Note : ce billet constitue la deuxième partie d’une série dédiée à la thématique des Loisirs Urbains. Imaginée par Vincent PHILIPPE, éditeur de l’observatoire actif et prospectif des nouveaux lieux des loisirs en ville : Funfaircity. La première partie est à retrouver en cliquant ici.
Une place difficile à prendre
Le développement croissant de ces nouveaux lieux urbains ne doit pas masquer une réalité qui reste complexe. De la même manière que la réussite d’un tissu de commerce de proximité ne se décrète pas, la pérennisation d’un lieu de loisirs n’est pas innée. Même en pleine ville, elle relève de bonnes conditions d’exploitation (accessibilité, fréquentation…) associées à l’équilibre d’un compte de résultat (niveaux de loyer, diversité du public, financement, conditions du travail, ou encore gestion des risques) ainsi qu’à d’autres facteurs conjoncturels liés à la vie économique, sociale et environnementale (climat, fiscalité, pouvoir d’achat…)
L’avantage immédiat d’une implantation en agglomération pour un lieu de loisirs est un accès direct à un public de proximité vaste et varié (particuliers, entreprises, scolaires…). S’y oppose un inconvénient relatif à la forte concurrence entre différents lieux de loisirs mais également, d’un point de vue immobilier et foncier, entre lieux de loisirs et autres fonctions urbaines.
Plusieurs de ces activités récréatives étant nouvelles, il est difficile de bâtir une étude de marché et un plan de financement capable de rassurer des investisseurs, notamment quand il s’agit de créer les murs et pas simplement de les louer. Aussi, de nombreux projets sont dépendants de subventions publiques (Les Machines à Nantes, Toulouse et Calais), de mécénat ou sont adossées à des acteurs économiques majeurs (The Void et Disney pour la réalité virtuelle par exemple).
L’investissement initial d’un lieu de loisirs est très important, tout comme le coût d’exploitation, car il est par la suite nécessaire de justifier le prix d’un ticket d’entrée pour un visiteur. Un lieu de ce type dispose toutefois d’une inertie particulièrement forte qui peut lui empêcher de se mettre rapidement en accord avec le gout du public. Si le public ne suit pas, c’est la fermeture. Les échecs ont donc été nombreux, depuis le visionnaire « Planète Magique » à la Gaité Lyrique entre 1989 et 1991 jusqu’à l’étonnant Disney Quest, « Indoor Entertainment Center » de haute technologie pourtant conçu par le plus grand spécialiste du divertissement qu’il soit.
A ce titre, les modèles des lieux de la réalité virtuelle ou de l’immersion visuelle sont particulièrement performants :
- Leur localisation en intérieur assurent une exploitation à l’année pour tous types de publics.
- L’investissement initial est surtout technologique (projecteurs, casques de réalité virtuelle…) et dispose d’une valeur en seconde main en cas d’echec. Le reste du lieu est ensuite un grand « vide capable ».
- Le renouvellement des expériences proposées dépend des cycles d’exposition ou des jeux proposés.
Mais outre la concurrence qui existe entre eux, les loisirs en tant que lieux sont également en concurrence avec d’autres fonctions urbaines foncièrement plus rentables comme les logements, les bureaux, les espaces commerciaux. A cet égard, il est important de se souvenir qu’en plein Paris au début du 19e siècle, trois parc d’attraction Tivoli successifs ont intégralement disparus, balayés par la spéculation immobilière. Ils ont pourtant inspiré les Tivoli Gardens de Copenhague, ouverts en 1843 et dont personne aujourd’hui n’imaginerait la disparition. C’est la première destination touristique de la capitale danoise avec plus de quatre millions de visiteurs par an, sur un terrain situé en hyper centre.
Qui aurait également imaginé qu’une ancienne fabrique de chaussure à l’abandon devienne un paradis du jeu accueillant plus de 700 000 visiteurs/ an (City Museum, Saint Louis). Qui, enfin, songerait à raser l’entrepôt qui accueille l’expérience de théâtre immersif la plus réussie du moment « Sleep no More » (New York). Les exemples sont nombreux et les lieux deviennent des références tant au niveau local (loisirs de proximité et qualité de vie) qu’à un niveau plus large (rayonnement territorial et retombées économiques).
La recette magique n’existe pas pour ce type de lieu. Une expérimention artistique peut tout à fait devenir un lieu incontournable et un produit « standard » peut tout à fait rater sa cible. Mais au fil du développement de ces nouveaux lieux, les professionnels réussissent néanmoins et de plus en plus, à faire de leurs lieux des références et des modèles qui fonctionnent et qui font école.
Les loisirs urbains comme une articulation entre projet urbain et développement territorial ?
De la même manière que certaines régions souhaitent accueillir « leur Disneyland », les villes s’intéressent désormais aux loisirs en ce qu’ils permettent de compléter une stratégie de transformation urbaine par la création d’attractivité, le changement d’image et l’amélioration de la qualité de vie. Les lieux de loisirs et d’attraction prennent donc une nouvelle position, parfois au cœur de certaines stratégies immobilières et territoriales.
La transformation de lieux de commerce en destination et lieu de vie :
C’est par les grands lieux de commerce que les nouveaux lieux de loisirs effectuent leur arrivée la plus remarquable. Menacés par le commerce en ligne, ces temples de la consommation que sont les outlet, les centres et galeries commerciales sont en pleine transformation. Les loisirs font pleinement partie des leviers à activer afin de dynamiser leur fréquentation.
L’idée n’est pas nouvelle car elle a déjà inspiré des créations comme Odysseum à Montpellier, la Toison d’Or (parc d’attraction et parc aquatique aujourd’hui disparus) jusqu’à Bercy Village et son complexe cinéma/restaurants. Aujourd’hui, elle semble toutefois exploitée de manière plus vaste et avec une variété de loisirs plus importante. Cela concerne les loisirs actifs (Airtrix dans le centre B’Est en Moselle), la chute libre indoor (iFly à Vill’Up), l’eSport (WeArena, Tiare Shopping), l’escalade de bloc (Arkose à Nice Valley) ou encore la réalité virtuelle (Cahem à Caen-Mondeville 2). Des aires de jeu d’enfants, intérieures ou extérieures, sont maintenant systématiques et souvent spectaculaires. Chaque centre cherche alors à se démarquer de la concurrence en attirant une enseigne loisirs inédite.
Des centres géants créés de toute pièces comme Europa City n’ont plus d’avenir en France mais ils restent d’actualité à l’étranger comme par exemple Intu Costa del Sol à coté de Malaga qui annonce une vingtaine d’attractions de loisirs, sur le modèle des mega-malls West Edmonton, Mall of America et du plus récent American Dream dans le New Jersey (parc d’attraction indoor, parc aquatique, ski, patinoire…).
Et ces projets ne sont que la partie émergée d’une tendance de fond qui concerne tous les grands lieux de commerce existants ou en projet, quelle que soit leur taille. Les loisirs doivent intégrer le « retail mix », pour reprendre le jargon spécialisé des professionnels du secteur. Les intérêts en jeu sont importants et les associations Commerces/Loisirs peuvent s’avérer stratégiques, à l’image de ce récent partenariat entre le géant Unibail Rodamco Westfield et la start up The Void, référence mondiale de l’immersion en réalité virtuelle. Pour favoriser ces associations, le MAPIC, salon international de référence de l’immobilier commercial lui a dédié cette année une journée entière, en Novembre dernier à Cannes et développe maintenant un tout nouvel évènement dédié, baptisé Leisur’Up.
Les grands projets de développement territorial :
Les grands projets de développement territorial font également appel à des programmations innovantes et diversifiées que les nouveaux lieux des loisirs sont en mesure d’apporter.
Qu’il s’agisse de la structuration de nouveaux quartiers ou d’équipements urbains majeurs :
- A Toulouse, toute la création d’un nouveau quartier à Montaudran s’articule autour d’un nouveau site de la compagnie des Machines (avec l’Ile de Nantes et le site du Dragon de Calais).
- Pour Bordeaux, l’EPA Euratlantique organise l’appel à Manifestation d’Intérêt NOVA (Nouvelles Opportunité de Ville et d’Attraction) pour générer des nouveaux lieux de loisirs et de culture capables d’attirer 200 000 visiteurs par an en offrant un dynamisme nouveau aux quartiers qui les accueillent.
- Du côté d’Anvers c’est toute une zone de la gare centrale qui est devenue « Comic Station », parc d’attraction « Indoor » sur la BD.
Qu’il s’agisse d’un développement touristique :
- A Marseille, l’Appel à Projet sur le hangar Joliette 1 a généré un projets mixtes intégrant une grande part pour les loisirs et le divertissement (loisirs actifs, centre aquatique et loisirs numérique et eSport, Game Life Agora)
- A Amsterdam, les visiteurs sont invités au cœur d’un nouveau quartier, pour découvrir les charmes des Pays-Bas à bord de « This is Holland » un Flying Theater digne des meilleurs parcs d’attraction.
- Enfin à Rochefort, est installé l’un des plus originaux sites d’accrobranche urbain du pays, L’Accro-mâts.
L’animation de lieux l’éphémère :
Animation d’une grande friche, fête foraine renouvelée, palais des congrès, les lieux urbains de l’éphémère sont une place de choix pour les loisirs. En effet, tous n’ont pas besoin d’un lieu permanent pour exercer et certaines expériences les plus réussies peuvent aussi être les plus limitées dans le temps. A noter qu’une attraction éphémère a aussi la possibilité de se déplacer pour aller à la rencontre d’un autre public et rentabiliser ainsi sont investissement.
- A Paris c’est grâce aux démarches d’urbanisme transitoire qu’une expérience inédite de théâtre immersif a pu être créé sur une opération de Novaxia.
- Du côté de Munich c’est autour d’une grande roue que s’articule temporairement le grand projet de renouvellement urbain de la Ost Bahnhof.
- Enfin, à Londres l’évènement WinterWonderland a dépassé la simple association d’un marché de noël et d’une fête foraine pour devenir un vrai petit festival qui anime Hyde Park plusieurs semaines en Hiver. C’est également à Londres que l’on trouve les expériences immersives de Secret Cinema qui mêlent, dans un grand hangar en lointaine périphérie, jeu de rôle grandeur nature, décors de cinéma et projection haut de gamme (ambiance Stranger Things jusqu’en février prochain).
La dynamisation des espaces publics :
N’oublions pas non plus la manifestation la plus simple du divertissement sur l’espace public, l’aire de jeu. Un des premiers contacts des tous petits avec les lieux de loisirs hors du domicile. A voir les catalogues des grands fabriquant et installateurs (Pro-Urba, Kompan, Proludic,…), ces espaces gagnent en taille, en variété et en créativité. Ils deviennent en outre de plus en plus accessibles aux enfants en situation de handicap. Les collectivités, encore récemment réticentes à installer de grandes aires de jeu sources de coûts d’entretien et de risque juridique, semblent changer de point de vue sur ces lieux et perçoivent désormais leur plus-value en matière de création d’espace public de qualité.
Il y’aurait beaucoup à écrire sur ces espaces indispensables de l’éveil par le jeu et de l’activité physique. Certains observateurs et urbanistes le font d’ailleurs très bien, mais retenons ici que d’un point de vue urbain, ces aires de jeu devenues attractions servent de symbole au renouvellement d’un quartier (Grand Parc à Bordeaux par exemple), permettent la redynamisation d’une base de loisirs ou d’un parc public, (Ile Charlemagne à Orléans, promenade du Paillon à Nice) ou deviennent tout simplement des destinations à part entière (Gathering Place à Tulsa, Krišjāna Barona Playground à Riga, Jardins du BUGA, Heilbronn).
La valorisation des interstices :
Enfin, le récent appel à projet « Réinventer Paris II » l’a bien montré : les lieux des loisirs sont des programmation naturelles pour des lieux souterrains, atypiques, interstitiels. Être hors des standard de l’immobilier permet de bénéficier de loyer moins élevés et, sous réserve d’être Etablissement Recevant du Public, de créer une expérience de divertissement et de loisirs. Au-delà de l’escalade urbaine d’Arkose, lauréate sous le viaduc de la ligne 6 dans le 13e arrondissement, la liste des non lauréats était tout aussi intéressantes. On y découvrait un Théâtre Immersif par Novaxia dans un ancien transformateur électrique du 11e, Geekopolis XP par Quartus dans l’ancienne discothèque de la main jaune dans le 17e.
Ces stratégies territoriales n’incluent pas les loisirs dématérialisés ou des loisirs « à demeure » que ce soit à domicile ou même en entreprise car elles ils se rapportent plus à l’usage qu’aux lieux. Et dans les différents cas évoqués, ces derniers, se confrontent au même rapport public/privé que tout projet urbain : établissement privé recevant du public, concessionnaire d’un espace public, régie municipale, mail commercial privé mais ouvert au public.
Alors quel rôle pour les lieux des loisirs en ville ?
Au-delà de tout ce qui a précède, c’est aussi par l’évolution ou la création de certains métiers et de certaines méthodes que l’on peut observer la place que prennent désormais les loisirs dans la fabrication de la ville :
- Des opérateurs ensembliers comme Réalités ou Quartus disposent désormais de leur filiale «Loisirs », respectivement Up2Play et FPX (Geekopolis)
- Des sociétés se spécialisent dans le conseil aux grandes foncières commerciales (REALConsulting).
- Des acteurs du sport comme Urban Soccer ou l’UCPA deviennent promoteurs de nouveaux lieux dédiés aux sport loisirs (respectivement Urban Village et UCPA Sport Station)
- Des acteurs se créent sur la base d’une opportunité et y développement un nouveau modèle (Blossom sur le projet de la Rotonde à Metz).
- Des collectivités développent des outils type « schema directeur » sur le sujet (exemple de Grand Paris Sud et sa Fabrique du tourisme et des loisirs)
Enfin, d’autres métiers pourraient évoluer, comme celui des transports urbains par exemple. En effet, par le passé, les opérateurs de transport public exploitaient eux même des attractions installées en bout d’une ligne de transport afin de générer un trafic le week-end en plus de celui de la semaine (les Trolley Parks). Cette logique est par endroit toujours d’actualité avec par exemple le cas de Liverpool, où « The Beatles Story », « Spaceport » et « U-Boat Story » sont des attractions de Mersey Travel, l’opérateur de transport de la ville. L’occasion est manquée pour le Grand Paris Express mais cela aurait eu du sens !
Au final, les loisirs et leurs nouvelles formes urbaines sont appelés à jouer un rôle de plus important dans des villes et des lieux qui se structurent et s’organisent pour mieux les accueillir. En effet, ce dynamisme de développement a de nombreux avantages :
- Ils permettent de découvrir ou redécouvrir la ville où l’on vit, de manière originale par un loisirs de proximité. Pratique à l’opposée d’un « city break » exploitant vol low-cost, hébergement « AirBnB » et parfois tourisme de masse dont on peut plus nier les effets néfastes sur les environnements urbains.
- Les loisirs urbains permettent de vivre des expériences uniques en groupe (amis, collègues, familles), complémentaires d’un simple acte de consommation (shopping, terrasse de café) ou de loisirs urbains plus traditionnels (cinéma, théâtre, expositions) dans une optique commune de déconnexion des réseaux sociaux numériques.
- Ceux-ci sont par ailleurs générateurs de toute une chaîne d’emplois locaux non délocalisables et génèrent une économie créative de l’expérience plus positive et vertueuse qu’une économie de consommation mondialisée.
- Ils offrent des opportunités de régénération à un parc immobilier en désuétude ou en déshérence, de manière temporaire ou permanente.
- Amorcent également une attractivité qui profite aux autres fonctions urbaines voisines (restauration, transport, boutiques).
- Et peuvent enfin redynamiser des lieux urbains existants (salles de sport, piscines, musées) en proposant une nouvelle approche ludique et sociale de la pratique sportive ou bien de l’accès à la culture.
Le business des nouveaux loisirs urbains reste une matière encore complexe à appréhender. En raisonnant avec la théorie commerciale du cycle de vie, les loisirs urbains en seraient entre l’introduction et la croissance. Une phase stratégique d’investissement et de conquête de parts de marché impliquant la présence de nombreux acteurs en concurrence. La traduction urbaine et territoriale de cette phase pourrait alors se résumer ainsi :
- Les envies et les projets de lieux de loisirs sont nombreux et de tous les types : les locaux adaptés et bien situés sont donc très recherchés mais le loyer est limité par le modèle économique du lieu et le prix que le public est prêt à payer pour une expérience d’une heure ou deux.
- Les nouvelles enseignes de loisirs à succès sont devenues des arguments concurrentiels de premier plan entre des grands centres commerciaux qui se cherchent un nouvel avenir : cela s’accompagne de confidentialité et parfois d’exclusivité dans un rapport de force qui peut devenir confus.
- La plupart des lieux de loisirs développés sont auto-opérés dans une logique d’entrepreneur : l’initiateur de l’idée ou le franchisé est aussi la personne qui l’exploite au quotidien. Il n’existe pas ou alors très peu d’entreprises spécialisées dans l’exploitation de ces lieux comme c’est le cas pour d’autres équipements de loisirs.
- L’expérience de ces nouveaux lieux n’est probablement pas encore assez longue pour que des règles ou modèles de gestion éprouvés puissent leur permettre d’accéder à des lieux de qualité.
Les villes sont des lieux d’attraction depuis qu’elles existent. Elles sont désormais prêtes à devenir le lieu des attractions…
Ce contexte foisonnant rend aujourd’hui nécessaire la production d’une vision globale de ces lieux de loisirs dans les grandes agglomérations. Une vision qui permettra de tirer parti des expériences particulières de chaque acteur pour que ces nouveaux lieux soient en mesure d’offrir de manière pérenne toute leur qualité à la ville qui en a un grand besoin. Funfaircity est né en 2017 afin de porter et de développer cette vision.