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« Réinventer Paris » : « 22 nuances de Green »

Les projets lauréats du concours “Réinventer Paris” font depuis plusieurs jours, la une des tabloïds nationaux et internationaux. La grande réussite de l’opération est bel et bien le coup de communication magistral réalisé par la Mairie de Paris. Car sur le fond, la rédaction d’UrbaNews.fr reste un peu sur sa faim…

Crédits : SOU FUJIMOTO ARCHITECTS, MANAL RACHDI, OXO, MOZ, ATELIER PAUL ARÈNE ET PIERRE-ALEXANDRE RISSER

Réinventer Paris – Crédits : SOU FUJIMOTO ARCHITECTS, MANAL RACHDI, OXO, MOZ, ATELIER PAUL ARÈNE ET PIERRE-ALEXANDRE RISSER

Fin 2014, la mairie de Paris a sélectionné 23 sites pour “Réinventer Paris” à travers l’appel “à projets innovants”. Finalement, ce seront 22 sites qui sont vendus aux promoteurs suite à la déclaration “d’infructueuse” des projets du site “Hôtel particulier du XVIIe”. Ce sont donc près de 372 candidatures venues du monde entier, selon la mairie de Paris, 650 équipes selon les médias, qui ont ainsi planché durant ces derniers mois sur des projets complets.

L’innovation est un moteur puissant pour créer des possibles. La Ville de Paris l’a bien compris en lui donnant toute sa confiance pour aménager ces sites stratégiques. Le résultat dépasse nos espérances, puisque les projets proposés rivalisent d’ingéniosité. ”, a salué la Maire de Paris Anne Hidalgo. “Réinventer Paris va radicalement changer notre façon de penser la ville.

Formidable coup de communication, qui place la Ville de Paris sur les devants de la scène en matière d’urbanisme “audacieux”, “innovant”, “judicieux”, et “rentable”. Car en effet, à travers cet appel à projet, ce sont près de 1,3 milliards d’euros d’investissements privés et 565 millions d’euros de recettes pour la ville qui seront générés (chiffres de la mairie de Paris). Car oui, Réinventer Paris n’est pas un concours d’architecture comme les autres. Il laisse à l’investisseur (ou aux sociétés d’affaires) qui financent le projet, le choix de la programmation finale des projets. La puissance publique, républicaine et démocratique, ne stipule alors plus que quelques recommandations programmatiques dans le cahier des charges, offrant la ville à l’inventivité et la créativité des groupements privés. Sous couvert d’un niveau d’endettement record, extrêmement contraignant pour les finances publiques des collectivités, l’inspiration d’un “Town Planning” à l’anglo-saxonne inspire nos élus : il est temps de “vendre la ville” au plus offrant.

Réinventer la rémunération des prestations intellectuelles : la gratuité

En effet, ce sont plusieurs millions d’euros non redistribués aux groupements non lauréats qui manquent aux résultats. Même si du coté de la Ville de Paris, il a fallu gonfler l’équipe d’analyse pour permettre la sélection des candidatures (nos hommages au “jury international” qui reste en backstage), elle n’a néanmoins rémunéré aucune équipe pensante (hors lauréats). Et c’est tout l’art et la maîtrise de la Mairie de Paris, offrir une série de sites stratégiques (d’une extrême rareté dans Paris) – qui auraient pu faire l’objet d’opérations publiques sur lesquelles s’appuient une vision politique de développement urbain – à la libre concurrence de la “matière grise” gratuite. “Ce sont des groupements originaux et non conventionnels, au sein desquels tous les corps de métier pourront être représentés, qui réinventeront nos manières d’habiter, de travailler, d’échanger et de partager à Paris.” annonce la Maire de Paris Anne Hidalgo. Car pour répondre à Réinventer Paris, il fallait des reins solides et une productivité nocturne intense, à moins d’être une grosse agence armée de stagiaires.

Reprise du logo « Je suis Charlie » pour symboliser l’expression

C’est aussi le résultat au sein des équipes de travail : des journées au 70h accumulées, des nuits blanches les dernières semaines, et la joie de vivre son week-end au bureau tout le mois de janvier. Est-ce que l’investissement des équipes non lauréates comme celles lauréates en valait la chandelle ? Surtout lorsque l’on constate l’immense liste de partenaires à rémunérer sur des opérations d’une ampleur moyenne. Là aussi, nous retombons dans la logique de communication qui permet aux agences lauréates de faire parler d’elles et de se faire congratuler sur les réseaux sociaux. Le prestige ravive les égos, et nous sommes malheureusement dans un domaine qui en collectionne plus d’un surdimensionné. Retour d’expérience faisant foi, pas sûr que de nombreux professionnels de l’urbanisme, de l’architecture et de l’ingénierie ne s’y reprennent à deux fois…

Réinventer Paris : entre le déni de démocratie et un concours bien loin de la notion “d’urbanisme collaboratif”

Réinventer Paris n’est pas un projet d’urbanisme collaboratif contrairement à ce que l’on peut lire ici et là. “La ville de demain devient ainsi dès aujourd’hui la ville plate-forme où le partage, la collaboration, la co-construction sont une réalité via le travail de réflexion en commun mené pour chaque projet.” C’est en ces termes qu’est décrit le concours “Réinventer Paris”. Pour véritablement découvrir ce que sont les projets collaboratifs et les démarches d’urbanisme participatif mises en œuvre dans toutes les villes du monde depuis plusieurs années, nous vous invitons à parcourir les méandres d’UrbaNews.fr Car la classe créative de tous les horizons est à l’œuvre partout dans le monde : Amsterdam, Barcelone, Montréal, Beijing, Shanghai, Tokyo…

L’une des rares “innovations” dans Réinventer Paris a été de libérer les équipes de toutes contraintes de structure d’équipe déjà préétablie. Pour une fois dans les concours, plus seulement un architecte, un sociologue, un paysagiste, un VRD, etc. mais des formes moins conventionnelles avec l’intégration d’associations, de start-up, de chercheurs, de professionnels, etc. Libre à eux de défendre leurs idées et leurs parts du projet au sein des groupements et d’y faire adhérer le promoteur ou l’investisseur. Nul doute que les débats ont dû être passionnés et passionnants au sein des équipes. Mais qu’en est-t-il des citoyens ? Quelle participation citoyenne et participative dans l’élaboration des dossiers de site et du cahier des charges ? Quels outils mis en place et partagés par et pour tous mis en œuvre pour l’intégration des citoyens dans les débats/réunions/arbitrage des choix de conception ? Quels débats et votes mis à disposition pour la sélection des lauréats aux différentes étapes du projet ? Quelle place à la finance participative et citoyenne au sein des projets ? Ne parlons pas de la transparence, car les communiqués de presse mis à part, aucune donnée (ou presque) n’ont été livrées à l’open-data

Réinventer Paris : critères de sélection opaques, résultats conventionnels

Derrière une certaine opacité des modalités du concours comme des méthodes de sélection, les résultats ne sont pas surprenants pour Paris. Comme dans de nombreux concours ou autres appels à idées du même genre, ce sont les grandes agences qui, grâce à des discours bien rodés, vampirisent les résultats. Si vous aviez le nom d’un des nouveaux « starchitectes » français (Ferrier, XTU, PCA, TVK, ORY…) ou étrangers (Sou Fujimoto ou Chipperfield) vous aviez alors toutes les chances d’être dans les sélectionnés. Soulignons quand même que de nombreuses figures ont été écartées, dont quelques Pritzker, Grand Prix de l’Urbanisme et autres distinctions… (Aravena, Shigeru Ban, Dominique Perrault, Yves Lion, …). Finalement, l’une des composantes clés de la réussite au concours, en plus du conventionnalisme et du green washing à tout va, demeure votre influence. Car pour gagner, il fallait avant tout savoir faire parler : “Architecte Artiste”, “Designer de la ville durable”, “Créateurs de l’innovation”, sont autant d’adjectifs qui doivent accompagner les belles perspectives vertes pour les journaux internationaux. Malheureusement, la jeune classe créative et les jeunes agences d’architecture n’avaient que trop peu de place pour s’exprimer et expérimenter des démarches collaboratives complètes. Espérons que de nombreux projets non lauréats servent malgré tout d’inspiration. Car au vu d’aujourd’hui, les résultats déçoivent…

Résultat de « Réinventer Paris » ? Pardon. Ce sont Les Choux de Créteil, un grand ensemble signé par Gérard Grandval à Créteil en 1974. Nous avions confondu…

Réinventer Paris : densifier, verdir, et faire de la façade

Les résultats ont été annoncés en grande pompe, ils ne sont pourtant pas surprenants et, au risque de nous répéter, déçoivent… Concours d’investisseurs avant d’être un concours d’architecture, réinventer Paris ne réinvente donc pas la poudre et place la logique de rentabilité avant l’idée.

Les élus se targuent d’avoir innové tout en respectant les règles du PLU (on évite les recours, les huées des spectateurs et on bride les coups de folies architecturaux pour ne pas choquer l’opinion), mais ils ont surtout respectés les “appâts politiques”. Contenter certains les élus avec des façades végétalisées, de l’agriculture urbaine et des circuits courts alimentaires ; d’autres élus avec 50% de logements sociaux sur l’ensemble des opérations de logement (nous tairons les localisations toujours situées dans les quartiers déjà considérablement dotés en logement sociaux…), nommés “jardins habités” nous faisons d’une pierre deux coups ; contentez encore plus d’élus avec des formes architecturales consensuelle (et un peu fade) sans grandes réflexions sur les liens avec la rue ni des parti pris architecturaux forts (en même temps fallait respecter le PLU et les sensibilités de chacun) ; contentez les élus restants en accueillant sur tous les sites à enjeux du cœur de Paris, des programmes conventionnels (hôtels, lieux de mécénats, espaces de mode, commerces, …).

Nous sommes fiers de vous présenter les résultats pour le site d’Edinson 2016 ! Ah, ce n’est pas ça? C’est le Quai Branly inauguré en 2006 ? Pardon, nous avions confondu.

Au final, cachez-moi ce vert que je ne saurais plus voir… (voir l’article Quand le « Greenwashing » prend tout son sens » par Edouard Malsch). Car l’innovation programmatique n’est pas non plus au rendez-vous. Beaucoup de projets sont très conventionnels : logements, bureaux, crèches et commerces. La plus grande déception vient sûrement du projet à coté de la place d’Italie, mais la faute est au programme plus qu’à la démarche et aux concepteurs : actuellement un espace public peu traité, le site deviendra une galerie commerciale dédié aux “enseignes innovantes”. Mais on nous assure que le projet a été entièrement créé en concertation avec les habitants… Quelques projets “shortlistés” semblaient innovants sur ces questions de participation à grande échelle et sur une démarche de projet participative open-source Wikibuilding (voir notre article Open is the new green par Bruno Morleo), ou encore la proposition d’Emmaüs Habitat sur les bains douches de Castagnary. Nous vous invitons fortement à voir plus en détail les nombreuses initiatives non lauréates.

Quand à celles lauréates, place donc aux concepts phares : commerces écologiques, façades végétalisés, agriculture urbaine en toiture, co-working, photovoltaïque… Cela ne va pas sans nous rappeler un certain projet “Paris Smart City 2050” ou une “vision futuriste” de la capitale proposée par l’architecte belge Vincent Callebaut fait figure de prémisses de “Réinventer Paris”. (voir l’article : Paris Smart City 2050 : cauchemar verdâtre ? par Edouard Malsch)

Nous sommes fiers de vous présenter le meilleur projet de « Réinventer Paris » ! Toitures végétalisés, agriculture urbaine et mixité sociale ! Ah, ce n’est pas ça ? C’est l’opération « Jeanne Hachette » à Ivry-sur-Seine créé par Jean Renaudie en 1975 ? Pardon, nous avions confondu. Décidément…

Réinventer Paris : une certaine prise en compte des évolutions des modes de vie

Car à force de critiquer, nous passerions pour des concurrents déçus (ce qui n’est pas le cas, nous sommes juste déçus).

Quelques belles surprises ont émergé du concours, notamment :

Il est aussi important de souligner que les projets vont générer 1341 logements dont 675 logements sociaux, ce qui est une chose très positive pour le développement de l’habitat.

Le projet de reconquête urbaine du Triangle Eole-Evangile, l’un des plus réussit du point de vue de l’intervention urbaine. / Crédits photo : TVK

Réinventer Paris II : une nouvelle liste de projets annoncée pour 2017 et la fin du code des marchés publics ?

Fort de ce succès promotionnel, l’opération de communication orchestrée par la Mairie de Paris est une réussite, la méthode pourrait faire école et la Ville de Paris souhaite renouveler l’opération en 2017 avec une nouvelle édition.

D’habitude, promoteurs et architectes sont soumis à un cahier des charges drastique, qui les bride. Cette fois-ci, une grande liberté a été donnée aux créateurs, ce qui a permis un fourmillement d’idées. Nous ne concevrons plus les prochaines ZAC de la même façon”, promet Mme la Maire Anne Hidalgo.

Pas sûr que les nombreuses équipes déçues qui ont beaucoup investi en temps et fonds renouvellent l’opération. En effet, les 75 équipes finales ont presque été jusqu’à l’avant-projet détaillé, tandis que lors d’un concours classique (ou procédure adaptée pour des petites opérations), l’usage est de rémunérer l’esquisse du concours à hauteur de 80% des 5% de la rémunération allouée à la maîtrise d’œuvre, par équipe en concurrence. Là, aucune équipe, les lauréats mis à part, ne touchera d’indemnités pour l’énorme travail fourni.

“L’architecture, comme de nombreuses prestations intellectuelles liées à l’aménagement, l’urbanisme et la construction, est en crise…”

Dommage que le manque de considération de la prestation intellectuelle entache le fond de cet appel à idée. Cette « innovation gracieuse » du concours d’architecture signe pourtant bel et bien une nouvelle forme de projet : faire plus, faire innovant, mais gratuitement. D’autres villes vont à coup sur s’inspirer de cette méthode de projet “innovante” qui ouvre la porte aux maîtres d’ouvrage à la création de projets hors cadre du code des marchés publics. La ville de Paris annonce d’ors et déjà un projet “Réinventer la Seine” avec un appel à projet allant de la capitale à Rouen, bientôt une édition Réinventer Paris II… Il est indispensable que les maîtrises d’ouvrages prennent conscience de leurs responsabilités et de leurs pouvoirs de régulation. Il en va de l’avenir des professions intellectuelles, de l’avenir des futurs ouvrages crées, et dans un contexte de quête de la durabilité, la Ville de Paris envoie un très mauvais signal. Quand aux idées innovantes des jeunes agences et jeunes professionnels pour la création de leur avenir, l’innovation restera dans les tiroirs (et sur les “portfolios”…), car le spectacle est terminé.

Coupe du projet de la sous-station Voltaire. L’une des plus belles réussites architecturales du concours. / Crédits photo : Olivier Palatre Architectes et Atelier Roberta

Pour aller plus loin

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