Villes petites et moyennes : une conviction environnementale
Face à la métropolisation croissante des grandes villes françaises, la libéralisation des marchés et aux phénomènes concomitants de désindustrialisation et de périurbanisation, de nombreuses villes françaises font aujourd’hui face à d’importantes crises économiques (Béal et al, 2017). Ce sont souvent des villes petites ou moyennes, enclavées en province et anciennement industrielles. Ce sont des villes qui immergent notre imaginaire individuel et collectif : elles rappellent des souvenirs d’enfance ou de vacances, un héritage culturel ou familial. Ce sont des villes qu’on aime et qu’on a envie de continuer à aimer, pourtant elles sont aujourd’hui reléguées au second plan des villes qui structurent l’identité économique et sociale de la France. Ces villes ce sont entre autres Saint Etienne, Mulhouse, Lens, Périgueux, Albi, Alès, Béziers, Le Mans, Aurillac, Privas, Angoulême, Nîmes ou encore Nevers et Vierzon (Razemon, 2016).
Ces villes, privées de plus en plus de ressources étatiques au profit des grandes métropoles, exclues des processus de mondialisation et de moins en moins attractives, voient leurs indicateurs de précarité fortement augmenter : les petits commerces de proximité ferment, les dynamiques culturelles et associatives se font rares, le bâti se dégrade et le taux de pauvreté atteint des records. Les populations aisées partent, les populations pauvres restent, diminuant d’autant le pourcentage de ménages imposables à l’échelle de la commune. La ville s’engouffre alors dans une incapacité économique d’attirer entrepreneurs et investisseurs.
Il ne fait plus bon d’aller habiter dans ces villes. Les jeunes diplômés leur préfèrent les perspectives d’un monde qui s’invente sur l’international : Paris, Marseille, Lyon, Montpellier, Toulouse sont les nouveaux eldorados. Le gouvernement a bien compris le potentiel économique des métropoles et ses efforts portent majoritairement sur le soutien au développement des grandes régions métropolitaines (Dormois, Fol et Waine, 2017). Par conséquent les villes petites et moyennes subissent aujourd’hui un double niveau de subalternité : délaissées par les politiques publiques, elles sont boudées pour le cadre vie par les citadins.
La crise urbaine, une opportunité pour penser la ville durable
Malgré tout, il serait préjudiciable de négliger le potentiel social et économique des villes en crise. En effet, elles constituent un terreau important pour renouveler la façon de vivre et de penser la ville : les phénomènes de crise urbaine peuvent être considérés de manière positive : en partant du constat que le déclin urbain relève d’un changement de nature, il est possible d’en tirer le meilleur parti (Florentin et al, 2009) pour construire de nouveaux espaces et de nouveaux usages à travers des politiques innovantes de durabilité.
Les friches urbaines par exemple, très présentes dans les villes en crise, sont propices à des dynamiques d’appropriation citoyennes afin de répondre à des objectifs individuels et collectifs (Ambrosino et Lauren, 2008). Sur ces espaces anciennement délaissés, se développent de nouvelles activités culturelles, sociales, environnementales et artistiques qui permettent à certains quartiers de se construire une nouvelle identité. Parfois, ils peuvent également attirer des investisseurs alléchés par des acquisitions foncières à des prix défiants toute concurrence (Bernot, 2014).
Par leur multifonctionnalité les projets environnementaux peuvent être d’une grande pertinence pour penser l’après crise. En effet, ils permettent, de manière non exhaustive, de lutter contre la dégradation de l’urbain et de la qualité de vie, ils favorisent l’installation de la biodiversité, ils promeuvent de nouveaux liens sociaux et solidaires. Ils peuvent créer de l’emploi dans des secteurs d’avenir, et surtout intégrer une ville de manière symbiotique avec ses paysages naturels les plus proches. Ces projets environnementaux peuvent constituer le cœur de nouvelles stratégies politiques pour permettre aux villes en crise de se construire une nouvelle identité.
Le cas des jardins citoyens à Alès
Alès a connu ses heures de gloire : l’apogée minière et métallurgique au début du 20ème siècle en a fait une ville dynamique, attrayante et fortement pourvoyeuse d’emplois. Frappée de plein fouet par les processus de désindustrialisation, la ville n’a pas su concevoir sa transition économique : aujourd’hui le taux de chômage atteint les 24% et le taux de pauvreté avoisine les 30% (INSEE, 2017). Des chiffres bien au-dessus de la moyenne nationale avec des taux respectifs de 9,8% et 14% (INSEE, 2016). Le centre-ville se paupérise : dans la rue d’Avejan – la plus commerçante de la ville – 27 boutiques sur la quarantaine existantes ont récemment mis les clés sous la porte. Les classes moyennes et supérieures partent pour Montpellier, Toulouse ou Marseille attirées par des perspectives d’emplois séduisantes. La ville, pourtant, essaye de retrouver son cachet d’antan en déployant des politiques publiques d’embellissement et d’attractivité de populations jugées hautement désirables : les cadres supérieurs et les investisseurs. Néanmoins ces choix budgétaires se font souvent au détriment de politiques à destination des habitants majoritaires de la ville : à savoir les populations pauvres.
Ces populations ont donc recours à une multitude de stratégies individuelles pour répondre à leurs besoins quotidiens : le retour à la terre en fait partie. Dans les interstices de la ville, dans les parcelles abandonnées et non urbanisables, éclosent de nombreux espaces cultivés. Les jardiniers sont souvent des personnes au chômage vivant dans les HLM du centre-ville. Les jardins sont entourés par des murs de bois, des palliasses, des grillages et des bouteilles plastiques : un système « débrouille » qui permet aux jardiniers de cultiver à l’abri des regards indiscrets. Si la production alimentaire est si protégée, c’est parce qu’elle constitue un apport économique non négligeable pour les jardiniers. D’ailleurs, ils y passent une bonne partie de la journée: « c’est un travail à temps plein, on y vient même le weekend » me glisse l’un des jardiniers du quartier de la prairie au Sud d’Alès. Son voisin, Yannick, me confesse qu’avoir un jardin lui offre un important apport économique : grâce à sa parcelle de 300m2 et à un travail minutieux de transformation (conserves, confitures, congélation), il réussit à nourrir sa famille tout au long de l’année.
Mais si la motivation économique est toujours présente dans le discours des jardiniers à Alès, elle est indissociable de toute une série de motivation qui questionne la place du citadin pauvre en ville. Il y a d’abord la volonté de sortir de son HLM pour un endroit source d’apaisement et de sérénité. Il y a la possibilité de retrouver ses copains jardiniers avec qui, entre deux travaux agricoles, se partage toute une série d’activités allant du thé à la menthe à la partie de pétanque. Enfin et surtout, les jardins constituent une magnifique opportunité pour se construire une nouvelle vie. Dans les discours, les jardins sont l’antithèse d’une vie précédente passée l’usine : les jardiniers inventent leur quotidien extérieur, profitent de leurs proches de manière plus régulière et s’émancipe à travers une activité qui est leur : la gestion de leur propre jardin. Yannick, de nouveau, me confessa que suite à son licenciement, il passa la majorité de ses journées au bistrot. Aujourd’hui il est un jardinier qui partage sa production avec ses proches : pour lui comme pour les autres, cela change tout. Finalement à travers des formes de liberté et de flexibilité retrouvées, les jardins sont pour les citadins pauvres de véritables outils d’émancipation individuelle.
De l’action individuelle à l’action collective : penser le changement
A Alès, si au quotidien les jardins sont accessibles aux seuls jardiniers, ils peuvent également apporter de nombreux bienfaits à la société urbaine. De manière non exhaustive, ils permettent de ramener de la biodiversité en ville (sauvage et cultivée), de lutter contre l’îlot de chaleur urbain, de créer de nouveaux réseaux de solidarité, d’aménager éventuellement des chemins de promenade entre les jardins ou encore de construire une image nouvelle pour les quartiers les plus défavorisés. Plus important encore, ils permettent une appropriation citoyenne dans la fabrique des quartiers et dans la manufacture de la ville. Par les jardins un nouveau récit de l’histoire politique de la ville s’écrit au quotidien.
Néanmoins, il est important de constater que les jardiniers restent des personnes pauvres : les apports économiques issus des jardins, s’ils sont néanmoins d’une aide précieuse, ne sont pas suffisant pour permettre à une famille de sortir de la pauvreté. Afin d’emmener ces projets environnementaux plus loin, des formes d’action collectives doivent être pensées. De la création d’associations au déploiement de politiques publiques d’accompagnement, les villes en crises peuvent se réinventer en plaçant l’environnement et la citoyenneté au cœur de leur développement. Un chemin ardu attend les citoyens et les décideurs publics qui seraient tentés par l’aventure. Néanmoins, mes recherches m’en ont donné la conviction, il y a là une voie pertinente pour penser l’égalité et la durabilité dans les villes d’aujourd’hui et de demain.
Notes et références :
*Les informations sur la commune d’Alès sont issues d’enquêtes de terrain menées auprès des citadins, des jardiniers et élus locaux tout au long de l’année 2016 et 2017.
*Le prénom du jardinier cité a été changé par souci de préserver son anonymat et de protéger sa vie privée. Yannick n’est pas un cas isolé sur Alès, la plupart des jardiniers en situation de précarité tiennent le même discours sur l’importance économique et social des jardins dans leurs vies quotidiennes.
Ambrosino Charles et Lauren Andres, « Friches en ville : du temps de veille aux politiques de l’espace », Espaces et sociétés, vol.134, no.3, 2008, pp. 37-51
Béal Vincent & Collet Anaïs & James DeFilippi Jamess & E. Ocejo Richard & Rousseau Max, « Villes en décroissance », Métropolitiques, 2017.
Bernot Elsa, « Détroit, la « vacance » convoitée », Chimères, vol.82, no.1, 2014, pp. 67-76. Dormois Remi & Fol Sylvie & translated by Waine Olivier, « Urban Shrinkage in France: An Invisible Issue? », Metropolitics, 2017.
Florentin Daniel, Fol Sylvie et Roth Hélène, « La « Stadtschrumpfung » ou « rétrécissement urbain » en Allemagne : un champ de recherche émergent », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Espace, Société, Territoire, 2009.
Razemon Olivier, « Comment la France a tué ses villes », Rue de l’échiquier, 2016.
2 Commentaires
Pour pas trop tomber dans les clichés reçus, il faut relativiser les assertions coutumières telles que « laissées tombées par les pouvoirs publics »…
En réfléchissant 2 sec, on se rappel bien que les collectivités ont plus d’autonomie et que ce n’est plus l’état providence qui aménage les bourgs.
Deuxièmement, les pouvoirs publics locaux, villes moyennes, petites et bourgs sont la plupart du temps tout dévolus à améliorer leurs communes, pourquoi les prendre pour des sadiques agents complotistes du gouvernement central pro-métropoles ?
… Enfin, ne pas oublier que les habitants, usagers, ont tous un grand rôle à jouer: si plus personne ne prend ce train et que tout le monde s’accumule sur la départementale créant bouchons et pollution… ne blâmez pas le gouvernement pour la suppression des petites lignes de train et la construction de voies rapides, désertion des centre-bourgs, etc.
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