Donner une valeur environnementale à l’urbanisme
L’histoire de l’urbanisme moderne est ponctuée de jalons témoignant de l’émergence de différentes valeurs générées par le Droit de l’urbanisme.
La valeur économique fût la première à émerger dans la première moitié du 19ème siècle avec l’apparition du cadastre napoléonien puis, plus tard, elle s’est précisée grâce aux documents de planification urbaine qui ont permis de régir les prix du foncier. En somme, les droits de propriété puis, les droits à construire qui y sont rattachés, ont permis de définir la valeur économique d’un terrain.
Si cette valeur est reconnue comme évidente aujourd’hui, une autre valeur s’est plus discrètement développée au fil du temps : la valeur sociale. Celle-ci peut-être appréhendée par 2 composantes : la diversité sociale de la ville, et la maîtrise d’usage des espaces, publics notamment. Dans notre époque contemporaine, elle a été initiée par l’urbanisme Haussmannien, repensée par les préceptes du Corbusier, et puis réglementée à la fin du 20ième siècle notamment avec la Loi Solidarité et Renouvellement Urbain SRU (1). La valeur sociale est aujourd’hui inhérente à nos documents d’urbanisme, mais reste pourtant mal perçue et souvent limitée à une évaluation de la diversité des fonctions et surtout de la diversité de l’habitat. Elle affirme cependant un élément fondamental qui est le droit à l’accès à la ville pour tous, avec notamment le droit au logement.
Peut-on faire émerger d’autres valeurs grâce au Droit de l’urbanisme ?
Joseph Stiglitz (2), prix Nobel d’économie, énonce trois valeurs d’évaluation des politiques publiques : économique, sociale et environnementale. Ces trois valeurs lui permettent de proposer des nouveaux indicateurs macro-économiques fondés sur l’observation ou sur le ressenti.
En partant de ces travaux, mes recherches universitaires m’amènent à interroger la valeur environnementale rattachée aux documents d’urbanisme (3). Quelle est-elle, et comment la mesurer ?
Force est de constater que la valeur environnementale est aujourd’hui particulièrement faible dans la réglementation de nos documents de planification (en l’occurrence le Plan Local d’Urbanisme). Cela alors que les Schémas de Cohérence et d’Organisation Territoriale, les Plan Climat, les Trames Verte et Bleue, etc… portent des ambitions fortes qui devraient s’imposer en compatibilité avec les PLU. Or, aujourd’hui, les politiques publiques ont une approche environnementale centrée sur l’évaluation plutôt que sur la prescription. L’évaluation ne suffit pas, ou plutôt, elle ne suffit plus.
L’affirmation de la valeur sociale a beaucoup à nous apprendre sur les modalités juridiques permettant de consolider la place de la valeur environnementale. En effet, l’importance donnée à cette valeur au fil du temps, en réponse au constat accablant de fortes diversités territoriales néfastes au développement urbain (paupérisation de quartiers / gentrification pavillonnaire), a amené la création d’outils réglementaires contraignants et bénéfiques : les clauses de servitude pour logement social notamment. Sans ses obligations légales de produire du logement social, l’augmentation récente du parc de logements HLM n’aurait pas pu se produire (4).
De manière générale, la contrainte réglementaire a rarement anticipé les évolutions sociétales. Ce constat vaut aussi pour les documents d’urbanisme. Des injonctions de faire sont apparues dans la partie réglementaire des PLU afin de corriger des phénomènes jugés néfastes : règles d’ouverture à la constructibilité en réponse au développement anarchique des constructions, règles de densité et de hauteur pour améliorer l’hygiène des villes, règles de diversité sociale suite au constat de paupérisations territoriales, etc.
Or, le bilan environnemental actuel de nos centres urbains est là pour témoigner que nous n’avons pas su anticiper les problèmes de pollution, d’érosion de la biodiversité, d’îlots de chaleur urbain, etc. Il est maintenant urgent de corriger, par le Droit, les dégâts environnementaux causés par nos villes.
C’est pour cela qu’il est impératif que les documents d’urbanisme réglementaire régissent aussi une valeur environnementale.
Or, cette valeur du projet n’est pas extensible, et si la valeur environnementale doit augmenter alors cela conduira à baisser au moins une des autres valeurs. La valeur sociale étant fondamentale pour rendre accessible la ville à tous, on ne peut pas l’abaisser. C’est donc depuis la valeur économique que doit s’opérer le transfert de valeur.
Comment procéder ?
En grévant les fonciers de contraintes environnementales inscrites au Droit des sols. A prix de sortie constant, les porteurs de projets pourront financer les obligations environnementales par une négociation à la baisse du prix du foncier. Tout comme l’obligation SRU nécessite de négocier à la baisse la part du foncier dédié à la construction de logements sociaux.
En poursuivant en ce sens l’analogie avec le « taux SRU de 25 % logements sociaux », il pourrait être envisagé d’imposer aux collectivités pilotes des documents d’urbanisme un « taux de régénération et d’adaptation » soumis à pénalité financière si la collectivité ne l’atteint pas.
Quelles pourraient être les actions financées par la valeur environnementale d’un document d’urbanisme ?
Deux pistes paraissent prioritaires : la régénération de la biodiversité pour replacer l’Homme en contact avec son écosystème naturel, et l’urbanisme climatique pour préparer l’adaptation de nos villes aux phénomènes climatiques extrêmes à venir.
En ce sens, une valeur environnementale au cœur de la planification urbaine permettrait à l’acte de construire de devenir un acte de réparation et d’anticipation.
(1) Obligation légale pour une commune d’avoir un taux de logements sociaux de 25 %de son parc de résidences principales.
(2) Joseph Stiglizt, Université de Columbia, Prix Nobel d’économie. « Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social », septembre 2009.
(3) Mon travail de recherche sur le « Plan de résilience écosystémitque urbain » vise à poser une nouvelle méthodologie rendant possible une meilleure répartition entre les valeurs (économique, sociale et environnementale, et à en définir de nouveaux indicateurs, notamment de santé environnementale dont humaine).
(4) Union Sociale pour l’Habitat, étude 2016 : « Les secteurs de mixité sociale inscrits dans les PLU : Un levier au service de la production du logement social ».
Crédit photo couverture : Tonja Willey
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