Le nouveau Maire de Lyon, Grégory DOUCET souhaite, d’ici la fin de son mandat, importer le modèle urbain catalan dans la capitale des Gaulles.
Si cette réinterprétation d’un certain modèle urbain a permis, à Barcelone, de transformer l’espace public pour d’autres usages que la seule fonction circulatoire, est-ce pour autant un modèle adaptable à toute les villes ?
L’exemple catalan
En 2016, nous évoquions dans ces mêmes colonnes le concept de Superblock(s), cette nouvelle manière de « faire la ville » imaginée par l’urbaniste Catalan Salvador Rueda. Objectif : réduire les flux automobiles, la pollution associée et améliorer la qualité des espaces publics dédiés aux habitants.
Le Superblocks, Superilla ou encore Super-îlot se détermine comme une vaste cellule urbaine d’environ 400 x 400 mètres dont la circulation automobile est fortement régulée. Les voies internes sont ainsi limitées à 10 km/h pour les livraisons et les seuls habitants. Les véhicules n’ont pas la possibilité de traverser le quartier. Ils ressortent par la même voie qu’ils ont emprunté pour entrer. Le stationnement est également réduit.
Le coeur du Superblock libère ainsi un espace où les mobilités douces sont privilégiées. La place gagnée sur les voies de circulation permet de remodeler l’espace public et de transformer le quartier.
Cette méthode qui permettrait de refaire la ville sur la ville est donc sur le papier tout à fait enthousiasmante. Il faut toutefois rappeler qu’à Barcelone, le terrain de jeu est particulièrement adapté grâce à la configuration urbaine historique issue des aménagements de l’Urbaniste Cerdà.
L’héritage Cerdà
Le « plan Cerdà » organise la ville catalane sous forme d’un damier continu de blocs carrés, dotés de rues rectilignes de 20, 30 et 60 mètres de large. Cette configuration rectiligne très précise et reproduite sur un peu plus de 1 000 hectares permet, sur le papier, d’envisager la mise en place des Superblocks sans trop de difficulté.
Le dessin du système de boucles viaires internes et l’organisation de la circulation automobile à l’extérieur du périmètre semblent facilités par la répétition sérielle du plan d’urbanisme initial.
Pas si « simple » à Lyon ?
La morphologie urbaine lyonnaise est loin d’être aussi « simple ». Si une analogie s’esquisse dans certains quartiers développés à partir du plan en damier de Morand, la différence d’échelle avec la métropole barcelonnaise est frappante. Il suffit d’effectuer quelques mesures grossières pour s’en convaincre.
En appliquant les 400 x 400 mètres théoriques de la Superilla à l’échelle du centre-ville Lyonnais cela donnerait, par exemple : côté Rhône, un super-îlot s’étendant de la Place Maréchal Lyautet au Pont Lafayette et en profondeur jusqu’à La Rue Garibaldi. Côté presqu’île, on intègrerait aisément un vaste espace compris entre la place Bellecour et la place Ampère sur quasiment 80% de la largeur de la Presqu’île.
Compte-tenu des surfaces et des enjeux, les Superblocks lyonnais devraient donc être vraisemblablement beaucoup plus modestes. La présence de la Saône, du Rhône, la morphologie urbaine de la Presqu’île en pointe, les collines etc. Tout ceci fait qu’il conviendra dans un premier temps d’adapter la théorie barcelonnaise au contexte territorial lyonnais.
Et revoilà l’urbanisme tactique
L’autre spécificité de cet urbanisme des Superblocks réside en sa mise en œuvre par le biais de l’urbanisme tactique. Plus souple, moins onéreux, réversible, l’urbanisme tactique est désormais utilisé un peu partout dans le monde. Une recette qui a pu faire ses preuves dans de nombreux cas de figure. En revanche, pour les Superblocks, tout n’a pas été très simple, malgré l’utilisation de cette même méthode.
Cible de nombreuses contestations, l’aménagement via l’urbanisme tactique de la Superilla de Poblenou aura mis plusieurs années à se concrétiser. Les premiers aménagements ont notamment donné lieu à des manifestations virulentes. Certains habitants n’étaient pas tout à fait prêts à céder les rues aux piétons. De nombreux résidents se sont par exemple plaints des temps de trajets domicile / travail augmentant. La Superilla ajoute un parcours supplémentaire pour se rendre jusqu’à son véhicule. De même, selon plusieurs études, les temps de trajet autour des super-îlots peuvent désormais prendre plus de temps qu’auparavant.
Ces différents déboires ont montré, d’une part, le rôle absolument primordial de la concertation en amont d’un tel projet et d’autre part la nécessité de planifier ces transformations profondes sur le long terme. Des changements de cette importance sont difficile à accepter lorsqu’ils sont imposés en quelques mois. A Lyon, dans le cadre d’un projet de piétonnisation d’une partie du Cours Charlemagne, la concertation n’a pas franchement été à la hauteur. Gageons que l’association des habitants pour le projet de Superblock soit beaucoup plus poussée.
En prenant du recul, en fonctionnant par étape et en attachant une importance primordiale à la concertation, le modèle basé sur l’urbanisme tactique et participatif peut donner des résultats tout à fait positifs.
Après les erreurs réalisées à Poblenou, la municipalité catalane a souhaité rectifier le cap. Pour les Superblocks suivants, la ville s’est engagée dans une concertation à très grande échelle qui aura duré plus de 14 mois. Cette expérience nous amène à penser que les 5 années de mandat restantes pourraient ne pas suffire à l’importation et la concrétisation d’un tel modèle dans la capitale des Gaulles. Brusquer les choses afin de se calquer sur le temps électoral ne serait surement pas bénéfique.
Effets secondaires
Une autre déconvenue liée ce type de transformation urbaine réside en un double phénomène de décompensation de la qualité de vie des espaces périphériques et de gentrification de l’intérieur du Superblock. Si le concept libère effectivement de nombreuses rues internes, où le prix du m² explose – au même titre que la qualité de vie – il « accable » également les rues périphériques.
A Lyon, alors que certains imaginaient une baisse du prix de l’immobilier à cause de la crise sanitaire, tous les arrondissements ont vu leur prix augmenter fortement : +11,5 % sur 1 an. Attention donc à l’effet d’une piétonisation massive sur le marché immobilier lyonnais.
Tout ceci montre bien qu’il apparaît nécessaire d’imaginer ces projets de piétonisation au global et non pas uniquement à l’îlot. Ce qui a pu fonctionner, en son temps, dans un contexte bien particulier à Barcelone, ne garantit pas un succès à la lyonnaise.
D’ailleurs, si l’on se penche précisément sur la méthodologie Superblock, un des objectifs initiaux était bien la mise en réseaux des différentes Superilla par le biais de vaste corridors piétonnisés.
Enfin, il est utile de préciser que ce travail catalan s’est accompagné d’un vaste plan de restructuration du réseau de transports en communs de toute la métropole. Afin d’une part, de désaturer les secteurs périphériques des Superblocks et d’autre part, d’améliorer la connexion des espaces piétonnisés avec le reste de la métropole catalane. Et là encore, l’héritage urbanistique de Cerdà a fortement facilité la mise en place d’un réseau d’itinéraires façonnés autour des futurs Superblocks.
Transformer le relation d’usage entre l’espace public et l’automobile doit s’effectuer en profondeur et ne semble pouvoir se produire qu’avec le temps et ce quelque soit la méthodologie utilisée. La duplication du modèle barcelonnais est toutefois loin d’être aussi simple qu’elle n’y paraît.
Affaire à suivre !