Depuis les attentats qui ont frappé le pays et la capitale en plein cœur, plusieurs articles sont revenus sur le sens et la symbolique de « ceux » mais aussi de « ce » qui était visé. Car au-delà des femmes et des hommes, des citoyens de la République qui, ce soir-là, sont tombés sous les balles absurdes, ce sont aussi des enfants de la ville, des usagers de l’espace public démocratique qui étaient la cible des terroristes, et par extensions, l’espace public de la ville lui-même.
Anéantir la démocratie
Que ce soit dans notre cas, à Paris, mais plus généralement, dans celui de tout attentat perpétré dans le cadre d’un espace ouvert et partagé, le terrorisme se nourrit et assois ses forces de ce que nous « mettons » à priori, de positif au centre de ces lieux. Ainsi Carole Gayet-Viaud rappelait récemment cette réalité dans Métropolitiques :
Le sentiment aigu d’injustice que nous éprouvons aujourd’hui tient notamment au fait, cruellement ironique, que ces actes se jouent des vertus et de la grandeur même des espaces démocratiques ciblés pour les retourner en faiblesses ou, plus exactement, les requalifier en vulnérabilités. C’est en effet de l’hospitalité des espaces publics, de leur ouverture et de la présomption de confiance qui y prévaut entre inconnus que le terrorisme tire en partie sa capacité destructrice.
Entre la « casse » symbolique de la démocratie, que recouvrent en substance ces espaces et les tentatives d’instiguer auprès de leurs usagers une perte de confiance et donc une peur, le terrorisme s’attache aussi et plus largement, comme le rappelait Pop-up Urbain, à « tuer la ville », à tuer ceux, sinon ce qui la fonde, aux terrasses des cafés et à leurs brèves, aux salles de spectacles, aux trottoirs et à leurs passants, aux nuits, aux jours, aux regards, aux convivialités ou à l’Amour.
Tuer la ville
Pour Pop-Up Urbain, l’attentat exécuté au sein de l’espace public est donc une tentative d’« urbicide » dont il nous précise le sens :
Le néologisme, forgé dans les années 60 et popularisé dans les années 90 avec la Guerre de Yougoslavie, désigne la manière dont certaines armées s’évertuaient à détruire des portions entières de ville, sciemment et littéralement, comme si la ville était l’ennemi parce qu’elle permettait la cohabitation de populations différentes et valorisait le cosmopolitisme.
En se détachant des « cibles habituelles » dont la principale qualité aux yeux des kamikazes est avant tout de regrouper un maximum d’individus pour maximiser le nombre de victimes (ce qui rejoint les tentatives avortées d’explosions au Stade de France quand bien même s’attaquer à un match de foot revient également à s’attaquer à l’esprit cosmopolite), les assaillants des terrasses des X et XIème arrondissements et du Bataclan ont clairement montré leurs intentions de détruire ce dont la ville et l’urbanité se meuvent, de ces petites et de ses grandes choses qui enracinent les convivialités et la confiance.
Aux lendemains des attentats, et malgré les manifestations qui disent que les usagers de la ville n’entendent pas se laisser (et la laisser) abattre, la question de la décomposition de son sens se pose pourtant inévitablement comme le souligne Pop-Up Urbain :
La grande violence de l’urbicide est qu’il dure, dans le temps et dans les esprits. Il imprègne son venin dans l’inconscient collectif, et déborde au-delà des seuls lieux concernés. Il impose la peur dans l’imaginaire de la ville, et pas seulement la peur de mourir : flâner, sortir, fêter, se muent en appréhensions. L’urbicide pousse ainsi chacun à se méfier, de la rue ou de son voisin, et c’est ainsi que l’urbanité se délite.
Se méfier serait le pire
La méfiance, celle qui justement, ne tient pas à priori de place centrale dans l’espace public, est l’exacte posture souhaitée par les terroristes. Une méfiance qui se traduit aujourd’hui dans un contexte particulièrement anxiogène par un certain nombre de mesures qui ont été prises par le Gouvernement.
Se méfier serait le pire. Ce serait le pire car, comme nous le rappelle Carole Gayet-Viaud se serait en fin de compte rendre « vraies dans leurs conséquences les prémisses fausses » dont les actes terroristes « se réclament, rendre réelles dans les interactions qui viennent ensuite ces critères de perception d’autrui, ces formes de catégorisation » que le terrorisme, vendredi 13 novembre, a cherché à distiller dans nos esprits et dans les moindres tenants de l’espace public.
Se méfier, sans pour autant faire l’économie d’une forme de vigilance, serait le pire, parce qu’alors nous délaisserions la ville et nos rencontres, nous dresserions des murs et creuserions des fossés entre nous. Ce « Nous » que le terrorisme, que les terroristes exècrent tellement.
Je voudrais avoir une pensée partagée pour toutes les personnes qui ne sont plus là, pour les blessés, pour les familles et pour l’un de mes anciens professeurs de Géographie. Que nos convivialités urbaines ne les oublient pas.