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Expérience utilisateur et fabrique de la ville : vers l’UX Urban Design

Cette tribune correspond à la traduction adaptée d’une conférence donnée par l’auteur à la Smart Cities Expo organisée à New Delhi au mois de Mai 2018. Elle s’inscrit dans la prolongation d’un travail de recherche-action en cartographie sensible du territoire. Il s’agit ici d’une ébauche de théorisation et plus prosaïquement d’une tentative d’introduction à la notion d’UX urban design qui recoupe par ailleurs d’autres thématiques contemporaines comme la concertation, la maîtrise d’usage et plus largement la démocratie participative. Il est évident qu’un certain nombre d’initiatives et de pratiques professionnelles actuelles pourraient s’en revendiquer, en premier lieu en France.

La plupart de nos villes contemporaines doivent faire face simultanément à une demande de participation citoyenne à la décision publique, à un besoin d’amélioration de la qualité de vie pour tous et par ailleurs à un attrait des décideurs pour l’idéal de la Ville Intelligente (ou Smart City). Dans ce contexte, les champs de l’architecture, du design urbain (Note 1)  et de l’urbanisme doivent renouveler leur méthodes et processus de fabrication de la ville pour inclure les habitants/usagers comme partie prenante à part entière mais aussi faire avec une baisse des investissements publics.

L‘UX urban design (traduction littérale : l’aménagement de la ville basée sur l’expérience de ses utilisateurs) est une vision de la fabrique urbaine basée sur un renversement des valeurs pour aller d’une approche de l’urbanisme au XXème siècle techniciste et centrée sur l’espace vers une approche du XXIème siècle, centrée sur ses utilisateurs et à l’écoute de leurs perceptions.

Le concept d’UX urban design provient de l’application au champ de la fabrique de la ville d’une notion issue du champ du design et qui signifie Expérience Utilisateur (User eXpérience en anglais). L’UX est relativement récente mais fortement intégrée aujourd’hui dans les pratiques professionnelles du monde du design, notamment dans les disciplines liées à la conceptions d’interfaces numériques. L’idée derrière ce concept est de construire la ville par et pour (une meilleure) expérience de ses utilisateurs. Les usagers sont alors replacé au cœur du processus d’UX urban design, à partir du diagnostic ou de la programmation, au moment de l’implémentation du projet et même durant la phase de gestion de celui-ci. Ainsi l’approche dite d’UX urban design peut s’appliquer à n’importe quelle phase du processus de fabrication de la ville.

L’UX Urban Design possède des similitudes avec les notions anglo-saxonnes de placemaking et de community planning. L’objectif d’une telle approche est d’être efficace dans l’amélioration de la qualité de vie de nos contemporain(e)s. Il s’agit visiblement d’une forte tendance à la fois en Europe et aux Etat-Unis (voir la démarche Réinventons nos places! lancée par la ville de Paris ou encore les travaux de Jan Gehl) mais également un peu partout dans le monde.

Cartographie mentale collective du corridor ferroviaire de SQY en Juin 2014 – Réalisé au sein de l’Agence Urban Act

Un des principaux outils de cette approche est la cartographie sensible, (Note 2) qui peut se définir comme un outil d’analyse de l’expérience des usagers du territoire, qu’ils soient habitants, simples usagers ou visiteurs de passage. L’idée est bien d’ajouter une « couche d’expérience utilisateur » au diagnostic urbain traditionnel. Les données collectées peuvent porter sur les perceptions des usagers, leurs représentations mentales du territoire ainsi que leur imaginaire. Les données une fois synthétisées peuvent prendre la forme de cartes simples, de récits ou bien de cartographies interactives. Pour une telle approche, l’usage de la technologie et des outils numériques est possible mais pas indispensable. Le plus important est de réaliser un travail de terrain le plus immersif possible y compris à différentes temporalités.

Quelques méthodes et outils peuvent être suggérées pour mettre en application une approche de la fabrique de la ville qui prend en compte l’expérience ses utilisateurs :

Étude des perceptions habitantes

Une telle étude peut être réalisée à l’échelle d’un quartier ou d’un territoire plus large. Il s’agit ici d’interroger les usagers de ce territoire. L’objectif étant de dresser un diagnostic de la « géographie perceptive » qui pourra influencer la stratégie urbaine et la hiérarchisation des priorités d’aménagement.

Carte montrant le résultat d’une enquête de perception du corridor ferroviaire de Saint-Quentin-en-Yvelines réalisée en 2014 auprès de 50 usager(e)s

La méthode consiste à réaliser des entretiens semi-directifs dans l’espace public et à interroger un panel représentatif sur les représentations mentales du territoire concerné. Les questions pourront porter par exemple sur les repères (d’usage) du territoire, les lieux aimés, les lieux mal-aimés et ce qui est considéré comme patrimoine local…

Analyser la ville par le regard des enfants

Au delà du point de vue des enfants il s’agit ici d’interroger les perceptions d’usagers considérés comme des usagers plus vulnérables, comme peuvent l’être également les personnes âgées ou handicapées. Étant entendu que si la ville est plus agréable pour eux, alors elle sera plus confortable pour tous. Une fois ces avis pris en compte, la collectivité pourra réaliser des aménagements en conséquence. Un très bon exemple est donné par l’association indienne ACE (Action pour l’Environnement des Enfants) basée à New Delhi et soutenue par l’Unicef et qui travaille sur les représentations de leur environnement d’enfants vivant dans des bidonvilles.

Atelier de cartographie sensible organisé avec un groupe d’enfants pour récolter leurs perceptions du lac de la Blanche près de Bordeaux – Avec l’association le Labo des histoires Nouvelle-Aquitaine

Une autre méthode consiste à définir un parcours qui n’est pas connu au préalable et à en faire faire l’expérience à un groupe d’enfants qui notera ses impressions dans un carnet de bord dont les résultats constitueront une forme d’analyse spatiale.

Utilisation de cartes interactives

Leur contenu peut être alimenté par des balades sensibles individuelles ou collectives sur des trajet qui peuvent être ceux du quotidien ou bien exploratoires. L’objectif est de capter les ressentis des participants pour recueillir des matériaux (sons, photographies, vidéos, textes) qui seront ensuite compilés sur une carte en ligne ouverte au public. Les cartes interactives sont particulièrement intéressantes car elles permettent d’agréger différents médias et parce qu’elles constituent un document d’analyse multiscalaire, contrairement aux cartes « classiques » qui ne peuvent être lue qu’à une seule échelle donnée. En cela, les cartes interactives constituent de nouvelles formes de documentation de l’analyse territoriale.

Carte sensible interactive de restitution du récit d’un séjour à New Delhi. Lien vers la carte ICI. Plus de détails ICI.

Pour conclure, l’approche UX Urban Design a pour finalité de considérer l’expérience urbaine dans une perspective à la fois centrée sur l’usager, multi-site et relationnelle. Elle considère ainsi l’expérience du territoire comme un continuum de qualité de vie, par exemple du logement vers le lieu de travail en intégrant le(s) mode de transport. Dans ce contexte, l’Intelligence pour une ville, n’est pas tellement liée à l’usage de la technologie mais plutôt et surtout à la mise en œuvre de processus et de projets durables qui prennent en compte la question de sa gouvernance. Cela signifie travailler ensemble et en particulier avec celles et ceux qui sont concernés.

Note 1 : Le terme est ici employé bien que la champ disciplinaire n’existe pas en tant que tel en France étant donné les caractéristiques propres à notre système de pensée et d’action qui diverge largement du système anglo-saxon basé lui sur une distinction nette entre urban design et urban planning.

Note 2 : Outre les travaux de l’auteur, un certain nombre de chercheurs et de praticiens œuvrent à théoriser et à mettre en pratique la discipline comme E. Olmedo ou C. Jourdan.

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