intégrait ainsi un volume important de déchets recyclés (pneus, tonneaux, bouteilles, cannettes…), suivant le modèle Earthship Biotecture : modèle d’éco-construction nord-américain inventé dans les années 1970 par Micheal Reynolds au Nouveau-Mexique et dont l’exportation internationale vit aujourd’hui un boom… pour le meilleur et pour le pire… (Pour les curieux lire notre article ici)

Atelier d’autoconstruction écologique dans les hauteurs de Valparaiso, Chili

S’il s’agit bien pour nous d’une forme autogérée d’accès à l’habitat, un problème des Eco-Aldeas, et de la construction écologique latino-américaine en général, est le manque de normes liées à ce genre de construction. Ce qui fait qu’en règle générale, elles sont construites sans permis et ne peuvent donc théoriquement pas prétendre être rattachées aux réseaux municipaux d’électricité, d’assainissement etc. Pas de reconnaissance de l’État signifie également pas de financements possibles pour rendre accessible cette alternative d’habitat aux familles les moins riches, la réservant pour le moment à des familles relativement aisées.

Vers une normalisation de l’éco-construction ?

Dans certains pays comme le Chili, le Pérou, ou encore la Colombie, il existe déjà une norme nationale pour la construction traditionnelle en terre crue. Dans d’autres comme l’Argentine, des ordonnances et décrets municipaux l’autorisent parfois, grâce à la militance de groupes impliqués dans l’éco-construction et la permaculture.

L’un d’entre eux est le CIDEP à El Bolsón, au nord de la Patagonie, un centre de recherche et d’enseignement de la Permaculture et de l’éco-construction réputé en Argentine. Grâce à l’ampleur gagnée par cette organisation et sa persévérance, la municipalité de El Bolsón a établi en 2011 une ordonnance permettant la construction en terre crue. Cet antécédent a permis à d’autres municipalités de faire de même.

Leandro, un architecte que nous avons rencontré à Mendoza a travaillé plusieurs années au CIDEP pour se former en matière d’éco-construction. Mais Leandro cherche aujourd’hui à aller plus loin en faisant de la recherche depuis l’université sur les matériaux naturels dans la construction et en militant pour faire évoluer les normes de la construction à l’échelle de la Province de Mendoza et au niveau national. Un autre aspect fondamental de son travail est la diffusion des techniques d’autoconstruction à ses étudiants en architecture ainsi qu’à la main-d’œuvre engagée pour la réalisation de ses projets.

Éco-constructions approuvées par la municipalité de Uspallata, Argentine

Au sud de Mendoza, nous avons rencontré Viviana qui travaille dans le service du logement de la commune de San Carlos. Elle aussi est parvenue, avec beaucoup d’insistance, à faire passer un décret municipal autorisant un modèle de construction antisismique en matériaux naturels. Son intérêt pour ce type de construction n’est pas tellement d’ordre écologique. Elle a toujours vécu dans une maison construite en adobe et en connaît les avantages thermiques et de confort vis-à-vis des constructions en parpaings ou en briques. Mais ses principaux arguments pour défendre son projet sont le coût -qu’elle a calculé 3 fois moindre à celui du logement social « classique » pour la même surface- et le fait qu’il pourrait permettre aux familles de participer à la construction de leur logement et ainsi de se l’approprier, beaucoup plus que le logement social ! (Voir notre complément par ici.)

Les premières constructions écologiques légales à San Carlos, Argentine

Une forme plus aboutie et à plus grande échelle de construction écologique légale est celle du « Barrio Intercultural » de San Martin de los Andes toujours en Argentine. Ici l’idéal écologique n’est pas seulement matérialisé par la construction des logements mais également l’occupation du site par les 250 maisons et les équipements communautaires du projet. D’ailleurs, une des conditions imposées par la municipalité pour approuver le projet fut que celui-ci ait un impact environnemental mineur et une approche de conservation du site.

Par ailleurs avant d’arriver à un accord avec la municipalité, le projet résulte de plusieurs années de luttes communes entre des familles d’habitants non-propriétaires de San Martín et d’un groupe de familles Mapuche qui réclamait la restitution de leurs terres ancestrales. Entièrement conçu et réalisé par les habitants, il s’agit d’une intéressante expérience d’autogestion sur fond de lutte sociale et d’éthique écologique. (Voir notre complément ici.)

Autoconstruction écologique dans le Barrio Intercultural de San Martín de los Andes, Argentine

Réflexions finales sur la citoyenneté écologique

Les initiatives écologiques citées permettent bien d’avancer (à petits pas) et de diffuser des alternatives au mode de vie occidental dominant. Cependant, comme pour le cas des coopératives qui en plus d’un accès collectif au logement représentent une lutte sociale, l’habitat écologique devrait représenter selon nous une volonté transformatrice de la société qui ne s’arrête pas à la maison ou à la communauté.

En effet, habiter dans un logement écologique c’est comme être végétarien, trier ses déchets et aller au travail à vélo, c’est très bien, mais insuffisant pour mitiger les effets du changement climatique. Lutter pour un habitat durable ne peut donc se concevoir uniquement à l’échelle individuelle, il faut des actions et des solutions collectives. Générer une prise de conscience chez les autres et agir politiquement pour des transformations profondes de nos modes de consommation, de déplacement et de vie. Il s’agit notamment de s’impliquer comme citoyen pour parvenir à des politiques de planification pour une occupation et une gestion plus durable des territoires et des ressources.

De nombreuses personnes et organisations que nous avons rencontrées dans notre périple luttent ainsi activement contre des projets anti-écologiques, et contre la résignation de l’opinion publique: contre l’extraction minière à ciel ouvert et l’exploitation du gaz de schistes (Argentine, Bolivie); les barrages hydroélectriques géants (Brésil, Chili, Colombie); la déforestation dans des territoires indigènes et/ou réserves naturelles (Argentine, Équateur, Pérou), l’utilisation de monocultures de soja et d’OGM (Argentine, Paraguay); la privatisation de l’eau (Bolivie); ou encore les projets immobiliers et d’infrastructures dans des territoires habités ou des réserves de biodiversité, dans tous les pays de la région.

Un habitat mondial écologique réclame donc une lutte permanente basée sur le droit et l’intérêt général, en Amérique Latine comme en France. Pour l’auteur colombien William Ospina: « L’alternative à la résiliation est l’action commune, la solidarité. (…) Pour que la démocratie fonctionne il est nécessaire que se forment des citoyens qualifiés, capables de critères, de principes, de responsabilité sociale et d’avoir conscience de leurs droits »

Manifester son indignation est encore un droit dans nos démocraties. L’Amérique latine nous enseigne que -plus efficace que des pétitions Facebook- les marches au son des bombos (tambours andins), les occupations de sites et de ministères, les enchaînements aux grilles des parlements et les grèves de la faim sont les vrais moyens d’attirer l’attention des médias et donc des politiciens. Indignez-vous, mais mobilisez-vous !

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