La période de sécheresse et la rareté des pluies de ces derniers mois doit nous rappeler à quel point la ressource en eau revêt un intérêt stratégique en milieu urbain.
Malgré le contexte plus qu’alarmant (la quasi-totalité de la France métropolitaine est aujourd’hui concernée par une alerte sécheresse), l’eau de pluie – qui constitue, pourtant, l’un des maillons essentiels du cycle de l’eau – est encore considérée comme un « déchet » à évacuer et à traiter dans de nombreux aménagements.
Cette évacuation systématique des eaux pluviales via des canalisations est une aberration, puisque c’est un volume d’eau conséquent qui ne participe plus, directement, au remplissage des nappes. Par ailleurs cette eau évacuée permettrait de satisfaire de nombreux usages.
Vers une gestion alternative ou « à la source »
Des solutions techniques existent mais, compte-tenu du contexte actuel, elles mériteraient d’être systématisées.
On évoque notamment la « gestion à la source » ou les « techniques alternatives de maîtrise des eaux de pluies » lorsque les aménagements mis en place permettent le recueil des eaux pluviales, le stockage temporaire et, in fine, la restitution dans le milieu récepteur.
A contrario du « tout tuyaux », l’objectif est double, il permet d’une part de disposer d’une ressource alternative pour l’approvisionnement en eau liée à certains usages et d’autre part, la maîtrise du ruissellement généré par l’aménagement et l’imperméabilisation croissante des sols.
Plusieurs principes fondamentaux sont communément décrits pour qualifier ces techniques alternatives :
- Il est impératif de gérer l’eau pluviale au plus près de son point de chute.
- Il convient de respecter le cycle naturel de l’eau en évitant l’imperméabilisation et la concentration des flux.
- La vitesse d’écoulement des eaux doit être ralentie pour être plus proche de son état d’origine.
- Si le sol le permet, il convient de privilégier l’infiltration et toujours au plus près du point de chute.
- Lorsque l’infiltration est impossible, l’eau est stockée temporairement et restituée vers le milieu naturel en maitrisant son débit.
- Intégrer la gestion des eaux pluviales à l’aménagement et créer des ouvrages aux fonctions diverses. Un même espace peut être utilisé comme une aire de jeux, pour du stationnement et donc bien évidemment pour gérer les eaux pluviales.
- Travailler sur la bonne intégration des ouvrages dans de véritables projets paysagers.
- Par la création de ces différents ouvrages, réintroduire l’eau dans le quotidien des habitants afin d’améliorer leur cadre de vie.
Le réaménagement de la Rue Garibaldi (voir ci-dessus) est un bel exemple en la matière. Tous les principes listés précédemment sont plus ou moins mis en œuvre pour aboutir à une qualité d’aménagement urbain inédite. Le « gisement » d’eau pluviale est, par ailleurs, pleinement mis en valeur par sa réutilisation pour l’irrigation des plantations en période de canicule.
Ces principes de gestion des eaux pluviales font plutôt écho au bon sens mais sont trop souvent mis de côté. La faute, sans aucun doute, à de nombreuses idées reçues.
Stopper les idées reçues
France Nature Environnement Rhône-Alpes a publié, en 2021, un fascicule tout à fait intéressant, à destination des élus et des citoyens qui revient sur plusieurs idées reçues en matière de gestion des eaux pluviales. Objectif : lever les a priori et déconstruire les préjugés. Florilège.
Le frein économique
Le « surcoût » est très souvent évoqué lorsqu’il s’agit d’évoquer la gestion alternative des eaux pluviales. Pourtant, en regardant au global (investissement, gestion et bénéfices du projet), une gestion intégrée bien conçue coûterait, in fine, moins cher que les solutions « tout tuyau ».
Avantage non négligeable des solutions fondées sur la nature : ces dernières sont plus souples et peuvent s’adapter plus aisément – et donc grâce à un investissement moindre – qu’une section de tuyaux enterré sous la chaussée.
Comme le précise France Nature Environnement, le GRAIE ou Groupe de Recherche, Animation technique et Information sur l’Eau a publié en 2018 une étude comparative du coût global pour la gestion des eaux pluviales d’une zone d’activités de 6,5 ha à travers trois propositions d’aménagements :
- Une proposition plutôt classique avec réseau pluvial enterré aboutissant à un bassin d’infiltration,
- Une deuxième proposition qui reprend le 1er scénario en ajoutant des aménagement paysagers qualitatifs,
- Et enfin, une solution alternative où l’eau pluviale est gérée à la source à l’aide de noues d’infiltrations qui se substituent au bassin du scénario initial.
Bilan : en raisonnant au global (investissement, entretien, durée de vie) Les deux premières solutions seraient 3,5 fois plus coûteuses que la gestion alternative. Le surcoût lié à l’entretien des noues est largement compensé par le moindre coût de l’investissement initial. (Moins de bordures, moins de caniveaux à poser etc.) Des économies notables peuvent également être réalisées sur la gestion et l’entretien des réseaux d’assainissement.
Enfin en matière d’investissement, cet espace étant plurifonctionnel, l’engagement financier revêt de multiples vocations et n’est pas uniquement « technique ». La collectivité est donc gagnante en tout point.
L’ingénierie mise en œuvre pour la réalisation de la « Place des fleurs de Macadam » à Montréal est un exemple de gestion alternative tout à fait intéressant : une ancienne station service désimperméabilisée, transformée en espace public et démontrant « in situ » la gestion et le traitement des eaux de pluie et de ruissellement du secteur.
Au final, cette reconversion donne vie à un espace public verdoyant mixant les usages et les fonctions au fil du cycle de l’eau.
L’entretien
De paire avec l’argument économique, l’entretien est également évoqué pour freiner les bonnes idées en matière de gestion alternative des eaux pluviales.
Pourtant, tout est question de conception. lorsque l’ouvrage fonctionne correctement, l’entretien demeure limité. Pour les opérations de maintenance ou de réparation, ces ouvrages ont par ailleurs l’avantage d’être nettement plus accessibles que les réseaux enterrés.
Des noues, tranchées ou puits d’infiltration peuvent ainsi fonctionner de manière satisfaisante pendant plusieurs années. D’autant plus si les techniques de végétalisation sont mises en œuvre correctement en s’appuyant sur les fonctionnalités biologiques et hydrologiques du sol.
Une noue paysagère est un véritable “écosystème” devant être conçue avec soin dans toutes ses dimensions. Il apparaît important de rappeler qu’il ne s’agit pas d’un simple fossé enherbé comme on le laisse entendre communément. la conception de ce type de dispositif de gestion des eaux pluviales doit être maîtrisée aussi bien sur le plan quantitatif, qualitatif, qu’environnemental.
Le projet « Scandiagade » conçu par l’Agence 1:1 Landskab est un autre bel exemple de paysage remodelé autour d’une gestion alternative des eaux pluviales. Par temps sec, cet espace fonctionne comme un véritable parc de loisirs. Lors de fortes pluies, les 8 bassins peuvent contenir jusqu’à 1 500 m3 d’eau de pluie.
On constate ainsi que l’entretien de ces ouvrages revêt une forme tout à fait différente. Il ne s’agit plus d’entretenir des réseaux mais bien des espaces publics paysagers aux fonctions diverses. Ces questions liées à l’entretien doivent être posées en amont, lors de la conception. Elles peuvent concerner différents services de la collectivité et doivent donc être traitées en transversalité. L’élaboration d’un plan de gestion peut notamment permettre de garantir la pérennité de ces ouvrages.
Le danger pour les usagers
Comme le rappel France Nature Environnement, l’eau visible transitoirement, dans certains aménagements comme les bassins ou les noues, peut effrayer. C’est en tout cas un des arguments qui est souvent mis sur la table. (Crainte notable d’une responsabilité en cas d’accident) Pourtant, d’après Santé Publique France, on dénombre en France environ 1 000 décès par noyade par an mais aucun ne concerne spécifiquement les ouvrages de gestion des eaux pluviales.
Au final, une noue végétalisé ne présente pas plus de risque qu’une fontaine installée sur une place publique. (Voir sans doute moins puisque une fontaine est constamment en eau contrairement à la noue…)
Les moustiques
C’est sans doute l’un des arguments principaux des détracteurs de la gestion alternative des eaux pluviales : la peur des moustiques et de leur prolifération.
Ces derniers sont systématiquement soupçonnés de trouver refuge dans les ouvrages de gestion des eaux pluviales. Toutefois, au regard du cycle de vie des moustiques, cet argument est peu convainquant. Les ouvrages de rétention (s’il sont bien conçus) sont imaginés pour que l’eau ne stagne pas après la pluie et s’évacue en 24 à 48h maximum. La larve de moustique ne peut donc pas se développer dans ce laps de temps.
A titre d’exemple, le développement larvaire du moustique tigre nécessite la présence d’au moins un centimètre d’eau libre pendant 5 jours minimum.
L’Observatoire de Terrain en Hydrologie Urbaine (OTHU) a mené en 2016 une étude exploratoire sur « les moustiques dans les ouvrages de gestion alternative des eaux pluviales en ville » dans la Métropole de Lyon. Les résultats confirment que les ouvrages alternatifs ne retiennent pas l’eau assez longtemps pour permettre la prolifération des moustiques.
Vers une ville perméable
A travers la déconstruction plutôt aisée de ces quelques préjugés, on comprend que l’idée d’une « ville perméable » qui intègre l’eau pluviale comme une véritable « ressource » est essentiellement une question de volonté et de portage politique.
Notons que lorsque l’infiltration n’est pas possible, le principe de gestion à la source préconise le stockage temporaire de l’eau de pluie avant sa restitution vers le milieu naturel. Cette récupération constitue là encore une véritable chance, puisqu’elle peut permettre une ou plusieurs valorisations successives des eaux pluviales dans la ville.
Un aménagement simple mais bien pensé peut par exemple permettre d’exploiter l’eau de pluie au profit de l’arrosage des sols et de la nature en ville. A l’échelle du bâti, la réutilisation des eaux pluviales fait l’objet d’un encadrement réglementaire qui autorise la réutilisation dans une habitation hors consommation alimentaire.
Le « pluvial » est donc un gisement non négligeable qui ne doit plus être considéré comme un rebut. Les évènements de ces derniers mois doivent nous rappeler à quel point l’eau doit redevenir un maillon essentiel de la fabrique de notre environnement urbain.
Les aménagements qu’elle façonne sont vecteurs de nombreux usages qui vont bien au-delà de la maîtrise quantitative et qualitative des eaux pluviales : structuration des territoires, animation du paysage urbain, gestion de la trame verte et bleue, lutte contre les îlots de chaleur urbains etc.
Photo de couverture : Ecoquartier des rives de la Haute Deule – Bruel Delmar