Un Manifeste pour le Zéro Artificialisation Nette
Depuis quelques mois maintenant, il n’est pas rare d’entendre parler du Zéro Artificialisation Nette ou « ZAN ». Mais qu’est-ce donc que ce nouveau concept ?
L’artificialisation « nette » n’est ni plus ni moins que le résultat d’un savant calcul : Sur une même période, si un territoire artificialise 4 hectares de terres agricoles mais qu’il a renaturé une friche de 2 hectares, on considèrera que l’artificialisation « nette » de ce territoire est de 2 hectares.
Introduit par le plan national biodiversité en 2018, l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) interroge les professionnels de l’urbain. A travers une riche contribution sous-forme de manifeste, le Club Ville Aménagement esquisse des propositions en vue d’assimiler la philosophie du ZAN. Tour d’horizon.
Transformer la fabrique urbaine ?
C’est un fait. L’essor des villes s’est historiquement produit au détriment des espaces naturels et agricoles. Comme le précise les auteurs du manifeste, à l’appui de quelques chiffres, la sobriété foncière n’est clairement pas une pratique dominante en France.
Ainsi, selon l’agence Européenne de l’Environnement, le sol français est le sol européen soumis au plus haut niveau d’artificialisation : 47 km2 pour 100 000 habitants, contre 41 km2 en Allemagne, et 29 km² aux Pays-Bas. (Alors même que ces deux derniers pays sont plus densément peuplés.) Une consommation foncière étroitement liée à la production de l’habitat pour 42% des fonciers consommés. Ces quelques données laissent entendre l’ampleur de la transformation à mener.
Contradictions
Si la limitation drastique de l’étalement urbain reste un objectif essentiellement partagé, il se heurte encore à beaucoup de contradictions dont deux principales :
- Une problématique économique tout d’abord, qui pousse l’ensemble des acteurs de l’aménagement et de l’immobilier à construire plus, moins cher, donc de façon préférentielle en extension urbaine. Alors qu’aménager et, dans une moindre mesure, construire en tissu urbain constitué, induit des surcoûts liés à la rareté et au coût du foncier.
- Une contradiction d’ordre sociétal ensuite, qui pousse chacun à promouvoir collectivement l’impératif écologique considéré d’intérêt national, mais sans remettre en cause la logique individuelle du « Not In My Backyard ».
Dépasser ces contradictions suppose un changement profond.
Définition
Les auteurs du manifeste insistent sur ce point qui parait crucial pour appréhender la notion d’artificialisation nette. Chacun dispose en effet de ses propres définitions et méthodes d’analyse du phénomène d’artificialisation. Le résultat et l’interprétation des mesures de l’artificialisation sont également très dépendants des échelles d’analyse.
Il ne peut pas y avoir un unique baromètre !
Club Ville Aménagement : Manifeste Pour le Zéro Artificialisation Nette
Le Club Ville Aménagement milite ainsi pour la mise en œuvre d’un tableau de bord et non pas d’une « simple » mesure : Ce dernier rendrait compte d’indicateurs nationaux et locaux en rapport avec les actions qui accompagnent l’objectif ZAN. Il ne s’agit donc pas de viser un unique objectif surfacique mais bien plusieurs objectifs, dans une approche systémique.
Prendre en compte les réalités locales
La poursuite d’une sobriété foncière n’aura pas la même signification selon les territoires. Les contextes de marché, par exemple, peuvent diverger et induisent ainsi une capacité fluctuante de montage d’opération immobilière. Et plus encore lorsqu’il s’agit d’opération de renouvellement urbain. Les opérations en recyclage foncier supportant des coûts très supérieurs aux opérations en extension. Dans la majorité des cas, ce type d’opération nécessite des participations d’équilibre ou des subventions. C’est pourtant bien là un des principaux leviers de la mise en oeuvre du ZAN dans les territoires.
Le collectif du Club Ville Aménagement propose un principe général : la mise en œuvre opérationnelle des finalités du ZAN suppose que chaque acteur, à son échelle, agisse et puisse avoir une idée de son impact.
4 axes de propositions pour réussir le ZAN
Le coeur du manifeste proposé par le Club Ville Aménagement s’articule autour de 4 grands axes détaillés en 50 propositions. Vous pourrez retrouver l’intégralité sur le site internet de l’association en suivant ce lien.
Axe 1 : imposer des contraintes règlementaires à l’étalement urbain
Le Club Ville Aménagement développe dans ce premier axe des mesures en lien avec la planification. Il est par exemple préconisé de conditionner l’extension des zones urbanisables, la transformation ou la création des zones d’urbanisation futures à une vérification des capacités du territoire en matière de gisements fonciers pour le recyclage.
Le recyclage doit devenir la règle, et l’extension l’exception.
Manifeste pour le Zéro Artificialisation Nette – Club Ville Aménagement
Pour les Communes, sans document d’urbanisme, le renforcement du principe de constructibilité limitée inscrit au RNU pourrait être envisagé. Autre proposition : interdire définitivement les nouvelles zones commerciales sur les terrains agricoles et naturels.
Axe 2 : organiser, faciliter, soutenir le recyclage urbain et le ZAN
Pour le collectif d’auteurs, la stratégie ZAN de chaque territoire doit être explicitée et le cas échéant clarifiée. Et ce afin de disposer de politiques locales suffisamment affirmées, s’appuyant sur une ingénierie et des outils opérationnels. L’objectif ZAN s’accompagnera donc indéniablement de dispositifs de contractualisation permettant d’activer des leviers en matière d’urbanisme et de réglementation.
Au-delà de la contrainte de disponibilité du foncier, la dimension financière est un frein majeur. Il est donc indispensable de proposer des outils afin de favoriser les opérations vertueuses et pénaliser celles qui ne le sont pas. Le Club Ville Aménagement propose par exemple la mise en place d’une TVA réduite dans certains périmètres et pour certaines conditions d’opérations de recyclage foncier. Ou encore la création d’un régime d’aides à la transformation de bureaux en logements dans les secteurs détendus.
Autre proposition au sujet des zones d’activités : la mise en œuvre d’un plan national de mutation des zones dégradées et obsolescentes. Comme précisé dans le manifeste, malgré leur importance en termes de développement économique, ces zones pèsent pour une partie significative de l’artificialisation des sols. Elles sont par ailleurs souvent soumises à un processus de déqualification.
Elles représentent ainsi une opportunité foncière non négligeable en secteur urbanisé pour la réussite du recyclage urbain. Sur le modèle des OPAH, pourraient être ainsi envisagées des opérations programmées d’amélioration des zones d’activités (OPA- ZAE). Ou encore la mise en œuvre d’un dispositif spécifique de traitement des nappes de parkings.
Ce deuxième axe de travail traite également de la levée des obstacles à la reconquête des friches industrielles. Celles-ci constituent des gisements fonciers à la fois considérables sur certains territoires, et problématiques du fait de l’accumulation des contraintes qui leur sont associées. Un rapport du CGEDD de mai 2016 estime ainsi que la totalité du stock des friches industrielles, évalué à 7 500 ha, permettrait d’accueillir, avec une densité de 1, l’intégralité des programmes construits en France, résidentiels et non résidentiels, pendant un an et demi.
La mise en œuvre d’une stratégie du ZAN sur l’ensemble des territoires obligera donc à accélérer leur reconversion, ce qui nécessitera la mise en place d’outils nouveaux. Plusieurs propositions sont formulées à cet effet dont la création d’un fonds national dédié au financement du déficit des opérations de reconversion des friches, alimenté par une taxe sur l’artificialisation des sols.
Axe 3 : des outils et des méthodes de travail pour l’objectif ZAN
Agir pour atteindre les finalités du ZAN suppose également d’organiser les responsabilités dans une logique d’efficacité opérationnelle. Le Club Ville aménagement propose de mettre en place des grilles d’analyse des projets au regard des finalités du ZAN, d’identifier sur chaque territoire l’ensemble des gisements fonciers de recyclage ou encore de donner comme priorité aux EPF, l’objectif ZAN.
Axe 4 : savoir mesurer l’artificialisation des sols et rendre compte des actions contribuant aux « finalités du ZAN »
Le manifeste affirme la nécessité de disposer d’un tableau de bord d’indicateurs pérennes clairs, objectivables et incontestables, adaptés à la stratégie des territoires, évaluables à l’échelle des opérations. Ce qui passera nécessairement par la mise au point et le déploiement des outils d’une meilleure connaissance de l’occupation du sol. Il s’agira à ce titre de bien distinguer consommation et artificialisation/imperméabilisation d’espaces.
Les auteurs proposent ainsi de stabiliser une définition nationale homogène relative à la consommation d’espaces au sens de l’extension de la tache urbaine, qui puisse s’appliquer sur les plans et programmes.
Autre élément non négligeable : la poursuite et/ou le lancement des programmes de recherche et d’expérimentations afin d’améliorer la connaissance sur les fonctionnalités des sols et les impacts des différents usages.
Ce manifeste est une production collective du groupe de travail « Zéro artificialisation nette » du Club Ville Aménagement, réuni dans le cadre d’un cycle d’ateliers de janvier à juin 2020. Cette contribution est motivée par le souhait de porter une vision d’ensemble du développement urbain et territorial et de contribuer au débat par une série de propositions.
En ont été les principaux rédacteurs :
Anne FRAISSE, Directrice adjointe – Europolia
Pauline PISTRE, Chargée d’opération géomatique – EPA Nice EcoVallée Laurent GIROMETTI, Directeur général – EpaMarne – EpaFrance
Stephan MUZIKA, Directeur général – Citivia
Alain GARES, Consultant, ex Directeur général d’Europolia
Damien ROBERT, Directeur général délégué – Grand Paris Aménagement
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