Pourquoi s’interroger sur l’utilité d’introduire le thème de la sécurité alimentaire dans les documents d’urbanisme ? Une question opportune, à l’agenda de nos préoccupations urbanistiques, dans le contexte de la pandémie mondiale du COVID-19.
Elle contribue à approfondir un précédent billet publié sur UrbaNews.fr qui exprimait la nécessité de lier l’urbanisme à la collapsologie pour inviter au renouvellement des pratiques disciplinaires et professionnelles.
A l’épreuve de la COVID-19
L’une des hypothèses esquissées par le « locavore » Stéphane Linou dans le cadre de sa réflexion sur la résilience alimentaire et la sécurité nationale s’est effectivement réalisée. Dans le contexte de notre monde globalisé et rythmé par l’hyper-mobilité, un virus s’est révélé capable de mettre à l’épreuve le fonctionnement de nos services publics et les flux d’approvisionnement alimentaire. Si nous n’avons pas eu à éprouver concrètement des cas de rupture d’approvisionnement, cette crise sanitaire a entraîné un stress majeur sur notre système de production et de distribution, révélant ses faiblesses structurelles et devant nous interpeller sur la nécessité de le repenser à l’échelle des territoires.
Cette question est d’autant plus importante que la sécurité alimentaire est aujourd’hui un impensé dans les politiques urbaines, et notamment dans les documents de planification. Elle doit donc devenir une pierre angulaire de l’action publique territoriale et urbaine.
Un système faillible
Quelles sont les faiblesses de ce système ? Tout d’abord, il s’agit du constat de la disparition du rapport des individus avec la production et la transformation de la nourriture. L’alimentation n’est plus forcément le premier souci quotidien de l’Homme moderne, hyper-connecté et hyper-mobile, dont la force de travail est essentiellement, depuis la seconde moitié du XX ème siècle, consacrée à d’autres secteurs que ceux touchant à l’alimentation (agriculture, transformation artisanale…). Une petite cuisine du cochon entre deux réunions en visio, ça vous tente ? 😉
La conversion après-guerre d’une agriculture paysanne vers une agriculture industrielle, enrichie en capital matériel, perfusée aux énergies fossiles et aux intrants chimiques, a permis la réalisation d’énormes gains de productivité qui, à leur tour, ont permis de libérer de la main d’œuvre pour d’autres secteurs économiques ; cette libération s’est également effectuée dans les consciences. Les individus ont ainsi pu s’arracher du destin de paysans laborieux auquel furent auparavant promis la grande majorité de leurs aînés. Il en découle aujourd’hui le sentiment d’une « question réglée » autour de la sécurité alimentaire. Celle-ci serait ainsi devenu un acquis définitif, tout comme l’a d’ailleurs été, jusqu’à très récemment, l’idée de la croissance économique !
Pourtant, certains pensent que le dérèglement climatique en cours sera probablement à l’origine de graves crises dans nos systèmes de production agricoles. D’autres encore, pensent que l’abondance énergétique que nous connaissons aujourd’hui, en dépit de notre capacité de progrès technologique, sera, demain, une source considérable de stress dans notre système alimentaire et ce à tous niveaux (production agricole, moyens de transformation et de distribution).
La confiance règne…
En dépit du sentiment général de sécurité, la méfiance et les exigences sont paradoxalement très fortes sur notre nourriture. Traçabilité, qualité nutritive et diététique, respect de l’environnement sont les demandes de nombreux consommateurs envers l’offre alimentaire.
Pourquoi ce phénomène ? La relative rupture du lien entre le consommateur et sa nourriture, ainsi que l’opacité construite autour d’un système alimentaire aux chaînes d’approvisionnement particulièrement distendues, ont en vérité créé la suspicion autour de notre alimentation actuelle ; les excès (transformation à outrance, baisse de qualité gustative et nutritive…) et dérapages (scandales sanitaires…) de l’industrie alimentaire ont exacerbé ce déficit de confiance, lequel s’est généralement trouvé entretenu par une forte mobilisation médiatique (crise de la « vache folle », autres scandales sanitaires…).
Le poids de la réglementation
Cette approche sanitaire de la question alimentaire crée un fort pouvoir d’occultation du véritable problème souligné par notre système alimentaire contemporain, à savoir la question du maintien satisfaisant d’un accès à l’alimentation sur un long terme.
Cette même approche occasionne par ailleurs une sur-réglementation de la part des autorités publiques dans le domaine de l’alimentation, elle-même à l’origine de l’inertie du système. Des élus locaux pourront ainsi facilement témoigner de la difficulté d’approvisionner parfois directement les lieux de restauration collective (scolaire…) par les petits commerçants ou producteurs locaux au titre du respect de règles d’hygiène, en dépit d’un certain bon sens !
La planification urbaine aux abonnés absents
Une fois ces constats dressés, que faut-il en tirer ? Tout d’abord, il convient d’acter le silence complet des politiques d’aménagement du territoire et de planification urbaine sur le sujet de la sécurité alimentaire. C’est ce que dénonce avec conviction Stéphane Linou dans son étude. Le plus souvent, ce sujet est abordé par le prisme de l’environnement ; les « circuits courts » et l’offre en produits « bio » sont souvent l’angle de vue de ces politiques, sans que le lien entre l’abondance alimentaire et la sécurité publique ne soit exploré.
Quant aux documents d’urbanisme, ces derniers doivent se plier aux objectifs généraux énoncés par l’article L101-2 du Code de l’Urbanisme, lequel se borne à une approche foncière de l’agriculture, évoquant simplement la « préservation des espaces affectés aux activités agricoles ».
Or, c’est bien là le problème, lequel rejoint aujourd’hui la difficulté pour les pouvoirs publics d’organiser efficacement la lutte contre l’étalement urbain. En effet, on peut considérer que cette simple approche foncière, qui fait actuellement de la chasse aux surfaces ouvertes à la construction une fin en soi, n’est pas de nature à inciter véritablement les décideurs locaux à s’engager dans cette voie avec enthousiasme. En dépit de la nécessité de réduire l’artificialisation des sols et des solutions qui s’offrent aujourd’hui aux urbanistes pour y parvenir, c’est un nouveau rapport entre les décideurs publics et l’agriculture qu’il faut aujourd’hui bâtir.
Et, quand bien même le « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN) se généralisait dès demain sur tout le territoire national, la question de la sécurité alimentaire n’en serait pas pour autant réglée ! Les décideurs publics doivent redécouvrir pourquoi il fait sens de préserver les surfaces agricoles, et ce dès le premier mètre carré consommé par l’urbanisation ; pour cela, il faut faire le lien entre les sols affectés à l’exploitation agricoles, l’alimentation et la sécurité publique.
Introduire cet enjeu de sécurité alimentaire à tous les niveaux
L’introduction de l’enjeu de la sécurité alimentaire dans les documents d’urbanisme serait donc le vecteur d’une nouvelle façon d’aborder les objectifs donnés aux collectivités publiques en matière d’urbanisme. Pour cela, de
nouvelles méthodes doivent être introduites dans la façon de définir les indicateurs d’évolution du territoire au sein des documents d’urbanisme (démographie, logements, consommation d’espace…) et les besoins qu’ils sous-tendent, notamment en termes de préservation de foncier agricole.
Dans le prolongement de cette logique, une amélioration quantitative et qualitative de la connaissance des sols, mieux diffusée et expliquée auprès des collectivités locales, semble elle-même élémentaire. Il doit s’agir d’une composante dorénavant obligatoire de l’analyse de l’état initial de l’environnement des rapports de présentation des Schémas de Cohérence Territoriale (SCOT) et des Plans Locaux d’Urbanisme (PLU), et les cahiers des charges doivent évoluer dans ce sens.
Il faut redonner de la valeur d’usage aux terres agricoles pour les rendre indispensables, dès le premier mètre carré ! Cela passera également, espérons le, par une réorientation plus ambitieuse et concrète des productions agricoles vers les besoins réels du consommateur pour que chacun voit dans le bout de champ situé près de sa maison, un véritable espace nourricier qu’il faut protéger en tant que tel.
Il convient toutefois de reconnaître que cette question de la sécurité alimentaire est en forte progression dans les débats publics nationaux comme locaux. Elle peut s’appuyer sur une médiatisation accrue dans le contexte de la crise sanitaire du COVID-19, ainsi que sur certains outils d’ores-et-déjà déployés sur les territoires.
Ainsi, les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT), introduits par la loi du 13 octobre 2014, sont une véritable opportunité de développer la question au niveau local. Ne serait-il pas pertinent de renforcer fortement la portée de ces documents pour en faire de véritables pivots des politiques locales d’aménagement et d’urbanisme ?
En dépit d’une pyramide normative déjà foisonnante en plans et programmes, il serait opportun de rendre ces PAT opposables aux documents d’urbanisme que sont les Schémas de Cohérence Territoriaux (SCOT) et les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU), quitte à renforcer la dimension intégratrice des SCOT pour simplifier cette articulation des plans et programmes entre eux.